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Chawki Azouri : Le risque existe, mais n’est pas incontournable

Chawki Azouri est catégorique : le risque de guerre civile est grand car les masses uniformisées et fanatisées sont prêtes à suivre. Or, tout indique que celles-ci sont aujourd’hui suffisamment échaudées, polarisées et prêtes à tirer sur la gâchette, dès lors que leurs leaders respectifs le leur demanderaient. Encore faut-il que la décision soit prise par l’un ou l’autre des décideurs, ou par l’ensemble des acteurs principaux agissant sur l’échiquier politique, ce qui n’est pas encore certain à ce stade. Le mécanisme psychique est bien connu, affirme le psychanalyste ; c’est celui de l’hypnose collective, un phénomène qui s’applique malheureusement à l’état actuel dans lequel les masses ont été placées, prêtes à suivre presque aveuglément leurs dirigeants. Ce phénomène, soutient M. Azouri, est semblable à celui de l’hypnose individuelle dans laquelle la personne hypnotisée est mise en état de soumission totale aux desiderata de son hypnotiseur, mais avec des effets encore plus pervers. Appliquée au niveau des masses, l’hypnose collective peut devenir un facteur de risque sérieux, dès le moment où le leader œuvre à mobiliser les masses en les poussant à un comportement donné. La soumission est quasi totale car, soutient l’analyste, « chacun des membres de la foule a renoncé à son Idéal du moi qu’il a projeté dans le leader, moyennant quoi, les membres de la foule s’identifient les uns aux autres dans leur moi, et la foule, quel que soit son nombre, devient analogue à une seule personne soumise au chef ». L’idéal du moi, « c’est en principe ce qui pousse l’humain à se transcender, à vouloir le bien commun, le bien public, ou à chercher à se surélever, comme dans le cas de l’image du père idéalisé chez l’enfant ». C’est ce qu’on appelle la « culture valorisante » qui va permettre à l’enfant de transcender ses besoins, ses pulsions (contenues dans le ça*), pour suivre l’image idéale incarnée par le modèle paternel. Dans le cadre d’une hypnose individuelle, la personne hypnotisée est prête à exécuter n’importe quel ordre sauf celui de tuer, car l’instinct d’agressivité extrême est alors freiné, au niveau de l’individu singulier, par le surmoi* (la censure/l’interdit) qui prend alors le dessus. Cependant, l’équation change qualitativement et quantitativement lorsque nous sommes en présence d’une foule. « L’hypnose collective, qui met en jeu le rapport particulier de la masse à son leader, opère grâce aux idéaux du moi additionnés que chacun des membres de la masse projette dans le chef charismatique, qui devient ainsi tout-puissant, alors que la masse agit de son côté à la manière d’un troupeau. Vidée de chaque idéal du moi projeté dans le leader, la foule devient analogue à un seul moi*. Nous sommes dans ce cas en présence d’une quasi-incarnation de l’idéal du moi dans celui du leader », explique M. Azouri en citant Gustave Lebon, repris par Freud dans Psychologie collective et analyse du moi. La foule étant régie par l’instinct grégaire, l’instinct de survie de l’espèce, l’instinct de la faim, etc., le surmoi qui agit sur un plan individuel comme frein contre le meurtre, tombe dans le cas de la foule, et tout est possible alors, dit-il. « C’est ce qui explique que lorsque les dirigeants s’adressent à l’instinct de survie de l’espèce, en recourant à des discours populistes sur des questions qui ont trait à la vie, à la faim, la richesse, la pauvreté, etc., ils sont en réalité en train de manier de la poudre qui peut exploser à tout instant et entraîner les masses à la guerre civile », ajoute le psychiatre. On observe le même phénomène dans les sectes dont les chefs peuvent appeler au suicide collectif et être exécutés. Cependant, estime Chawki Azouri, si l’instinct destructeur est indiscutablement présent et exploitable, l’issue de sortie du manichéisme actuel reste la vérité sur la série noire des assassinats qui ont endeuillé le pays. « C’est à ce moment-là que l’on pourra commencer à parler de pardon et de réconciliation, car le deuil commun des Libanais les rassemblera tout en respectant leurs différences, les leaders communs qu’ils ont perdus depuis le début de la guerre civile n’étant plus idéalisés comme dans le cas de la foule, mais réduits à leur statut d’objets perdus et enfin enterrés », conclut-il. * Le « ça » représente le réservoir pulsionnel, l’instant grégaire, l’instinct de mort et de vie, l’autoconservation, etc. * Le « surmoi » représente la censure que nous impose la culture. Exemple : les Dix commandements. * Le « moi » représente l’enveloppe qui contient le ça et le surmoi au sein duquel il y a une lutte entre nature et culture. Le moi constitue l’équilibre entre les poussées pulsionnelles et les interdits qui viennent du surmoi. * L’Idéal du moi représente les figures idéales de l’enfance et l’adolescence qui poussent le sujet à se transcender en faveur du bien commun.
Chawki Azouri est catégorique : le risque de guerre civile est grand car les masses uniformisées et fanatisées sont prêtes à suivre. Or, tout indique que celles-ci sont aujourd’hui suffisamment échaudées, polarisées et prêtes à tirer sur la gâchette, dès lors que leurs leaders respectifs le leur demanderaient. Encore faut-il que la décision soit prise par l’un ou...