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Actualités - REPORTAGE

Tokyo se dote d’un véritable ministère de la Défense et souhaite réviser sa Constitution pacifiste Vers un réveil du nationalisme japonais Rania MASSOUD

Depuis sa défaite face aux États-Unis en 1945, le Japon a adopté, malgré lui, un « profil bas » sur la plupart des grandes questions internationales. La Constitution de 1947, élaborée par les forces d’occupation américaines d’alors, affirme dans son article 9 que le Japon « renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation ». En d’autres termes, Tokyo n’a pas le droit d’avoir une armée. Soixante ans plus tard, l’archipel se dote d’un ministère de la Défense et veut réviser sa Constitution pacifiste afin de retrouver son statut international de puissance militaire. La perception des menaces a toujours été l’un des facteurs-clés dans la définition des stratégies militaires et des politiques nationales. C’est dans cette perspective que le Japon a réussi, au cours des soixante dernières années, à briser les tabous pacifistes de l’après-guerre en manifestant sa volonté de «normaliser» sa politique de défense. Quelques années après l’élaboration de la Constitution pacifiste, les États-Unis – qui assurent depuis 1945 la protection de l’archipel nippon – ont demandé au Japon, dans le contexte de la guerre froide en 1950, de former une «réserve nationale de police» constituée de près de 75000 hommes. Après la guerre de Corée, quatre ans plus tard, cette réserve s’est transformée en «Forces japonaises d’autodéfense» (FAD), actuellement constituées de 240000 militaires environ. Et en 2003, pour la première fois en soixante ans, le Japon a envoyé des troupes dans une zone de combat, en Irak. Même si les FAD ne participent à la coalition militaire menée par les États-Unis que dans un but humanitaire et de reconstruction, cette mission constitue une étape importante pour la «normalisation» de la politique défensive de l’archipel nippon. Nouvelles menaces, grandes ambitions Face aux nouvelles menaces régionales et internationales, Tokyo est aujourd’hui plus que jamais déterminé à regagner son autonomie en matière de défense. Pour contrer le défi nucléaire nord-coréen, et un affrontement potentiel entre la Chine et Taïwan, ainsi que le terrorisme islamiste international, le Premier ministre Shinzo Abe, premier chef de gouvernement japonais né après la défaite de 1945, va faire voter prochainement la législation nécessaire à l’organisation d’un référendum afin de réviser la Constitution pacifiste du Japon, en particulier son article 9. Il souhaite doter son pays d’ici à cinq ou six ans d’une «Constitution adaptée au XXIe siècle» afin de donner au Japon de véritables «forces militaires», capables de participer à des opérations de «défense collective», comme des missions de maintien de la paix à l’extérieur. Par ailleurs, le 15 décembre 2006, le Sénat japonais a adopté à une écrasante majorité une nouvelle loi qui permet de remplacer l’actuelle «Agence de la défense» par un véritable ministère. Une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, la Chambre haute a voté en faveur d’une réforme de la loi-cadre sur l’éducation qui instaure notamment l’enseignement du patriotisme dans les écoles. Pour l’opposition, cette initiative controversée rappelle le Japon impérialiste du siècle dernier. Tensions en Asie-Pacifique Les projets japonais intéressent évidemment au plus haut point Washington. Les deux pays sont liés par un traité de sécurité signé en 1960. Le Japon héberge 89 bases américaines et compte près de 35000 soldats américains sur son sol. L’île d’Okinawa, véritable colonie militaire américaine, compte à elle seule 37 bases américaines, soit 26000 militaires et leurs familles. Le Japon, surnommé «l’hôte le plus généreux d’Asie», consacre aux troupes américaines plus de 4 milliards de dollars par an, couvant ainsi près de 75% des coûts de stationnement. Mais si le Japon a reçu la bénédiction de son allié américain pour accomplir ses ambitions internationales, ses voisins asiatiques, qui n’ont pas oublié la colonisation nippone au siècle précédent, voient d’un mauvais œil ces réformes constitutionnelles. Ainsi, les tensions politiques dans la région ont fait de l’Asie-Pacifique le deuxième marché mondial de l’armement après le Proche-Orient, selon un rapport américain publié il y a un an. Alors que ses interventions à l’étranger sont limitées, le Japon possède des équipements militaires très sophistiqués et un budget de défense important de 40 milliards de dollars par an, ce qui le place au quatrième rang mondial derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. En novembre 2005, l’Agence japonaise de la défense indiquait son intention de se doter de 124 missiles Patriot d’ici à la fin 2010. Par ailleurs, le Japon commence à afficher d’autres projets beaucoup plus importants que celui des réformes constitutionnelles. Depuis que la Corée du Nord a effectué son premier essai atomique, l’archipel nippon est agité par un débat sur l’opportunité de se doter de la puissance militaire nucléaire. Une ambition à laquelle les voisins de l’archipel nippon, notamment la Chine, sont très hostiles. Bien que le Premier ministre japonais ait réaffirmé à plusieurs reprises que son pays était déterminé à rester non nucléaire, le quotidien conservateur japonais Sankei Shimbun indiquait, il y a deux semaines, avoir eu accès à une étude gouvernementale secrète qui révèle que Tokyo aurait besoin de trois à cinq ans pour développer sa propre bombe atomique. Par ailleurs, le Japon ne cache pas son souhait d’entrer dans le cercle fermé des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. M. Abe effectuera d’ailleurs du 9 au 13 janvier sa première tournée européenne qui visera à renforcer les relations entre l’archipel et l’Europe, mais aussi et surtout à plaider la cause de son pays pour un siège permanent au Conseil de sécurité. Tokyo affirme mériter ce siège car il est le deuxième contribuable de l’ONU, dont il apporte 19,5 % du budget, derrière les États-Unis. La prétention japonaise à un tel siège a, naturellement, le don d’irriter Pékin. Dans ce cadre, la visite, en avril prochain, du Premier ministre chinois au Japon, la première d’un haut responsable de Pékin dans l’archipel depuis plus de six ans, donnera certainement une indication de l’état réel des relations entre les deux pays. Des relations en chute libre depuis des décennies.
Depuis sa défaite face aux États-Unis en 1945, le Japon a adopté, malgré lui, un « profil bas » sur la plupart des grandes questions internationales. La Constitution de 1947, élaborée par les forces d’occupation américaines d’alors, affirme dans son article 9 que le Japon « renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation ». En d’autres termes,...