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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - Au Monnot, « La route vers Cana » de Jalal Khoury Troublant constat des lieux

Quatre acteurs et une chanteuse pour une dramatisation de Cana, petit village mythique au Sud qui a tristement volé la vedette à l’actualité cet été à cause d’une sanglante guerre israélienne. Tel est le spectacle, en arabe, de «Tarik ila Cana» («La route vers Cana») de Jalal Khoury, qui en signe le texte et la mise en scène. Depuis «Geha aux villages frontaliers», une œuvre dramaturgique marquante des années d’avant-guerre, Jalal Khoury semble revenir, mais dans une optique, une inspiration et un état d’esprit différents, vers les lieux de ses premières amours… Décor minimaliste pour figurer quelques vestiges de pierres sculptées, battus par le vent. À l’extrémité de la scène, une loggia. Une loggia un peu surélevée où, derrière un voile noir, se groupent, tout vêtus de noir comme un chœur à l’antique, une chanteuse et des musiciens avec oud, bouzouk, qanun, nay, clarinette et percussion. Subterfuge musical déjà utilisé, presque un remake à l’identique, de la précédente pièce Hindiyé, d’inspiration mystique de Jalal Khoury. Dans ce cadre austère et dépouillé, par-delà quelques notes cristallines de qanun et quelques plaintes charnues et mélancoliques du oud, surgit un narrateur, ni archéologue, ni poète, ni historien. Un peu Monsieur Tout-le-monde peut-être. Un narrateur surtout tourmenté par l’esprit des lieux. Un narrateur aux confins de saint Thomas, en quête de précision, de tangibilité, de conviction presque tactile. Un narrateur en quête d’une exactitude géographique, d’une explication sans équivoque pour ce haut lieu d’un miracle qui n’a pas fini d’étonner et d’éblouir le monde. Un lieu où l’eau a été transformée en vin… Mais est-ce bien cette rocaille éparse qui serait le témoin à la fois silencieux et éloquent de l’histoire rapportée par les évangiles ? Pour cette longue et insoluble méditation, répartie en un âpre dialogue philosophique, religieux et politique, vient un être mystérieux, un passant qui ne déclinera jamais son identité. C’est un passant – ni guide ni instituteur – dont la voix est celle de la connaissance, de la conscience et du cœur… Comme un ange intérieur qui, écartant le fatras des parts d’ombre, guide les pas et la pensée vers la lumière… Dialogue serré, appuyé, qui fait démarrer lentement la pièce. D’autant plus que les deux acteurs (Ayman Ghannam et Mounir Ghaoui) ne semblaient pas maîtriser les nuances et parfois les envolées lyriques d’un texte déjà ardu... Et puis débarque un couple bruyant et «coloré», non pas de simples touristes, mais des croyants d’autres horizons au verbe teinté de raisonnements occidentaux et hindouistes… Une sorte de cheftaine scout, une «clergywoman orientaliste» et un Ramakrishna grimaçant, avec galette de cheveux à l’occiput, sautant aux conclusions ahurissantes entre réincarnation et Karma! Cela pimente la discussion, cravache les platitudes, anime la scène. L’écho des siècles Et alors Cana passe au crible des diverses civilisations pour un troublant constat de l’état des lieux. On ne se défait pas facilement et impunément de deux mille ans d’histoire… Jalal Khoury, jongleur d’idées, pour mener à bien ses analyses, en homme de scène rompu au métier, déploie alors la richesse d’une culture époustouflante. Une vaste culture qui mélange, avec brio et humour, notions politiques, sociales, métaphysiques, philosophiques, économiques et, bien entendu, religieuses. Mélange explosif, hilarant, détonnant, tendu. C’est ce qui s’appelle, sans nul doute, entendre tous les sons de cloche… Même si la trame est d’une grande simplicité, l’histoire est menée rondement et adroitement, avec quand même certains moments creux. Étourdissant brassage de connaissances, dextrement agencées, pour faire la jonction des idées reçues, manipulées, imposées ou acceptées en toute humilité, pour écarter le doute et la suspicion, pour trouver la lumière et chasser ce qui obsède inutilement. Dans cet intempestif choc de données, cet impétueux ouragan de valeurs humaines et spirituelles, rien de mieux que d’écouter son cœur. Le cœur est ce qui révèle la vérité. Les acteurs sont inégaux dans leur prestation. Si Fadia Saaibi et Chadi el-Zein accentuent outrancièrement leurs intonations d’Américaine et d’ Indien de Kerala, leur performance frise celle d’un théâtre de boulevard, ce qui rafraîchit et détend certes l’atmosphère, mais minimise souvent la force des arguments jetés comme dans une comédie légère. Les intermèdes musicaux (portant la griffe de Samy Hawat) sont très beaux et le chant de Reem al-Chaar, d’une vibrante incantation, touche par sa sensibilité et sa douceur. La route vers Cana est une pièce à thèse, au texte dense et richement documenté, de Jalal Khoury. On convient, le doute a des limites, les pierres ne parlent pas, le rêve est un compagnon indispensable et le cœur ne ment pas… À voir, pour que les images d’une guerre inadmissible ne s’effacent pas de la mémoire en toute impunité. Le ruban de la route vers Cana a les millénaires pour escarpements et bordures…C’est cet écho des siècles qui fait la force et le pouvoir dramaturgiques de la dernière pièce de Jalal Khoury. Edgar DAVIDIAN

Quatre acteurs et une chanteuse pour une dramatisation de Cana, petit village mythique au Sud qui a tristement volé la vedette à l’actualité cet été à cause d’une sanglante guerre israélienne. Tel est le spectacle, en arabe, de «Tarik ila Cana» («La route vers Cana») de Jalal Khoury, qui en signe le texte et la mise en scène. Depuis «Geha aux villages frontaliers»,...