Rechercher
Rechercher

Actualités

Commentaire - Le point de vue d’un professeur de l’Université de Californie Friedman a complété les travaux de Keynes Par J. Bradford DELONG*

L’économiste le plus connu et le plus influent du siècle dernier est décédé en novembre. Milton Friedman n’est pourtant pas le plus connu ni le plus influent au monde – l’honneur revient à John Maynard Keynes, même si Milton Friedman le suit de près. D’une part, Friedman était l’élève vedette, le successeur de Keynes et il a même complété ses travaux. Dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Keynes a posé le cadre que presque tous les économistes utilisent aujourd’hui : un cadre reposant sur l’importance des dépenses et la demande, sur les facteurs déterminant les dépenses, sur la théorie de la préférence pour la liquidité des taux d’intérêt à court terme et sur la nécessité d’interventions stratégiques et puissantes des gouvernements, afin de maintenir l’économie stable et d’éviter les extrêmes de la dépression et les excès frénétiques. Comme le dit Friedman : « À présent, nous sommes tous keynésiens. » La théorie de Keynes était pourtant incomplète : elle portait sur l’emploi, l’intérêt et la monnaie, non pas sur les prix. Friedman y a ajouté une théorie sur les prix et sur l’inflation, d’après l’idée du taux de chômage naturel et des limites de la politique publique – au-delà desquelles l’intervention de l’État déclencherait une inflation incontrôlable et destructive – en vue de stabiliser l’économie et de parvenir à une tendance croissante durable. Qui plus est, Friedman a rectifié le cadre de Keynes sur un point très important. L’expérience de la Grande Dépression a conduit Keynes et ses successeurs plus orthodoxes à largement sous-estimer le rôle et l’influence de la politique monétaire. Au cours de sa campagne de trente ans, amorcée par l’ouvrage écrit avec Anna J. Schwartz, Histoire monétaire des États-Unis, Friedman a restauré l’équilibre. Il a d’ailleurs ajouté : « Et aucun de nous n’est keynésien. » D’autre part, Friedman était le grand opposant et l’ennemi juré de Keynes et de ses successeurs. Friedman et Keynes s’accordaient à dire que la gestion réussie de la macroéconomie est nécessaire – que l’économie privée seule serait sujette à une instabilité insupportable et qu’une intervention économique stratégique, puissante mais limitée du gouvernement permettrait de maintenir la stabilité. Mais alors que pour Keynes l’essentiel était d’équilibrer les dépenses publiques et les investissements privés, pour Friedman, il fallait stabiliser la masse monétaire – en veillant à ce que les entreprises et les particuliers soient incités à profiter de leur pouvoir d’achat. Cette différence technique peut sembler relativement mineure. Elle repose sur des conceptions divergentes de la façon dont le monde fonctionne, qui pourraient être (et finalement étaient) déterminées par les recherches empiriques, diriez-vous. Et vous auriez à moitié raison, car cette différence entre les moyens, les tactiques et les jugements de chacun est au sommet de l’antagonisme entre les philosophies morales de Keynes et de Friedman. Keynes se considérait comme un ennemi du laissez-faire et comme un partisan de la gestion publique. Selon lui, les fonctionnaires intelligents de bonne volonté pouvaient concevoir des institutions économiques supérieures au marché – ou au moins modifier le marché à l’aide de taxes, de subventions et de réglementations en vue de générer des revenus supérieurs. D’après Keynes, les motivations privées des acteurs du marché ne pouvaient être en harmonie avec le bien commun. Keynes avait foi en la technocratie, en des experts compétents pouvant mettre au point des institutions grâce à leur bonté et favoriser la prospérité générale – comme l’a fait Keynes à Bretton Woods, où la Banque mondiale et le FMI ont été créés. Friedman s’y opposait avec véhémence. Selon lui, les intérêts des marchés privés étaient en phase avec ceux de la collectivité : les grands échecs étant l’exception, non la règle, et le laissez-faire une solution de départ plutôt satisfaisante. De plus, Friedman pensait que si les intérêts privés ne s’alignaient pas sur les intérêts publics, il ne fallait pas se fier aux gouvernements pour régler le problème. Il soutenait que les échecs du gouvernement sont bien plus graves et plus terribles que les échecs du marché ; que les gouvernements sont corrompus, ineptes et dirigés par des personnes qui n’aspirent qu’à donner des ordres. En même temps, Friedman était d’avis que même lorsque l’équilibre du marché n’est pas le meilleur atout utilitariste de protection sociale, et même lorsque les gouvernements sont en mesure d’améliorer la situation d’un point de vue utilitaire, il est toujours préférable de laisser la plus grande marge de manœuvre possible aux individus. Selon Friedman, laisser les gouvernements commander et donner des ordres aux gens a quelque chose d’intrinsèquement mauvais – même si les gouvernements savent ce qu’ils font. Je ne saurais dire qui de Keynes ou de Friedman était le plus juste dans sa conception du monde, mais je pense que la tension entre leurs points de vue a été une force motrice de grande valeur pour les progrès humains des cent dernières années. * J. Bradford DeLong est professeur d’économie à l’Université de Californie à Berkeley et ancien collaborateur du secrétaire d’État américain à l’Économie durant le mandat du président Clinton. © Project Syndicate, 2006. Traduit de l’anglais par Magali Decèvre
L’économiste le plus connu et le plus influent du siècle dernier est décédé en novembre. Milton Friedman n’est pourtant pas le plus connu ni le plus influent au monde – l’honneur revient à John Maynard Keynes, même si Milton Friedman le suit de près.
D’une part, Friedman était l’élève vedette, le successeur de Keynes et il a même complété ses travaux. Dans sa...