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Actualités - REPORTAGE

Droits de l’homme - La secrétaire générale d’Amnesty international insiste sur la nécessité d’une réforme globale du système judiciaire Irene Khan à « L’Orient-Le Jour » : « Les Libanais doivent trouver une solution pacifique à la crise »

À la fois première femme, première Asiatique (de nationalité bangladaise) et première musulmane à la tête de l’organisation la plus importante des droits de l’homme, Amnesty international, qu’elle a rejoint en août 2001, Irene Khan a clôturé une visite de trois jours au Liban. C’est au cours d’un entretien téléphonique avec « L’Orient-Le Jour », quelques minutes avant son envol pour Israël, qu’elle a passé en revue les divers aspects de l’étape libanaise de sa tournée régionale et insisté pour une solution pacifique à la crise, dans ce pays dont l’histoire est marquée par de nombreuses atteintes aux droits de l’homme. Survenant en pleine crise, cette visite libanaise a été, pour la secrétaire générale d’Amnesty international, l’occasion d’appeler l’ensemble des protagonistes, de quelque côté qu’ils soient, « à un leadership responsable et à la recherche d’une solution pacifique à la crise ». Après avoir rencontré des personnalités politiques de tous bords, notamment le président Émile Lahoud, le Premier ministre, Fouad Siniora, le président de la Chambre, Nabih Berry, le ministre de l’Intérieur, Hassan Sabeh, le ministre démissionnaire Mohammad Fneich, ainsi que de nombreux parlementaires, dont les membres de la commission parlementaire des Droits de l’homme, Irene Khan a regretté le fait que « chacun est convaincu qu’il est dans son droit et qu’il doit maintenir ses positions ». Cette polarisation extrême dans les positions constitue « un grand risque », déplore-t-elle, précisant que pour le moment, la manifestation se déroule de manière pacifique, mais que « les risques de manipulation sont élevés ». Le passé du Liban ayant été marqué par « des violences interconfessionnelles et des violations des droits de l’homme », Amnesty International met en garde l’ensemble de la classe politique contre « une résurgence de la violence » qui pourrait conduire à « de nouvelles violations des droits de l’homme ». Elle appelle aussi cette même classe politique à œuvrer pour éviter une répétition des erreurs du passé. « Amnesty International n’adopte aucune position politique », tient aussi à affirmer Irene Khan, précisant que l’organisation veut « protéger les droits humains et insiste de ce fait pour une issue pacifique à la crise ». Mettre fin à l’impunité Le séjour au Liban d’Irene Khan a également été marqué par un appel à une réforme globale du système judiciaire libanais. Elle demande notamment l’abolition du tribunal militaire pour les crimes civils, l’abolition de la cour de justice dont les verdicts sont sans appel et l’abolition de la torture comme moyen de soutirer des aveux. Et ce au cours d’une rencontre avec le ministre de la Justice, Charles Rizk, en présence du président du département de législation et des consultations au ministère de la Justice, le juge Chucri Sader. Irene Khan a, de plus, appelé au respect par le Liban des conventions internationales des droits de l’homme, et à la signature du Statut de Rome de la cour pénale internationale. Elle a aussi invité la justice libanaise à mettre fin à « l’impunité » par l’édification d’un tribunal à caractère international qui contribuera à faire cesser les crimes politiques. Mais cette initiative ne suffit pas et « la justice devra parallèlement prendre un certain nombre d’initiatives pour défendre les droits de tous les citoyens et non pas ceux d’une seule partie », estime la secrétaire générale d’Amnesty International. « Dans l’histoire du Liban, il y a un nombre important d’abus qui n’ont pas été sanctionnés », constate-t-elle, précisant que « l’absence de mécanismes de sanction contre les abus a engendré un manque de confiance total, accompagné de suspicion dans le système judiciaire libanais ». Irene Khan dénonce notamment les abus qui ont eu lieu durant la « guerre civile », comme les disparitions forcées. « On dénombre 17 000 cas de disparitions durant la guerre civile. Mais personne n’a jamais connu leur sort. Certaines personnes ont disparu au Liban, alors que des familles disent que leurs proches sont détenus en Syrie », observe-t-elle, demandant aux comités responsables de ces dossiers de rendre publics leurs rapports. À ce sujet, poursuit-elle, « l’objectif principal d’Amnesty International est que ceux qui ont commis des abus rendent des comptes ». Elle demande à ce propos « l’abrogation des lois d’amnistie afin que des enquêtes soient conduites concernant les abus commis durant la guerre et que les crimes soient punis ». L’accès aux prisonniers israéliens Irene Khan dénonce aussi les abus commis cet été au Sud, par les deux parties (Israël et le Hezbollah) et qui ont été publiés dans le dernier rapport d’Amnesty International. « Ma visite au Liban m’a permis de me rendre au Sud et de constater concrètement les violations des droits de l’homme commises durant la guerre de juillet », observe-t-elle. De Tyr, à Cana, à Khiam, la secrétaire générale de l’organisation qui a conduit plusieurs missions consécutives à la guerre de juillet, au Sud, a pu constater l’ampleur des destructions. Elle a aussi rencontré les habitants, les proches des victimes et les survivants des massacres commis par l’armée israélienne dans certains villages. « J’ai touché de près la souffrance vécue par la population de ces régions. C’était extrêmement émouvant », dit-elle. Irene Khan dénonce aussi la présence des bombes à sous-munitions, qui empêchent la population du Sud de vaquer à ses activités agricoles et continuent de faire des victimes au quotidien. « Amnesty International a d’ailleurs appelé à un moratoire sur l’usage des bombes à sous-munitions qui sont à l’origine d’un grave problème humanitaire », souligne-t-elle, tout en insistant sur le fait que l’organisation ne s’arrêtera pas à ce stade, d’autant que les principales victimes de ces bombes sont des civils. « Nous demandons sans cesse qu’Israël nous remette les plans détaillés des endroits où ont été larguées des bombes à sous-munitions. Mais en vain », ajoute Mme Khan. La secrétaire général d’Amnesty International parle aussi de la reconstruction, de l’assistance, et des compensations dont bénéficie la population du Sud. « Les choses suivent leur cours », constate-t-elle. Mais elle fait part des craintes de la population de voir la crise politique actuelle empêcher le gouvernement d’accorder l’importance nécessaire à la reconstruction. Sur le dossier des prisonniers libanais détenus en Israël et des prisonniers israéliens détenus par le Hezbollah, Irene Khan indique qu’elle a abordé le problème avec certains responsables du parti de Dieu qu’elle a rencontrés. « J’ai demandé au Hezbollah de permettre à la Croix-Rouge d’avoir accès aux prisonniers israéliens. Mais ils ont refusé, tout en indiquant que ces prisonniers se portaient bien. Le respect de cette loi humanitaire est pourtant une obligation », insiste-t-elle, ajoutant qu’il est important de s’assurer que les prisonniers sont bien traités. Elle a également précisé qu’elle abordera le problème avec les autorités israéliennes, au cours de cette même tournée. À l’issue de sa visite, la secrétaire générale d’Amnesty International a adressé un message aux Libanais : une justice pour tous et le respect des lois internationales sont nécessaires dans ce pays qui a récemment traversé une terrible guerre et dont l’histoire est entachée d’atteintes aux droits de l’homme. Les conseils d’Irene Khan ont été, sans aucun doute, attentivement écoutés par les autorités locales. Seront-ils un jour mis à exécution ? Anne-Marie EL-HAGE

À la fois première femme, première Asiatique (de nationalité bangladaise) et première musulmane à la tête de l’organisation la plus importante des droits de l’homme, Amnesty international, qu’elle a rejoint en août 2001, Irene Khan a clôturé une visite de trois jours au Liban. C’est au cours d’un entretien téléphonique avec « L’Orient-Le Jour », quelques...