Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

IMPRESSION Le mythe de l’éternel départ

Longtemps sur une muraille du « ring » Fouad Chéhab, un graffiti désabusé soupirait : « Partir, revenir, c’est le destin des hirondelles. » Hirondelles nous sommes. L’hiver nous vole dans les plumes et le printemps nous ramène épuisés. Paris, Londres, Sydney, Montréal, New York, Rome, Rio, Helsinki, Le Caire, il y a toujours un Libanais quelque part, qui attend un autre Libanais. Qu’une tempête s’annonce, et parfois déjà par gros temps, invariablement nous partons. La paix, la sérénité, la fortune forcément sont ailleurs. Chez nous, c’est tout petit. Si petit que la moindre secousse y est un séisme. Que dire quand c’est la guerre ? La guerre, nous sommes nés avec. Nos enfants n’y ont pas échappé. Comme les marins le temps, nous savons la renifler. Nous n’attendons plus que ses grondements se rapprochent pour plier bagage. Ce n’est pas malin, la guerre tue toujours plus de civils que de combattants. On ne nous reprendra plus à jouer les otages, les gages, les images, les ardoises à statistiques, les remparts humains, « le pauvre peuple ». Au loin nous refaisons nos nids. Parfois avec trois brins de paille, il faut ce qu’il faut, à la guerre comme à la guerre. Quand on sort d’un abri, un studio vous semble un palace. Et puis la vie s’installe, des habitudes viennent en remplacer d’autres. L’école dès l’aube, la fac, le boulot, les courses, ciné, télé, et le soir, quelques amis qui auront eu le courage de « bouger ». Ce que l’on vit d’extraordinaire, en somme, c’est la normalité. Sauf que tout cela ne sera jamais normal tant qu’il y manquera l’odeur et la chaleur de chez nous. Alors de Sydney à Paris nous comptons sur nos doigts le décalage horaire et nous vivons pendus au téléphone. Et nos rhumes, nos migraines, nos rages de dents, nos soucis professionnels, nos succès, nos bulletins scolaires prennent au pays une ampleur d’événements. Condamnés à ce grand écart, certains ont choisi de vivre deux vies. Moitié ici, moitié ailleurs, ils fuient de l’une à l’autre comme on traverse un miroir. Ici ou là, réduits à une part de soi-même qui s’attache à ignorer l’autre part. Y a-t-il dans le mot « dé/part » l’idée terrifiante de se couper en deux ? Ceux qui restent envient parfois ceux qui sont partis. Plus qu’à n’importe qui au monde, « ailleurs » nous est magique. Ailleurs, c’est la stabilité, la possibilité d’entrevoir l’avenir, de ne pas être l’unique objet d’acharnement du sort. Mais pour peu que l’on s’éloigne, une autre malédiction nous rattrape. Nos pas sont lourds de la terre qui nous colle aux souliers, nos contours se languissent du moule qui les a formés, et bien vite le vol de l’aigle est lesté d’une pensée d’hirondelle. Fifi ABOU DIB
Longtemps sur une muraille du « ring » Fouad Chéhab, un graffiti désabusé soupirait : « Partir, revenir, c’est le destin des hirondelles. » Hirondelles nous sommes. L’hiver nous vole dans les plumes et le printemps nous ramène épuisés. Paris, Londres, Sydney, Montréal, New York, Rome, Rio, Helsinki, Le Caire, il y a toujours un Libanais quelque part, qui attend un autre...