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WEB CULTURE - Son créateur, George Plimpton, a découvert les plus grands écrivains des cinquante dernières années «The Paris Review»: une caverne d’Ali Baba littéraire désormais sur le Net

Une des plus prestigieuses revues littéraires de langue anglaise, «The Paris Review», a entrepris de rendre disponibles en ligne les interviews d’écrivains publiées depuis sa création dans les années 1950. Adresse: http://http://www.theparisreview.com/literature.php/prmDecade/1950 Pêle-mêle: Truman Capote, Lawrence Durrell, Graham Greene, Louis-Ferdinand Céline, François Mauriac, Pablo Neruda, Simone de Beauvoir et beaucoup d’autres... y parlent de leur rapport avec l’écriture. Bien loin de se limiter à l’habituelle petite page de bavardage superficiel, ces interviews sont autant de longues conversations en profondeur et non dénuées d’humour (donnons pour seul et unique exemple la description d’Henry Miller en moine bouddhiste qui aurait avalé un canari...). En bref, c’est là une vraie caverne d’Ali Baba (en anglais). À l’origine de cette revue qui règne depuis cinquante ans sur les lettres américaines, son fondateur, George Plimpton. Ce monsieur a découvert les plus grands écrivains de ce dernier demi-siècle, mais aussi pratiqué tous les sports au plus haut niveau, accumulant les défis et les best-sellers. On dit de lui qu’il a tout vu, tout fait, tout essayé. Journaliste, essayiste, acteur et scénariste, sa vie était un roman. «La vie que nous avons tous rêvé de vivre», précise, dans un grand éclat de rire, Norman Mailer, son ami depuis cinquante ans: «Si je devais renaître demain et si je n’étais pas Norman Mailer, j’aimerais être George Plimpton.» Qui ça? George Ames Plimpton, dit GAP, né en 1927 et décédé en 2003 à New York. Pour nous, c’est un inconnu; aux États-Unis, il était devenu une superstar. Les télévisions se l’arrachaient pour qu’il joue dans leurs spots publicitaires; les producteurs des Simpson, la série animée culte, l’ont convaincu de prêter sa voix à l’un des personnages de la saison en cours; les plus grands cinéastes insistaient pour qu’il tienne un rôle, même fugitif, dans leur dernier film; aux exubérantes soirées qu’il donnait à Manhattan, on se pressait pour croiser Bill Clinton ou Jack Nicholson, Lauren Bacall ou Tom Wolfe; à l’écrit comme à l’oral, il n’est pas un commentateur sportif qui ne revendique son influence; et tous les jeunes écrivains d’Amérique rêvent d’être publiés dans The Paris Review qu’il a fondée voilà maintenant cinquante-trois ans et dont l’étoile ne cesse de briller. Plimpton, c’est le rêve américain fait chair. La preuve que l’on peut tout oser, tout réussir, pour peu que l’on pense hors des limites. Cet homme-là, George Plimpton, a fait de sa vie une œuvre d’art. Il n’était pas seulement l’une des personnalités les plus marquantes de la scène people de New York, il était aussi l’incarnation de cinquante ans d’histoire des États-Unis. Des Américains à Paris Tout a commencé à Paris, pendant l’hiver 1953. À l’époque, ils sont nombreux à mettre le cap sur la «vieille Europe». Il y a là le grand romancier William Styron. Dans les bistrots de la Rive gauche, il rencontre un autre futur géant des lettres américaines, Peter Matthiessen. Ce dernier a une idée folle: créer une revue où l’on parlerait vraiment de littérature, sans complaisance ni compromis, en défrichant le secteur de la poésie, en accordant une place aux jeunes romanciers... Le projet mûri, ils font alors appel à un vieil ami: George Plimptin. Né en 1927 dans la grande bourgeoisie new-yorkaise, Plimpton avait lancé, à Harvard, une petite revue étudiante, puis terminé ses études de lettres au prestigieux King’s College de Cambridge, en Angleterre. Et voici George Plimpton à Paris, patron d’un titre qui fait ses premiers pas dans un silence total. Plimpton possède une énergie débordante. L’homme, pince-sans-rire, est un joyeux drille, un amateur de blagues et de coups d’éclat, de bagarres et de soirées arrosées. Plimpton parvient à convaincre les Éditions de La Table ronde d’héberger gratuitement la Review. On leur octroie une pièce minuscule qui sert de débarras. Petits moyens, mais grosse réputation: dès le premier numéro, The Paris Review s’impose par son ton et son casting. Beckett, Greene, Capote et les autres Plimpton fourmille d’idées. Pour illustrer la revue, il appelle à la rescousse de jeunes artistes nommés Christo, Andy Warhol, De Kooning ou Rauschenberg. Un jour, il décide de faire la tournée des restaurants de la capitale et d’inspecter les livres d’or; la revue exhumera ainsi les dessins inédits de Matisse, de Picasso, d’Eluard, de Toulouse-Lautrec ou de Cocteau, tracés d’un coup de plume sur les nappes en papier de ces cantines d’artistes. Mais Plimpton comprend aussi la nécessité de s’attacher quelques grands noms du monde des lettres. À l’époque, les phares s’appellent Sartre et Beauvoir, Malraux et Camus. Engoncés dans un antiaméricanisme primaire, les deux premiers n’accordent même pas un regard à ces jeunes yankees qui rêvent de gloire littéraire. Malraux arpente son désert intime en écrivant sur l’art et Camus est absorbé par Combat. Plimpton se tourne alors vers Antoine Blondin, Henry de Montherlant, François Mauriac, Jean Cocteau, Céline, Jean Genet, Georges Simenon, Françoise Sagan... Éditée à Paris mais vendue à New York, The Paris Review fera connaître en Amérique tous ces écrivains français. Elle permettra, surtout, aux romanciers de s’exprimer directement sur leur œuvre, à travers des entretiens fleuves. «C’était la première fois qu’une revue interrogeait les écrivains sur leur conception de l’écriture, sur leur travail», racontait Plimpton. Tous se prêteront au jeu, assurant le succès de la revue et son prestige sur la scène internationale. Françoise Giroud, lorsqu’elle dirigeait L’Express, avait coutume de dire que l’art du portrait avait été «inventé» par le New Yorker et l’art de l’entretien par la Paris Review! Plimpton parvient à convaincre les plus célèbres de se mettre à nu: Hemingway (dont il deviendra l’ami et qui l’emmènera pêcher le tarpon à Key West jusqu’à son suicide tragique en 1961), Faulkner, Dos Passos, Nabokov, Graham Greene, Truman Capote, mais aussi Alberto Moravia ou Samuel Beckett (qu’il introduit aux États-Unis)... La Paris Review ne publie pas de critiques littéraires, mais de la fiction: des nouvelles, de la poésie, parfois les premières versions de romans. Et, au fil des ans, tous voudront écrire dans la Review, l’abreuveront de textes inédits: Henry Miller, Ezra Pound, Norman Mailer, Saul Bellow, John Updike, Jim Harrison, Jorge Luis Borges, Pablo Neruda, Gabriel Garcia Marquez, Henri Michaux, Salman Rushdie, Don DeLillo... Pourtant, ce n’est pas cette liste de contributeurs, si prestigieux soient-ils, qui a fait de The Paris Review une institution mythique. Ce sont les «découvertes» de Plimpton et de son équipe. Car si l’homme aime faire plancher les grands de ce monde, il donne la pleine mesure de son talent en traquant les nouvelles voix. Depuis cinquante ans, The Paris Review est la tête chercheuse la plus efficace et la plus sûre du monde littéraire, et les éditeurs américains s’arrachent les prodiges que déniche Plimpton. Plimpton possédait un flair unique. En effet, il suffit de parcourir la liste des écrivains qui firent leurs premiers pas dans la Paris Review pour saisir la portée du phénomène: Nadine Gordimer, V. S. Naipaul, Günter Grass (qui obtiendront tous trois le prix Nobel de littérature), James Salter, T. C. Boyle, Richard Ford, George Steiner... Maya GHANDOUR HERT
Une des plus prestigieuses revues littéraires de langue anglaise, «The Paris Review», a entrepris de rendre disponibles en ligne les interviews d’écrivains publiées depuis sa création dans les années 1950. Adresse: http://http://www.theparisreview.com/literature.php/prmDecade/1950
Pêle-mêle: Truman Capote, Lawrence Durrell, Graham Greene, Louis-Ferdinand Céline, François...