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Actualités - OPINION

EN DENTS DE SCIE À l’est d’Éden

Trente-sixième semaine de 2006. Il y a effectivement de quoi se fatiguer, même pour quelques instants, d’être libanais. Jamais, dans l’histoire de ce pays, le monde n’aura été aussi présent ; jamais l’aide politique, financière, économique, sécuritaire, morale, sociale de la planète dans sa quasi-totalité n’aura été aussi impressionnante ; jamais les efforts pour redorer la réputation hypersouillée du Liban, pour redonner, en lui, toutes les confiances, attirer tous les investisseurs, n’auront été aussi assidûment fournis ; jamais la nécessité d’en finir avec la plus petite des guerres des autres sur le territoire libanais n’aura été autant martelée – à commencer, si, par le lobby juif américain. Et, en même temps, jamais ou presque, à l’intérieur, le Libanais n’aura été aussi peu à la hauteur ; rarement une telle cacophonie, stérile, handicapante, peut-être létale, aura pris le pas sur ce tonitruant unisson qui aurait dû, lui, prévaloir, sur ce minimum pas de reconnaissance du ventre, d’humilité, de gratitude que l’on aurait dû avoir à l’égard d’un monde qui s’est mis en fusion pour un seul pays, mais juste ce minimum de décence. Qui veut qu’on devrait avoir honte de ne pas bouger le petit doigt, de ne pas tout faire pour se montrer dignes des mains tendues, tout faire pour arracher l’admiration du monde ; qui veut qu’on devrait avoir honte de faire du sabotage, quand les autres, tous les autres, à l’exception, évidemment, de la Syrie, se mettent en quatre. Il est mignon, Ali Ammar, quand il parle, à propos de la levée du blocus, d’une nouvelle victoire du Hezbollah sur Israël – à moins que, pour lui, Hezbollah et Liban ne font plus qu’une seule et même entité. Autant le parti de Dieu a su, sans gagner lui-même, infliger une retentissante défaite à l’armée israélienne, autant la paix, l’arrêt de la mort, la levée d’un infamant blocus et le déluge de soutiens, un peu plus nombreux chaque jour, le Liban et les Libanais les doivent au gouvernement et à son chef, seuls dépositaires de la confiance de la communauté internationale (eh, oui : comme on peut être anti-Hezbollah sans être pro-Israël, on peut, cela arrive, ce n’est peut-être pas drôle, quand on est dans l’opposition, inspirer la confiance du monde sans être son vassal). Qu’on se le dise : il ne peut y avoir aucune reconstruction, aucune relance, aucune résurrection effectives sans, aujourd’hui, Fouad Siniora à la tête d’un gouvernement moderne et civilisé, c’est-à-dire un gouvernement capable de prendre les décisions qui s’imposent sans les virus ou les parasites d’une minorité de blocage. Et ce ne sont ni les donations personnelles offertes à Michel Aoun ni les pétrodollars de Téhéran donnés à Hassan Nasrallah (et qui provoquent de plus en plus l’incompréhension du peuple iranien, qui estime avoir la priorité…) qui pourraient reconstruire, relancer, ressusciter. Au lieu d’exceller, comme il pourrait très certainement le faire, dans une opposition constructive, vigilante, attentive aux moindres faux pas, erreurs ou fautes graves de la majorité et du gouvernement ; au lieu de faire acte d’utilité publique, comme toutes les oppositions civilisées, le CPL continue d’abonder dans sa nauséeuse campagne, dans son entêtement à sans cesse appeler à la chute du cabinet Siniora. Quant au Hezbollah, seuls les murs des bunkers de ses dirigeants savent ce qu’il pourrait bien être en train de préparer sur le plan politique. Réponse d’un connaisseur, pragmatique génial ou grand naïf : « Rien, absolument rien. Le Hezb veut juste faire comprendre une chose : que le musulman, désormais, c’est le sunnite et le chiite, et plus seulement le chiite ; il veut faire comprendre qu’il ne peut plus être marginalisé, qu’il est désormais un acteur à part entière, exactement comme le sunnite. » À la bonne heure, à condition que ce Hezb ne s’amuse pas à toucher à la formule libanaise, à la démocratie consensuelle, aux recommandations de Mohammad Mehdi Chamseddine. Le problème, c’est qu’involontairement, inconsciemment ou pas, Michel Aoun et Hassan Nasrallah sont devenus ou restent ces maillons faibles sur lesquels peut compter, au moins dans ses fantasmes, la Syrie des Assad. Un œil acéré dit justement que si le Hezb veut essayer de changer la donne, c’est vers Damas qu’il faut regarder. Damas désormais pestiféré, Damas totalement seul si Téhéran obtient quelques assurances, quelques compromis sur son nucléaire, Damas désormais de plus en plus acculé et qui garde, ne serait-ce que par le biais des groupuscules palestiniens qui lui sont inféodés, un pouvoir certain de nuisance, Damas qui pourrait rallumer le front du Golan, qui pourrait, à la limite, provoquer une guerre interne – Serge Brammertz devrait faire vite… Empêcher qu’une nouvelle mort ne vienne de l’Est ou du Nord, maintenant que le Sud est en voie d’imperméabilisation, c’est, aussi, contribuer à retransformer la réputation du Liban, augmenter le pouvoir d’attraction de ce pays qui, comme la lune, ne peut briller, éclater, que s’il est dans l’orbite du soleil, que si, sur son territoire, pullulent les gens, venus de partout, explose la vie, grouillent les transactions, humaines, financières, culturelles, peu importe. Ce pays est un paradis, et, bien guidé, bien critiqué, bien mis en garde, le gouvernement Siniora, avec toutes ses imperfections, est le seul à même de gérer cette donne. Ce pays est un paradis, surtout si personne ne le quitte, si tous ceux qui en sont partis reviennent. Ziyad MAKHOUL
Trente-sixième semaine de 2006.
Il y a effectivement de quoi se fatiguer, même pour quelques instants, d’être libanais. Jamais, dans l’histoire de ce pays, le monde n’aura été aussi présent ; jamais l’aide politique, financière, économique, sécuritaire, morale, sociale de la planète dans sa quasi-totalité n’aura été aussi impressionnante ; jamais les efforts...