Performances et leur inverse

Les Libanais sont friands de performances. Et nous fûmes, récemment, gratifiés de deux grandes performances annoncées par les médias. La première avec Maxime Chaya, qui a accompli un acte rarissime: relever le défi de l’Everest et escalader le plus haut sommet de la terre. La seconde avec Charles Achi, savant éminent de la NASA, qui a mis au point un nouveau procédé de conquête de l’espace, professeur parfaitement trilingue et brillant conférencier international. Hélas, dans la même semaine, Némésis, la déesse de la vengeance, estimant que le Liban n’avait pas subi assez de malheurs, nous a affligés d’une contre-performance exécutée à travers le chef de l’État: celui-ci a réussi à loger, dans le minimum d’espace (de journal), le maximum de déclarations aberrantes, porteuses de sinistres nuages pour un pays qui se débat dans de si graves difficultés. Une vraie performance, dont on jugera par les strictes citations suivantes: 1 – «Lorsqu’on envoie l’armée à la frontière et qu’on est toujours en état de guerre avec Israël, elle se transforme en agent de circulation.» 2 – «Ceux qui réclament aujourd’hui le désarmement de la Résistance complotent malheureusement contre le Liban» (autrement dit, d’après Lahoud, ce sont des traîtres). 3 – «Il est nécessaire de soutenir cette Résistance jusqu’à l’établissement d’une paix juste et globale (restitution du Golan, retour des Palestiniens dans leurs foyers, etc.» 4 – «Ce que la Résistance peut faire, l’armée ne peut le faire, et vice versa.» En résumé, selon les propos ci-dessus (quitte à nous répéter): 1 – l’armée à la frontière ne servirait à rien, sauf à être un «agent de circulation»; 2 – les partisans de la démilitarisation de la Résistance sont des comploteurs, c’est-à-dire des traîtres; 3 – la Résistance doit demeurer opérationnelle jusqu’à une paix avec Israël (globale et juste); 4 – l’armée ne peut faire autant que la Résistance. Puisque Lahoud met toute sa fierté dans la Résistance, il a omis de nous rappeler que celle-ci dispose de 12000 « katiouchas » capables «d’obliger les Israéliens à descendre dans les abris», selon le postulatum suivant: l’ennemi va se terrer, incapable de venir dans notre ciel nous arroser de quelques bombes sur nos installations vitales comme l’électricité, l’eau, les réservoirs de pétrole, etc. Lorsque c’est le chef de l’État lui-même qui profère de tels propos inconséquents, traitant de traîtres ceux qui ne sont pas de son avis, prônant des idées inadmissibles pour le simple bon sens, ce serait bafouer l’intelligence des citoyens que l’on gardât un silence indifférent. Albert SARA