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Actualités - OPINION

IMPRESSION À propos de la mer

La mer, on n’en parle pas, disait Duras. Dégoût, vieille rancune ou simple superstition ? La mer est là, c’est tout. Elle est notre frontière. Les poissons d’un côté, et nous de l’autre. Dirais-je que je n’aime pas la mer ? Je n’en sais rien. Je suis de la montagne. La mer me fascine et m’effraie. En même temps, je ne peux pas imaginer un pays dont l’eau ne soit pas l’horizon. Je n’ai jamais compris le mouvement des vagues, leur course vers la côte, leur ténacité, leur vaine assiduité à se fracasser sur le rivage. J’ai parfois pensé qu’à force de manger la pierre, elles ne nous laisseraient pas un bout de terre sèche sous les pieds. Mais à peine arrivées, elles battent en retraite, disparaissent dans le sable la tête la première, ou filent vers le large à reculons. Alors la bête vous attendrit. Vous posez la main sur son grand ventre bleu. Une respiration douce la soulève et la baisse. Il n’y a qu’à se laisser porter. Le corps tout entier s’allonge, confiant, et la mer berce comme d’instinct. La nuit, elle berce encore en rêve. Au réveil, la joue est douce d’avoir encore dormi contre la peau de l’eau. Ne pas parler de la mer, quand elle est l’évidence. Au Liban, où que l’on soit, on sent sa présence, même derrière les montagnes qui croient la cacher, même dans les feuillages, même dans le vent. Par on ne sait quel mystère, elle baigna les collines de mon enfance où nous ramassions des coquillages pierreux parmi les pins. La mer a toujours pris les hommes. Elle a peuplé sa rive de navigateurs et de marins. Que faisaient les femmes quand ils étaient partis ? Elles attendaient. Aux hommes la mer a appris l’audace, aux femmes, la patience. Et puis elle a entouré leurs visages du fichu noir de la résignation. Mères de prisonniers, mères d’otages, mères de héros assassinés, mères de Mayo, de juin, de décembre et de toutes saisons, leur deuil se délave et sous le noir émerge un bleu confus. D’où viendrait-il, sinon de cette longue fréquentation du large, de l’atavique apprentissage de la séparation ? Fifi ABOU DIB
La mer, on n’en parle pas, disait Duras. Dégoût, vieille rancune ou simple superstition ? La mer est là, c’est tout. Elle est notre frontière. Les poissons d’un côté, et nous de l’autre. Dirais-je que je n’aime pas la mer ? Je n’en sais rien. Je suis de la montagne. La mer me fascine et m’effraie. En même temps, je ne peux pas imaginer un pays dont l’eau ne soit...