Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

ÉDITION - Le best-seller de la BD underground, de Marjane Satrapi, en arabe aux éditions de la CD-Thèque «Persepolis», la révolution iranienne à travers les yeux d’un enfant

Marjane Satrapi est une pionnière. Et «Persepolis», son autobiographie en 4 tomes, un petit événement: il s’agit tout simplement de la première bande dessinée iranienne de l’histoire. Bon, il est vrai que si elle ne résidait pas à Paris (depuis 1994), elle n’aurait pas eu la possibilité d’être publiée et «publicisée» autant qu’elle l’a été. Le premier album de «Persepolis» a été vendu à près de 20 000 exemplaires et a été couronné au Festival d’Angoulême. Idem pour le second. Ces deux premiers volumes ont été regroupés en un et traduits en arabe par Mihar aux éditions de la CD-Thèque. La calligraphie arabe, le design de la couverture et la conception artistique sont de Karma Tohmé. À l’origine, cette série a été écrite en français. Succès planétaire oblige, on pouvait la trouver en italien, en anglais et en allemand. On parle même de traductions en japonais et en hébreu. La traduction arabe vient donc couronner une réussite qui a fait couler beaucoup d’encre. Il faut savoir également que Persepolis est au programme de plus de 160 universités américaines (dont Yale et le MIT). Enfin, Marjane Satrapi a été sollicitée pour faire une adaptation cinématographique. Mais au fait, comment cette Iranienne en est-elle venue à raconter sa vie en cases et en bulles? Et, surtout, quelles sont les raisons de cette réussite? Mais d’abord qui est l’auteur de ce best-seller de la BD underground ? C’est l’histoire d’une princesse – le grand-père maternel de Marjane était le fils de Nasreddine Chah, le dernier empereur de la dynastie Qadjar qui a régné en Iran avant les Pahlavi. Et c’est une princesse «rouge», élevée dans une famille très progressiste; en guise de contes de fées, son père lui donnait à lire des BD sur l’histoire du marxisme. Ses parents, des intellectuels très engagés, ont décidé de se séparer de leur fille unique et de l’envoyer en Europe à l’âge de 14 ans pour lui épargner l’oppression d’un régime islamique alors à son comble. Fuyant les préjugés des mollahs iraniens, la jeune Marjane a été confrontée aux préjugés des Européens sur l’Iran et l’islam... C’est en grande partie pour s’attaquer aux idées reçues et autres poncifs sur l’Iran, ses femmes, sa révolution et sa société qu’elle a écrit Persepolis. Après les beaux-arts à Téhéran et une maîtrise de communication visuelle, elle s’est rendue à Paris pour devenir graphiste. Mais Persepolis n’aurait sans doute jamais vu le jour si elle n’avait pas rencontré une bande d’auteurs de BD qui lui ont inoculé le virus des planches. Car l’idée d’utiliser la BD n’avait même pas effleuré Marjane. Pas par mépris du genre, non. Mais tout simplement parce qu’en Iran, cela n’existe pas. «Nous avons de très bons poètes, d’excellents écrivains et cinéastes, des caricaturistes et des dessinateurs de presse. Mais pas de bande dessinée», dit-elle. Voilà donc l’occasion de découvrir la révolution iranienne à travers les yeux d’une enfant. Avec beaucoup de drôlerie et de malice. Car cette gamine pleine de curiosité est souvent délicieusement insolente. On rigole avec elle, mais l’on pleure aussi et on s’indigne des horreurs, des mensonges et des hypocrisies dont est capable l’homme dans les pires circonstances. Au-delà de l’intérêt du reportage ou du témoignage de Marjane, ce qui touche dans ses livres, c’est qu’elle a su retrouver – ou préserver – son regard d’enfant et, comme Marcel Pagnol, nous parler de son enfance avec un ton juste, universel. Que faire de ce voile? On le souligne encore et encore. Qui rend Persepolis tellement séduisant, c’est que ces histoires sont racontées par une petite fille qui pense et se conduit vraiment comme une petite fille de dix ans: la jeune Marjane de la BD nous raconte qu’au début elle ne savait pas trop quoi penser du voile, quand il devint obligatoire, quelque temps après le début de la révolution. Marjane Satrapi dessine les silhouettes de très jeunes fillettes jouant dans la cour de leur école avec leur voile et se demandant ce qu’elles vont en faire: faut-il jouer à la balle avec, ou s’en servir comme d’une corde à sauter?... Son coup de crayon est simple, mais très stylisé et efficace: tout le monde comprend le message de ses dessins et en souriant de plaisir. C’est sans doute ce qui donne à cette série cette touche si particulière: ces histoires sont très politiques et didactiques, et en même temps on les lit et les regarde avec un plaisir sans cesse renouvelé... Dans cette traduction arabe, elle nous raconte l’histoire de sa famille et comment ils ont vécu la révolution contre le chah, ne se privant pas du plaisir de décocher quelques flèches acérées contre le père du chah, Reza Khan, «un petit officier illettré» qui voulait proclamer la République et qui a été convaincu par ses mentors britanniques de fonder un empire «pour que ses ministres cirent ses chaussures»... C’est du moins ce que raconte le père de Marjane à sa petite fille qui croyait, comme sa maîtresse d’école le lui avait appris, que l’empereur avait été choisi par Dieu. Quand Reza Khan a pris le pouvoir, il confisqua tous les biens des Qadjars, et la grand-mère de Marjane raconte à la petite héroïne de la BD qu’ils étaient si pauvres qu’ils n’avaient rien à manger: pour que les voisins ne devinent pas qu’ils étaient si misérables, elle faisait bouillir de l’eau dans la cour de leur maison pour les tromper, c’est le genre de détail qu’adorent tous les Iraniens qui ont vécu des moments semblables, car il est si authentique. Marjane raconte aussi la guerre avec l’Irak et les années les plus dures de la République islamique: les raids aériens, les réfugiés, les «bassidjis» (volontaires pour aller au front) et les patrouilles des gardiens de la Révolution qui vérifient que les femmes portent correctement leur voile et perquisitionnent à l’improviste les maisons à la recherche de cassettes et d’alcool. Pendant ces années, lentement mais sûrement, la petite Marjane grandit et devient une adolescente – et une rebelle. Ses parents décident qu’il vaut mieux l’envoyer en Europe, en Autriche, lui disant qu’ils la rejoindraient très vite. Ils resteront en Iran. Manifestement, Marjane Satrapi n’est «pas politiquement correcte». Elle n’est pas une exilée iranienne de plus qui crache sur la Révolution islamique et glorifie le régime du chah... D’où l’intérêt de lire cette série. Aucune excuse n’est permise. Elle est désormais disponible dans toutes les langues. Maya GHANDOUR HERT
Marjane Satrapi est une pionnière. Et «Persepolis», son autobiographie en 4 tomes, un petit événement: il s’agit tout simplement de la première bande dessinée iranienne de l’histoire. Bon, il est vrai que si elle ne résidait pas à Paris (depuis 1994), elle n’aurait pas eu la possibilité d’être publiée et «publicisée» autant qu’elle l’a été. Le premier album...