Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Notes d’un voyage à Téhéran, Ispahan, Chiraz… Entre islam, nationalisme et nucléaire, l’Iran dans la cour des grands

TÉHÉRAN, de Nayla de FREIGE Au départ – c’est bien le cas de le dire… – , il s’agissait d’une randonnée purement touristique. Une incursion dans un pays où l’on débarque pour la première fois la tête remplie d’idées reçues et préconçues. Premiers réflexes: observer notre guide, jeune femme portant très élégamment pantalon et manteau en coton noir, une veste courte orange et sur la tête un foulard orange, puis feuilleter le Tehran Times, un des deux quotidiens en langue anglaise pour prendre le pouls de l’actualité officielle. À la une donc: le premier satellite iranien Sina-1, lancé dans l’espace en octobre dernier pour les besoins en télécommunications, photographie la planète grâce à ses deux caméras. Et l’essentiel: le président Ahmadinejad vient d’annoncer que Téhéran a rejoint le club des pays disposant de la technologie nucléaire. Ce sont des sujets qui suscitent la fierté d’un peuple nationaliste qui veut faire confiance à ses dirigeants, car, comme le matraquent les responsables, l’énergie nucléaire est un élément essentiel du développement économique. Elle remplacera graduellement les énergies disponibles à l’heure actuelle, permettant de générer plus d’électricité, de supprimer les pannes de courant et de développer les capacités industrielles. Les Iraniens, dociles, préfèrent n’y voir qu’un message pacifique malgré la mobilisation occidentale hostile, plus particulièrement celle des États-Unis. Habiles, la Chine et la Russie restent plus nuancées dans leurs réactions. Quand on leur parle de politique locale, les Iraniens ont tendance à se montrer plus renfermés. Quarante pour cent des personnes inscrites sur les listes électorales avaient choisi de ne pas participer au scrutin présidentiel du 17 juin 2005, remporté par l’actuel président avec 61,69% des voix (19,48% au premier tour). Quoique élu au suffrage universel, l’actuel président a battu des candidats qui étaient présélectionnés par le Conseil des Gardiens, contrôlé par le guide religieux, l’ayatollah Khamenei, le vrai numéro un du régime. Le changement ne peut donc découler d’une élection présidentielle. Civilisations et richesses Soucieux de l’image de leur pays à l’étranger, les Iraniens voudraient encourager les touristes, actuellement peu nombreux, à visiter leur pays au passé et aux vestiges prestigieux. La civilisation la plus ancienne remonte aux Achéménides (700 avant J-C) et la région résonne encore des épopées de Cyrus II le Grand, Darius 1er et Alexandre… Quelques années plus tôt, Zarathushtra, mi-savant mi-prophète, transforma le polythéisme en monothéisme, prônant le libre choix entre le bien et le mal. Le poète Omar Khayyam et le philosophe Avicenne sont iraniens, eux aussi. Profondément attachés à leur histoire, les habitants choisissent encore aujourd’hui des prénoms qui remontent à la Perse antique. Il n’est donc pas rare de tomber sur des Dariush (Darius), Syroush (Cyrus) ou Mithra (déesse de la justice). Ispahan, joyau de la Perse musulmane, devenue capitale culturelle du monde islamique, vaut à elle seule le déplacement, avec sa grand-place, ses ponts, ses mosquées – dont une des plus belles porte le nom d’un théologien chiite de renom, cheikh Lotfallah, venu de Jabal Amel (Liban-Sud) sous le règne du chah Abbas, dit Abbas le Grand (XVIIe siècle). Un magnifique hôtel, l’Abassi, a été aménagé dans un ancien caravansérail Safavide, avec un jardin de toute beauté. Détail touristique : rivalisant avec la cuisine iranienne, deux nouveaux restaurants viennent d’ouvrir leurs portes à Ispahan, un italien et un libanais. À quelques kilomètres plus au sud, Chiraz a été surnommée la ville des roses. Ses palais, ses jardins et les rossignols ont inspiré les grands poètes Saadi et Hafez. Ah ces jardins! Soigneusement entretenus, avec leurs bosquets régulièrement taillés, leurs allées d’une propreté méticuleuse, tout comme, d’ailleurs, les lieux publics, les rues verdoyantes et jusqu’aux banlieues impeccables, surtout en comparaison avec le reste de l’Orient. Quant au bazar de Chiraz, il est sûrement le plus beau d’Iran. Les Iraniens revendiquent leur différence: ils n’ont en commun avec les Arabes que l’écriture et l’islam (90% de la population est chiite). Pour les visiteurs chiites (dont des Libanais et des Syriens), l’Iran est un lieu de pèlerinage avec pour destination le tombeau de Fatima à Qom, celui de son frère, l’imam Reza, à Machhad, et celui de l’ayatollah Khomeyni à Téhéran. Deux vies, intra et extramuros Ici, deux mondes se côtoient, parallèles et combien différents: celui de l’extérieur, dans les rues, les lieux publics, où l’on applique sans broncher les règles imposées par la République islamique; et celui de l’intérieur, dans les maisons, intramuros, loin des regards de la foule. La loi islamique iranienne est stricte: elle interdit, entre autres, l’alcool, la danse et l’homosexualité… Et le port du voile, le «hijab», est obligatoire pour la femme, dès l’âge scolaire. Dans ce monde extérieur, tous obéissent aux règles, même les étrangers. Soit par conviction, soit par intérêt, soit encore pour éviter les problèmes. Une fois à l’intérieur, derrière les portes refermées, chacun fait ce qu’il veut. Il y a longtemps que les responsables ont choisi de fermer les yeux. Officiellement, les chaînes de télévision occidentales demeurent interdites et l’accès à certains sites Internet (les sites pornographiques et les sites d’information comme BBC ou CNN) est bloqué. Pourtant, de nombreux foyers ont installé discrètement des satellites individuels qui leur permettent d’avoir une lucarne sur le monde. Revenons au «hijab». En Iran, la femme doit être couverte. Seuls le visage et les mains peuvent être nus. L’homme, lui, doit couvrir son corps du nombril au genou. Les femmes ont pourtant le goût de la coquetterie. Souvent très maquillées, leurs beaux yeux noirs, aussi bien que l’expression et les traits du visage, bien encadrés, n’en sont que plus attrayants. Le foulard alors ne se cantonne plus au noir et se décline dans toutes les couleurs, laissant apparaître quelques mèches de cheveux décolorés au-dessus du front. Un des mouvements les plus sensuels devient le jeu des mains avec le tissu du foulard. Quoi de plus féminin pour attirer l’attention? Le manteau qu’elles portent sur le pantalon, souvent un jeans, se cintre et raccourcit ; elles l’arrêtent parfois à mi-cuisses. Tout cela suscite le courroux des mollahs, qui viennent de rappeler il y a quelques jours, comme souvent avant les grandes chaleurs, l’obligation de bien porter le voile et les sanctions contre le «hijab» non réglementaire, qui peuvent aller d’une peine de 10 à 60 jours de prison assortie d’une amende variant entre 5 et 50 euros. Une somme importante lorsque l’on sait que le salaire moyen est de 300 à 400 dollars. Malgré ses contraintes, la femme iranienne moderne fait preuve de caractère et s’exprime librement. Elle fréquente l’université, travaille, peut conduire, marche dans la rue en tenant la main de son ami… Quant aux jeunes couples, leurs soucis sont les mêmes que partout ailleurs: fonder un foyer, améliorer leur qualité de vie malgré les difficultés économiques et la corruption. Aujourd’hui, quand on pense que 60% des Iraniens ont moins de 25 ans et que le taux de chômage varie entre 11 et 20% (le chiffre officiel est inférieur à celui d’analystes indépendants), on comprend pourquoi les jeunes des deux sexes retardent leur mariage, ne veulent pas plus d’un ou deux enfants et sont prêts à cumuler deux ou trois emplois mineurs. Avec une population de 70 millions d’habitants, une histoire millénaire, une économie sous perfusion pétrolière, un régime qui plus est a décidé de maîtriser les secrets de l’énergie nucléaire, quoi d’étonnant à voir l’Iran estimer que l’heure est venue pour elle de jouer dans la cour des grands?
TÉHÉRAN, de Nayla de FREIGE

Au départ – c’est bien le cas de le dire… – , il s’agissait d’une randonnée purement touristique. Une incursion dans un pays où l’on débarque pour la première fois la tête remplie d’idées reçues et préconçues. Premiers réflexes: observer notre guide, jeune femme portant très élégamment pantalon et manteau en coton noir,...