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Actualités - OPINION

TRIBUNE Le Tribunal pénal international (TPI) « Rafic Hariri » : opportunité et défis

En adoptant à l’unanimité, le 29 mars, la résolution 1664, le Conseil de sécurité des Nations unies a fait progresser d’un grand pas le dossier de l’attentat qui a coûté la vie au président Rafic Hariri et à ses vingt-deux compagnons. Le secrétaire général de l’ONU a été chargé de négocier avec le gouvernement libanais un accord visant à la création d’un tribunal pénal international afin de juger toutes les personnes qui seront accusées de ce crime, expressément qualifié de « terroriste » par le Conseil de sécurité. Il faut souligner d’emblée qu’avec l’adoption de cette résolution, plusieurs records sont battus : il s’agit de la huitième résolution en un an et demi concernant le Liban (avec les résolutions 1559, 1583, 1595, 1614, 1634, 1644 et 1655); il s’agit du premier tribunal pénal international institué « intuitu personae » pour connaître d’un crime (attentat terroriste) ayant coûté la vie à une personne nommément désignée ; il s’agit enfin d’un remarquable coup d’accélérateur puisque, plutôt que les longs mois ou même les années prévus, trois mois et demi seulement séparent la résolution 1644 du 15 décembre 2005 (qui avait prié le secrétaire général d’aider le gouvernement libanais à déterminer la nature et la forme du tribunal) de cette résolution 1664. Si ce rythme est tenu, le TPI pourra être institué avant la fin de l’enquête internationale, normalement prévue pour le 15 juin 2006, et le résultat de celle-ci pourrait lui être directement soumis, évitant ainsi tout passage à vide et tout problème de dessaisissement des juridictions pénales libanaises. L’internationalité du TPI Rafic Hariri Il nous faut commencer par écarter la mince feuille de vigne derrière laquelle les Libanais tentent de cacher le sexe des anges dont ils se font un plaisir de discuter : ce tribunal pénal sera international (ou ne sera pas) ; l’expression tribunal « à caractère » international, suivant l’expression initialement utilisée par le gouvernement libanais dans sa correspondance avec le secrétaire général, ne correspond à rien de précis. D’ailleurs, si les versions en langue anglaise des diverses résolutions parlent bien d’un « tribunal of an international character », les versions officielles françaises de ces mêmes résolutions ainsi que celle du rapport du secrétaire général portant la date du 20 mars 2006, et qui a servi de soubassement à la résolution 1664, ne parlent que de « tribunal international ». Ce tribunal pénal, qui sera créé en dehors de l’organisation judiciaire libanaise, sera international en ce sens qu’il trouvera sa source formelle dans un acte international (apparemment un accord international entre l’ONU et le Liban). À cela, s’ajouteraient plusieurs éléments d’extranéité, comme la nationalité de certains de ses membres, la localisation de son siège à l’étranger, la tutelle de l’ONU sur son fonctionnement, la prise en compte des normes internationales de justice pénale, etc. Deux sources internationales étaient théoriquement envisageables : le traité bilatéral entre l’ONU et le Liban, et la voie royale d’une résolution du Conseil de sécurité qui institue elle-même le tribunal. Notre préférence va pour la seconde source qui a deux mérites : le premier est d’éviter d’avoir à passer par les méandres politico-constitutionnels libanais pour la négociation, la signature et la ratification d’un accord international ; le second est que la résolution a un caractère « erga omnes », opposable à tous, alors que le traité bilatéral n’a en principe qu’un effet relatif, comme le prévoit l’article 34 de la convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose clairement qu’un traité ne crée pas d’obligations pour un État tiers sans son consentement. Quand on sait que l’unique État tiers directement visé par la Commission d’enquête internationale de l’ONU (UNIIC), et par les résolutions 1636 et 1644, à savoir la Syrie, s’est drapé dans le concept de souveraineté pour s’opposer aux simples demandes d’information et de rencontres formulées par l’UNIIC, pourtant créée par une première résolution (1595) et renforcée par une deuxième résolution (1636), on est en droit de se demander quel serait son degré de coopération avec le TPI Rafic Hariri qui serait créé par un traité bilatéral. Il faudrait qu’une résolution du Conseil de sécurité vienne a posteriori renforcer ce traité bilatéral. Les composantes du TPI Rafic Hariri Comme l’a si bien démontré Michel Foucault dans Surveiller et punir, il n’y a de véritable justice que si les gens voient de leurs yeux le procès conduit, la sentence prononcée et la peine appliquée. Cette appropriation du procès par le peuple, socialement et politiquement nécessaire pour le bon fonctionnement de la justice, ne peut malheureusement pas être garantie dans le procès des assassins du président Hariri. En fixant le siège du tribunal à l’étranger, il a fallu, et ça se comprend, faire prévaloir le souci d’attraire les criminels devant la justice sur celui d’assurer une justice publique-populaire. Le problème résidera dans la dilution de l’intérêt populaire face à un procès se déroulant loin du lieu du crime, dans un cadre aseptisé et dépassionné. Mais il ne faudrait pas que le siège du TPI Rafic Hariri soit fixé, pour de prétendues raisons d’économie, dans un pays proche, tel que Chypre, qui n’a ni l’infrastructure ni la tradition nécessaires pour accueillir un tribunal pénal international, et où la forte présence de toutes sortes de services secrets moyen-orientaux n’est pas pour rassurer les juges libanais qu’il faut précisément soustraire aux pressions en délocalisant judicieusement le TPI. Il faut donc insister pour La Haye, dont le seul nom fait trembler les criminels, et, à défaut, pour une autre capitale européenne. Par ailleurs, la présence de juges de différentes nationalités étrangères au sein du tribunal pénal, de préférence majoritaires par rapport aux juges libanais et aussi de préférence présidés par un juge étranger, est nécessaire pour réduire les pressions sur les magistrats libanais, mais aussi pour assurer aux inculpés un procès équitable suivant les plus strictes normes pénales internationales, comme l’a exigé la résolution 1664. En outre, et afin d’éviter la déperdition du rapport final d’enquête de l’UNIIC, il faudrait éliminer la fonction de juge d’instruction (chère aux systèmes français et libanais) et ne prévoir que la présence d’un procureur à l’américaine, lequel lancera la procédure directement sur base du rapport final. Ce procureur devrait être de nationalité étrangère avec de solides connaissances de droit pénal international et une longue pratique de cette fonction au sein de tribunaux internationaux ; le profil de M. Brammertz s’impose ! À notre sens, la compétence « ratione materiae » du TPI Rafic Hariri devrait être limitée à l’attentat du 14 février 2005, à l’exclusion des attentats qui ont précédé et suivi, malgré le lien évident entre eux que laisse transparaître la résolution 1644. C’est le prix à payer pour éviter que ne s’embourbe une procédure unique couvrant une quinzaine d’actes criminels séparés et impliquant des centaines de différents suspects, victimes, experts, témoins, etc. Enfin, il faudrait à tout prix éviter les pièges du choix du droit libanais avec tout ce que ceci implique comme application de dispositions pouvant avantager les criminels. Il suffit de citer, à titre d’exemple, le traité judiciaire libano-syrien de 1951 qui énumère une longue série de cas dans lesquels la Syrie est en droit de refuser l’extradition, à charge pour elle d’assurer elle-même la mise en jugement des intéressés, avec les risques évidents de dépeçage du procès et de déni de justice. Donc, beaucoup d’opportunités en perspective, mais aussi beaucoup d’écueils. La partie la plus délicate s’ouvre maintenant, et la vigilance s’impose à chaque étape et sur chaque détail. Nasri Antoine DIAB Professeur à la faculté de droit de l’Université Saint-Joseph et professeur invité à la faculté de droit de l’Université de Paris V (2005-2006) Avocat à la cour
En adoptant à l’unanimité, le 29 mars, la résolution 1664, le Conseil de sécurité des Nations unies a fait progresser d’un grand pas le dossier de l’attentat qui a coûté la vie au président Rafic Hariri et à ses vingt-deux compagnons. Le secrétaire général de l’ONU a été chargé de négocier avec le gouvernement libanais un accord visant à la création d’un...