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Actualités - REPORTAGE

Les noctambules y trouvent leur bonheur, mais les habitants son excédés par les nuisances et le tapage nocturne Gemmayzé, un paradis pour certains, un enfer pour d’autres…

La ville et ses rues. Une histoire sans fin… On se souvient de la rue Hamra durant les années 70. L’âme de la capitale, avec ses cinémas, ses boutiques et ses fameux cafés-trottoirs maintenant disparus. Ses Horseshoe, Chez André, L’Express, Café de Paris, Modka et autres lieux mythiques. Puis il y eut, en d’autres temps, autres lieux et autres générations, la rue Monnot qui connut naguère son heure de gloire. Première intrusion dans un quartier à caractère résidentiel et une ascension interrompue par l’émergence du centre-ville. Il y eut enfin Gemmayzé, à la surprise générale, et surtout celle de ses habitants qui la hantent depuis plus de 50 ans. Gemmayzé la charmante, autrefois si calme et aujourd’hui le cœur animé de Beyrouth by night. Le bonheur très applaudi des uns fait certainement le malheur des autres. «Les gens de ce quartier ont envie de dormir. » La pancarte, écrite à la main par une habitante en colère, étonne sans vraiment étonner. Des nuits – blanches – que ça dure. Le bruit, insoutenable, jusqu’à des heures impossibles, le volume de la musique, les discussions téléphoniques animées sur le trottoir, l’interminable bavardage des gens au moment de finir la soirée et se dire au revoir. Ces « visiteurs » de tous les soirs oublient qu’à deux heures du matin et quelquefois plus, les gens de ce quartier ont envie et ont le droit de dormir. C’était, il n’y a pas très longtemps, un des plus anciens quartiers d’habitation de Beyrouth, occupé principalement par des personnes âgées. Un quartier oublié, fermé sur lui-même, vieillissant, comme plongé dans un coma sans fin, loin d’une ville qui semblait s’épanouir ailleurs. Et lorsque, petit à petit, les citadins ont commencé à le regarder, à le voir d’un œil différent, à lui découvrir, pour y vivre, son charme et sa spécificité, Gemmayzé s’est enrobé d’un glamour que même les étrangers lui envient. L’engouement a pris des proportions inattendues. Et d’autres objectifs se sont esquissés. Après les quelques premiers cafés qui étaient alors les bienvenus, la fièvre de Gemmayzé s’est mise à flamber et embraser les esprits. En 4 ans, plus de trente établissements, se frôlant dans ce petit espace, ont ouvert leurs portes sur une diversité de concepts, restaurants et pubs qui marchent tous très bien. Et ce n’est pas fini. La rue Gemmayzé et ses alentours, rue du Liban, plus familièrement appelée « Zaroub el-Haramieh », et jusqu’à l’église Saint-Maron et la rue Pasteur ont été contaminés par la demande et le succès du coin. Aujourd’hui, pour aller boire un verre à un prix raisonnable et dans une ambiance simple et conviviale, pour manger une pizza ou du sushi, prendre un café en lisant son livre, une seule adresse réunit tous ces plaisirs, et c’est bien « Gemmayzé ». Ouvert tous les soirs, sans aucun jour ou nuit de relâche… Au bonheur des noctambules et au grand dam des résidents. Des habitants en colère Gemmayzé by night. Les enseignes se multiplient et ne se ressemblent pas… Un kaléidoscope de couleurs, de noms, de décorations et d’adeptes l’anime tous les soirs. Seulement voilà, ce quartier d’habitations n’était pas préparé à ce débarquement. Encore moins l’avait-il choisi ou avait-il approuvé ce brusque changement dans son quotidien. Pourtant les appartements situés dans les parages, qui se vident au compte-gouttes suite, le plus souvent, au décès d’un vieux locataire, sont guettés par des preneurs impatients. En dépit de la difficulté, voire aujourd’hui l’impossibilité de garer sa voiture en rentrant chez soi, celle de passer une nuit tranquille, en dépit aussi des nouveaux loyers faramineux, qui varient entre 550 et 800 dollars par mois. « 45 ans que nous vivons ici, affirme une « Gemmayziote ». Nous savons que les propriétaires n’ont qu’une envie, nous mettre dehors et nous remplacer par des locataires plus rentables. Mais ce ne sont pas des façons. » Excédés, à bout, les habitants se retrouvent souvent à une heure du matin, en pyjama, en train de hurler sur leur balcon leur besoin de silence. Plus encore et dignes d’un vaudeville qui ne les fait plus rire, certains, ayant véritablement perdu leurs esprits, ne trouvent plus d’autre issue que de balancer un seau d’eau à la tête des passants qui parlent à très haute voix, les ignorant et ne respectant pas leur sommeil. Un scénario qui se répète pratiquement tous les soirs. Une loi à réviser Selon la loi, nous dit-on, qui ne précise pas d’heures, tout bruit excessif est considéré comme nuisance sonore. « Il s’agit surtout, nous explique une avocate experte en la matière, d’endroits qui possèdent une terrasse. » Mais les endroits publics n’ont pas une véritable législation. Le ministre du Tourisme, en collaboration avec les municipalités, surveille les nouveaux endroits en construction et s’assure qu’ils répondent à toutes les normes de sécurité. Quant au mohafez, il est chargé de veiller à l’application des lois et règlements. Il coordonne entre les différents services, en réunit régulièrement les chefs et le personnel ; il surveille la situation politique et économique et rend compte tous les mois à l’Intérieur ; il veille à l’ordre, protège la liberté individuelle et la propriété et demande à cette fin le concours de la force publique. Enfin, il supervise les mœurs et la pudeur publiques, s’appuyant sur l’article 770 du code pénal. « Le problème, poursuit l’avocate qui nous renseigne, vient de cette nouvelle catégorie de lieux publics qui sont les pubs, où l’on ne danse pas spécialement mais où l’on met de la musique, et qui n’entrent, légalement, dans aucune catégorie. En ce qui concerne les boîtes de nuit, il leur est, normalement, interdit de s’installer à proximité des immeubles résidentiels. Il faut donc créer un nouveau classement qui doit répondre à des lois spécifiques pour imposer une conduite à suivre. » En attendant que tout cela s’organise, on fait comme on peut. À l’amiable, en priant gentiment, puis moins gentiment qu’on baisse le son, qu’on arrête les karaokés et autres musiques après une heure du matin. Les Forces de sécurité intérieure, qui logent elles aussi à la rue Gemmayzé, interviennent à la demande. Lorsqu’elles tardent à le faire, les habitants excédés se déplacent jusqu’au poste pour les ramener. Souvent, foi d’un témoin et fidèle des lieux, les FSI entrent au lieu-dit de tous les bruits et baissent la musique. Les premiers avertissements sont verbaux. Lorsque le tapage se répète plusieurs fois, le propriétaire de l’endroit est soumis à une amende dont le montant, fixé par un juge des référés, varie autour de 500 000 LL. Ce qui a tendance à le calmer un moment… Avant que ses bonnes intentions ne se noient dans les vapeurs de la nuit. « Les choses avaient bien commencé, témoigne une dame qui a fini par baisser les bras, impuissante. Les galeries avaient redonné une vie à la rue. Mais à présent, la situation est insupportable. Tous ces endroits sont plus ou moins aussi bruyants. Il y a même un pub qui ouvre ses portes jusqu’à 6 heures du matin. Souvent, le matin, en accompagnant mes enfants à l’école, je vois des traces de vomi sur le trottoir… Il y a aussi les odeurs qui montent jusqu’à nos appartements. Relents de cuisine et de friture, mais aussi fumée de centaines de cigarettes. Je suis obligée de boucher les portes avec des serpillières humides pour empêcher la fumée de rentrer. » Des commerçants peu respectueux Plus vicieux sont les propriétaires de certains pubs qui ont installé un double vitrage vers l’extérieur, mais n’ont point isolé les murs intérieurs et le plafond. Personne n’a surveillé cet aspect de la construction… Les voisins du dessus connaîtront alors des nuits animées, chaque bruit de tabouret, de table que l’on déplace, chaque murmure et évidemment chaque morceau de musique parviendra à leurs oreilles épuisées et en mal de silence. Rien ne sert alors d’alerter les FSI qui passeront en jeep pour une tournée rapide et n’entendront rien ! « Ce sont les propriétaires qu’il faut blâmer, affirme un autre habitant du quartier également outré. En encourageant ce chaos, ils sont en train de défigurer les quelques quartiers d’habitation qui restent. » « Nous n’allons pas refuser, répond un propriétaire, un loyer de 1 500 ou 2 000 dollars par mois contre ce loyer dérisoire de quelques centaines de milliers de livres libanaises que les anciens locataires nous payent depuis 50 ans. Il faut nous comprendre… » Mais allez demander à cette famille avec deux enfants de 5 et 7 ans de comprendre… À cette femme malade, ou à toute personne normalement constituée de subir cette violente intrusion dans sa vie privée, sans pouvoir se défendre ou même connaître ses droits. Pour qu’une cohabitation soit possible et viable, il faudrait d’abord un respect mutuel mais aussi des règles claires qui définissent les droits et les devoirs de chacun. Dans un système qui repose essentiellement sur l’improvisation, c’est sans doute une utopie. On peut rêver, encore faut-il pouvoir dormir pour le faire… Carla HENOUD Selon l’article 758 du code pénal, seront punis de détention jusqu’à trois mois et/ou d’une amende de 40 000 LL à 400 000 LL ceux qui se seront rendus coupables de bruits ou tapages troublant la tranquillité des habitants, ainsi que leurs instigateurs ou complices. Selon l’article 555-556, lorsque la lésion commise aura entraîné une maladie ou une incapacité personnelle de travail dépassant 10 jours, le coupable sera passible d’un emprisonnement qui n’excédera pas un an et d’une amende, ou de l’une ou l’autre de ces peines. En cas de désistement du plaignant, la peine à prononcer sera réduite de moitié. Selon l’article 770 du code pénal, toute contravention aux règlements faits par l’autorité administrative ou municipale sera punie de détention pouvant aller jusqu’à trois mois et /ou d’une amende de 100 000 LL à 600 000 LL.

La ville et ses rues. Une histoire sans fin… On se souvient de la rue Hamra durant les années 70. L’âme de la capitale, avec ses cinémas, ses boutiques et ses fameux cafés-trottoirs maintenant disparus. Ses Horseshoe, Chez André, L’Express, Café de Paris, Modka et autres lieux mythiques. Puis il y eut, en d’autres temps, autres lieux et autres générations, la rue...