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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Le petit-fils d’Oscar Wilde de passage à Beyrouth Merlin Holland, l’avocat du diable Wilde

Au procès d’Oscar Wilde, nous demandons Merlin Holland, unique descendant de l’écrivain à la réputation sulfureuse. Un homme aussi courtois, affable et sage que son aïeul était insolent, flamboyant et provocateur. Mais l’on retrouve chez cet ancien businessman, puis éditeur et enfin écrivain, un flegme très british dont il se sert pour défendre la cause de l’ancêtre. Après avoir publié de nombreux ouvrages visant à appréhender le scandaleux d’une manière plus subtile, plus complète, il sillonne le monde enchaînant conférences et rencontres. Il est à Beyrouth à l’invitation de l’AUB, pour faire l’avocat du diable Wilde. Malgré son nom, Mister Holland est bel et bien le petit-fils d’Oscar Wilde. La raison est victorienne. Et qui dit victorien, dit absurde et borné. Après la condamnation d’Oscar, un hôtelier suisse avait refusé l’entrée de son établissement à la femme du scandaleux et à ses deux fils. Voudra-t-il changer le nom choisi par sa mère? «Je me suis posé la question, mais je garderai le nom de Holland en guise de reproche éternel à l’hypocrisie victorienne.» Derrière des lunettes octogonales, des yeux d’un bleu clair vous dévisagent avec aisance et modestie. Un brin costaud, chevelure abondante. Un air de famille avec ses cheveux bouclés, châtains? «On reconnaît de plus en plus l’atavisme“wildien” à mesure que je prends du poids», dit Merlin le chanteur des louanges d’Oscar. La voix est calme, presque trop, le débit lent. Cent ans après sa mort, le dandy sulfureux, enterré loin de son pays dans le déshonneur et la misère et qui voulait faire de sa vie une œuvre, est à la fois admiré et mal connu. «Et ce n’est pas le moindre des paradoxes d’un écrivain dont on n’a sans doute pas fini de faire le tour», note Holland. Père de famille et homosexuel, conteur et essayiste, amuseur public et poète, dandy mondain et paria ténébreux, nationaliste irlandais, les deux pieds bien plantés dans la société anglaise, immoraliste attiré par la religion, esthète qui confiait à son ami André Gide: «J’ai mis tout mon génie dans ma vie, je n’ai mis que mon talent dans mon œuvre», l’auteur du Portrait de Dorian Gray a plus d’un reflet, plus d’un visage à nous révéler. Ce qui oblige aujourd’hui son petit-fils à le retirer des cases dans lesquelles il fut longtemps enfermé, pour l’appréhender plus subtilement, plus complètement. Un travail ardu, tant le personnage de Wilde suscite clichés et idées reçues. Récupérations, aussi. Ainsi l’auteur d’Un mari idéal, porté en triomphe dans les théâtres londoniens par la société victorienne qu’il dénonçait, puis haï après sa condamnation, en 1895, à deux ans de travaux forcés pour crime d’homosexualité, est-il aujourd’hui devenu un peu abusivement un symbole pour la communauté gay. «Il n’était pas un militant de la cause homosexuelle voulant faire prévaloir ses choix de vie. Mais plutôt le bouc émissaire d’une société trop pudibonde, sa chute et sa déchéance viennent de petites et mesquines personnes qu’il ne comprenait pas et qui l’ont embarqué malgré lui dans des affaires sordides pour régler leurs comptes.» Marlin Holland n’a pas connu son grand-père. «Mon grand-père n’était pas un sujet, personne de mon entourage ne l’ayant vraiment bien connu. C’était la redécouverte de l’écrivain qui m’intéressait. Mais dans les années 90, lorsque j’ai eu envie de me mettre à l’écriture, j’ai trouvé cette ascendance lourde à porter. Pas l’homosexuel, mais l’écrivain!» Cinq années à Beyrouth Après l’université, Merlin Holland est parti… au Liban. «J’étais employé dans une société qui vendait du papier aux États du Golfe.» Il vivait rue Georges Picot et avait l’habitude de déjeuner au café de l’immeuble Starco, en lisant son quotidien favori: L’Orient-Le Jour. Son séjour aura duré cinq ans. À l’aube des événements de 1975, il est retourné en Angleterre «où j’ai sévi» dans la rubrique «vin» du magazine The Oldie («Le petit vieux»). Il passe ensuite dans l’édition, se remet à la recherche: «Ça me gênait, quand je rencontrais des universitaires, d’être obligé de reconnaître qu’ils en savaient plus sur mon grand-père que moi-même, son petit-fils.» Travailler sur Wilde devient son occupation du samedi matin, «après le petit déjeuner». Le reste du temps, il fallait gagner de l’argent. «La redécouverte de Wilde aura donc commencé à Beyrouth, par un volume de correspondance. En fait, sa biographie avait déjà été faite; il ne s’agissait pas pour moi de concurrencer ce travail.» D’où tient-il ses informations sur le grand Oscar? «Mon père n’a appris qu’à l’âge de 18 ans, grâce à une gaffe de sa tante maternelle par alliance, la véritable cause de la condamnation de Wilde. Il a été très surpris, il pensait que son père avait été condamné pour fraude fiscale! Il a voulu en savoir plus et a rencontré Miss Carew, une amie d’Oscar Wilde qui, plus tard, donnera l’argent nécessaire à l’aménagement d’une pierre tombale au Père Lachaise, à Paris. Cette rencontre a été déterminante, puisqu’elle a convaincu mon père de rester en Angleterre. En fréquentant Miss Carew, il a appris à connaître son père, puis a été introduit auprès de Robert Ross, l’ami intime de Wilde, qui est devenu pour lui un père spirituel. C’est Ross qui m’a le plus aidé, grâce à ses témoignages.» Merlin Holland passe son temps aujourd’hui à redorer le blason de son aïeul et à entretenir sa tombe au Père Lachaise. Ce qui n’est pas une mince affaire. «Je tente en vain de lutter contre les dégâts dus au rouge à lèvres laissé par les admirateurs et admiratrices d’Oscar Wilde», explique-t-il. Ils viennent du monde entier embrasser fougueusement le monument sous lequel repose le grand Oscar. Avec l’humour anglais qui le caractérise, Mister Merlin suggère que L’Oréal sponsorise la réfection du monument… Dans un ouvrage intitulé L’Album Wilde, Holland s’est imposé la gageure de donner en 20000 mots la quintessence de la vie de son aïeul, sans complaisance ni forfanterie. «C’est en quelque sorte une introduction à la vie de Wilde, une courte biographie destinée au néophyte qui peut se lire à travers le texte aussi bien que les images. J’ai tenté d’être familier, familial, exact. Et pas trop adorateur.» Ceux qui seront séduits par cet ouvrage se plongeront aussi avec délice dans l’anthologie qui rassemble, sous le titre Cher Oscar, plus d’un millier de bons mots et d’épigrammes cueillis dans l’œuvre ou la conversation d’Oscar Wilde. Et à l’authenticité vérifiée. Ne résistons pas au plaisir d’en citer quelques-uns: «Une vérité cesse d’être vraie quand plus d’une personne y croit»; «Le travail est le fléau des classes alcooliques»; «Nous vivons à l’époque du surmenage et du manque d’instruction; l’époque où les gens sont si industrieux qu’ils en deviennent complètement idiots»; «Autrefois les livres étaient écrits par les hommes de lettres et lus par le public. Aujourd’hui ils sont écrits par le public et personne ne les lit»; «Le formulaire pour le recensement me demandait ma profession, j’ai indiqué génie; mes infirmités, j’ai répondu le talent». Même Merlin l’enchanteur de louanges ne saurait mieux dire. Maya GHANDOUR HERT
Au procès d’Oscar Wilde, nous demandons Merlin Holland, unique descendant de l’écrivain à la réputation sulfureuse. Un homme aussi courtois, affable et sage que son aïeul était insolent, flamboyant et provocateur. Mais l’on retrouve chez cet ancien businessman, puis éditeur et enfin écrivain, un flegme très british dont il se sert pour défendre la cause de l’ancêtre....