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Actualités - OPINION

LE POINT L’exception et la règle

Dans un pays où toutes les lettres, ou presque, de l’alphabet dansent une sarabande effrénée, au point qu’il existe des annuaires pour permettre au citoyen lambda de se retrouver dans l’interminable kyrielle des sigles, on s’est dépêché d’appeler cela le CPE ou, si vous préférez faire plus long (et moins français), « Contrat première embauche ». Comme son nom ne l’indique pas, le projet est censé permettre à l’employeur de licencier, sans avoir à avancer de raisons, un jeune de moins de 26 ans qui n’a pas encore deux ans d’ancienneté. Annoncez cela à un Américain et il ouvrira tout grand ses yeux : « Quoi, on vient de découvrir cela sur les bords de la Seine ? Mais chez nous, il ne saurait être question de protéger les salariés, alors même que les effectifs des syndicats ne représentent que 12,5 % de la population active » (moins de 10 % en France). Depuis le 16 janvier, date à laquelle Dominique de Villepin a rendu public un texte aujourd’hui honni par les partis de l’opposition, les syndicats et la majorité des étudiants, le ton n’a cessé de monter, culminant depuis le week-end dernier avec des mouvements populaires et des prises de position appelés à déboucher, le 28 mars, sur une journée interprofessionnelle de grève. Entre-temps, ainsi qu’il fallait s’y attendre, les casseurs s’en sont mêlés et pour un peu, les pavés auraient recommencé à voler, comme en ces sombres journées de l’automne dernier. À quelques mois d’une élection présidentielle dont pour l’heure bien malin qui oserait en définir les contours et d’un scrutin législatif ouvert aux supputations les plus farfelues, les Français ont tôt fait d’enfourcher leur ancien dada. Ainsi, on parle, et plutôt inconsidérément, d’un nouveau Mai 68, d’un rapport de force et même d’une forme moderne de lettre de cachet. Pour un peu, Lionel Jospin, qui n’en finit pas d’exécuter ses trois p’tits tours – pour la promotion de son livre, ne cesse-t-il de répéter –, parlerait d’une nouvelle Bastille à faire tomber, et Ségolène Royal d’une crise existentielle. Le secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire a lancé l’autre jour, sur un ton n’admettant aucune réplique : « Il (le Premier ministre) doit en répondre au peuple, dans la rue. » C’est ainsi, et nul ne pourra jamais convaincre les uns et les autres qu’il ne s’agit pas là de « valeurs républicaines » (prononcez ces deux mots magiques avec force trémolos dans la voix), encore moins d’un affrontement comme il y en a eu tant dans le passé, entre la gauche et la droite, mais bel et bien de l’avenir à brève échéance d’un système, que l’on s’obstine à appeler « l’exception française », devenu obsolète à l’ère de la mondialisation et surtout, en ce qui concerne l’Europe, de la directive Bolkenstein. Pourtant, les chiffres, plus que les faits et les déclarations, sont là, implacables dans leur éloquente sécheresse : le chômage frappe actuellement 9,6 pour cent de l’ensemble des salariés, mais le taux passe à 22,2 pour cent chez les jeunes et à près de 40 pour cent dans les banlieues défavorisées. Contre cela, le chef du gouvernement a cru trouver la parade en recourant à un remède de cheval plutôt que de se contenter, comme tant de ses prédécesseurs, de poser un cautère sur une jambe de bois. En somme, à l’homéopathie classique, il a préféré la chirurgie et commis par là même un péché par action, à un moment où les Français connaissent les affres du doute face aux échecs répétés de l’Europe des Vingt-Cinq. Le péché par omission aura été de ne pas avoir pris la peine de lancer une campagne à l’échelle nationale pour expliquer les raisons d’un choix aussi drastique pour une société qui a des sensibilités d’écorché vif pour peu qu’on se hasarde à aborder la question de ses acquis sociaux. Un peu tard aujourd’hui, Villepin parle de réduire à un an la période probatoire et d’exiger des patrons qu’ils exposent les motifs de renvoi, ce qui équivaut, après avoir affiché une louable mais finalement peu impressionnante intransigeance, à se réserver une porte de sortie peu honorable sans s’assurer que ses adversaires lui permettront de l’emprunter. En 1999, alors que les héritiers de François Mitterrand se plaisaient à annoncer l’aube d’un éblouissant soleil nourri aux rayons des 35 heures de Martine Aubry, certains esprits pratiques reconnaissaient in petto qu’il n’en serait rien peut-être, mais qu’à tout le moins cela permettrait de donner un sacré coup de pied dans la termitière de l’orthodoxie sociale. On connaît les suites de ce marché des dupes dont pas plus les patrons que les salariés ne sont satisfaits tant demeure vive la force d’inertie dans ce « cher et (surtout) vieux pays ». Finalement, l’autre grand vaincu pourrait être le vizir qui, de Matignon, se voyait déjà calife à la place du calife. Christian MERVILLE
Dans un pays où toutes les lettres, ou presque, de l’alphabet dansent une sarabande effrénée, au point qu’il existe des annuaires pour permettre au citoyen lambda de se retrouver dans l’interminable kyrielle des sigles, on s’est dépêché d’appeler cela le CPE ou, si vous préférez faire plus long (et moins français), « Contrat première embauche ». Comme son nom ne...