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Le sacrifice d’enfants reste un sujet tabou L’improbable combat d’un père gabonais contre les crimes rituels

La vie de Jean-Elvis Ebang Ondo s’est écroulée il y a un an, lorsque la mer a ramené sur une plage de Libreville le corps mutilé de son fils de 12 ans. Depuis ce drame, cet enseignant de 45 ans remue ciel et terre pour briser le tabou des crimes rituels au Gabon. Lorsqu’il raconte ce 2 mars 2005, Jean-Elvis parle d’une voix calme, sans passion, presque détachée. «C’était un mercredi. J’ai déposé mes enfants à l’école le matin, comme d’habitude. Ma femme ne pouvait pas les chercher à midi, elle avait laissé 500 francs (CFA) au grand pour prendre le taxi. Les deux assassins étaient à la sortie de l’école.» La suite, Jean-Elvis l’a reconstituée en menant sa propre enquête. Les deux hommes proposent à Éric, son fils de 12 ans, et à son copain Ibrahim de les ramener chez eux. Les deux gamins, sans méfiance, les suivent. «Ils ont passé l’après-midi chez un oncle. À 18h30, la voiture les a conduits à l’abattoir (...) selon mon enquête, ils ont été tués à Owendo. Ce n’est que la nuit qu’ils les ont jetés sur la plage. Les corps ont été découverts le matin. D’abord le mien. Puis Ibrahim.» Les deux victimes ont été atrocement mutilées. Le corps d’Ibrahim n’a plus d’yeux ni de sexe. Éric a été vidé de son sang. Une oreille et ses lèvres coupées. «Les pièces détachées», dit son père. «Comme je suis croyant, j’ai d’abord remis le dossier entre les mains de Dieu, poursuit-il. Et puis j’ai voulu sortir du lot. Certaines personnes encouragent ces pratiques au Gabon mais moi je les refuse. Notre culture n’a jamais autorisé ça.» Pour Jean-Elvis Ebang Ondo, c’est le début d’un long et improbable combat. Immédiatement après le drame, il porte plainte contre X auprès du procureur, qui confie une enquête à la police judiciaire. Sans résultat. Puis, dans la foulée, il réussit à réunir dans les rues de Libreville quelques dizaines de proches sous une banderole qui proclame «tuer les jeunes, c’est sacrifier l’avenir du Gabon». Une grande première. Car dans le pays, une épaisse chape de plomb recouvre la question des crimes rituels. Tout le monde reconnaît l’importance du phénomène, mais rares sont ceux qui acceptent d’en parler à haute voix. Sollicité par l’AFP, le ministère de la Famille, chargé de la protection de l’enfance, a refusé. «C’est un sujet très, très sensible», confirme un diplomate. Les statistiques n’existent pas, bien sûr, mais la presse rapporte fréquemment dans ses colonnes des cas de mineurs retrouvés morts et mutilés, notamment en période électorale. «Les gens de pouvoir sont toujours derrière ces affaires, affirme le curé de la cathédrale Sainte-Marie, le père Euzébius. Ils espèrent de l’argent ou une promotion par la mort d’un enfant. C’est quelque chose qu’on ne devrait pas admettre.» Après la mort d’Éric et d’Ibrahim, l’Unesco a tenu l’été dernier dans la capitale gabonaise un colloque très officiel, conclu par une déclaration condamnant sans détour les crimes rituels. Mais Jean-Elvis Ebang Ondo reste peu convaincu de la volonté des autorités de tordre le cou à ces pratiques. «Ce colloque a servi d’alibi au pouvoir, mais il ne fait rien, assure-t-il. Le système est verrouillé par des gens qui bloquent toutes les enquêtes. C’est une véritable mafia.» Grâce au soutien de l’Église catholique et de «parents courageux», le père d’Éric veut désormais constituer une association afin, dit-il, «d’indexer les coupables et sensibiliser la population». Car les meurtres continuent. Au cours de l’année écoulée, il en a recensé au moins 28. Mais jusqu’à présent, le ministère de l’Intérieur refuse de reconnaître son association. «Je commence à être gênant, s’amuse-t-il. Mais je reste déterminé. Le sang de mon enfant doit servir aux autres Gabonais.»
La vie de Jean-Elvis Ebang Ondo s’est écroulée il y a un an, lorsque la mer a ramené sur une plage de Libreville le corps mutilé de son fils de 12 ans. Depuis ce drame, cet enseignant de 45 ans remue ciel et terre pour briser le tabou des crimes rituels au Gabon.
Lorsqu’il raconte ce 2 mars 2005, Jean-Elvis parle d’une voix calme, sans passion, presque détachée....