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Le retour de l’enfer

Sur ses jambes meurtries, les cicatrices ne se comptent plus. Son corps entier le fait souffrir d’avoir été si malmené. Des cauchemars hantent encore ses nuits agitées, cinq ans après sa libération, survenue en 2000. Ali Abou Dehn revient de l’enfer. Un enfer qu’il a vécu pendant 13 ans dans les prisons syriennes de Tadmor et Saydnaya. Un enfer qu’il dévoile, sans réserve, sans pudeur, alors que d’autres prisonniers relaxés se sont murés dans un silence absolu, tiraillés par la peur. Ali, originaire de la région de Hasbaya, de confession druze, parle sans tarir. Autrefois père de famille aisé, il doit se résoudre aujourd’hui à accepter l’aumône, lorsque ses fins de mois sont trop dures. Les économies familiales, le terrain et les bijoux de son épouse ont permis à sa famille de vivre, durant sa trop longue absence. Mais il a finalement réussi à se faire employer au salaire minimum, après des années de quête, de supplications. Il est difficile pour un ancien détenu en Syrie de se refaire une place dans la société. Durant sa détention, les séances de torture ont rythmé le quotidien d’Ali et de l’ensemble des prisonniers. « Mes geôliers m’ont introduit des bouts de fer dans les jambes, ils m’ont pendu, les mains attachées en l’air, ils m’ont écartelé, à tel point que mon coude a été complètement déboîté. Ils m’ont tellement giflé qu’il m’ont crevé les tympans. » « La douleur de la torture ? Ce n’est pas le pire, poursuit-il, comparé aux humiliations que nous subissions, aux insultes qu’ils nous lançaient ainsi qu’à nos familles. Des comportements qui dépassent tout ce que l’on peut imaginer. Ils m’ont surnommé Abou Sarsour (père cafard), car ils m’ont forcé à manger des cafards. Mon camarade de cellule, lui, a été surnommé Abou Fara (père souris), car ils lui ont fait avaler une souris. Un autre a été surnommé Abou Kanniné (père bouteille), car il a été sodomisé avec une bouteille... Un jour, alors que j’attendais le repas, j’ai même surpris un de nos geôliers uriner dans la marmite. Ce jour-là, on nous avait servi de la viande avec du riz, c’était exceptionnel. Je n’ai pas mangé, mais je ne l’ai pas dit à mes camarades d’infortune. Je les ai laissés profiter de leur repas. » Ali raconte aussi l’isolement total, la solitude. « Nous étions coupés du monde, nous ne savions rien de ce qui se passait en dehors des murs de la prison. Je l’ai réalisé en 1992, quand, transféré de Tadmor à Sadnaya, je suis tombé par hasard sur un journal qui relatait le démantèlement de l’URSS, la chute du mur de Berlin. Cela m’a fait mal. » Ali raconte aussi le dénuement total dans lequel il était, les treize années d’emprisonnement passées les pieds nus, alors que ses habits se déchiraient, l’un après l’autre. « Au bout de deux ans, mon slip était tellement élimé, que je l’ai déchiré pour en faire une serviette. J’en ai gardé un bout et j’ai donné les autres morceaux à mes camarades. » Aujourd’hui, après tant de souffrances, Ali, âgé de 53 ans, n’a toujours pas repris goût à la vie. « J’ai raté tellement de choses de la vie de mes filles. J’ai été enlevé alors qu’elles étaient toutes jeunes, et lorsque je suis revenu, l’une d’entre elles était déjà mariée. » […] Mais il ne peut s’empêcher d’exprimer un souhait, « le seul qui me hante, dit-il, est que l’armée syrienne se retire du pays avant ma mort ».
Sur ses jambes meurtries, les cicatrices ne se comptent plus. Son corps entier le fait souffrir d’avoir été si malmené. Des cauchemars hantent encore ses nuits agitées, cinq ans après sa libération, survenue en 2000. Ali Abou Dehn revient de l’enfer. Un enfer qu’il a vécu pendant 13 ans dans les prisons syriennes de Tadmor et Saydnaya. Un enfer qu’il dévoile, sans...