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Pascale Ballet : « Les témoignages recueillis à la faveur des fouilles restent modestes pour décrire la mégapole » Alexandrie, ville-phare et mémoire éternelle du monde hellénistique

« Belle, très belle. »… « Éternellement mémorable. »… Les auteurs antiques ne tarissent pas d’éloges sur la cité fondée par Alexandre le Grand en 331 avant J-C. Or que reste-t-il du glorieux passé de cette seconde Athènes transplantée en terre égyptienne? À l’invitation de l’Institut français du Proche-Orient (IFPO), Pascale Ballet a donné au Centre culturel français une conférence sur le thème « Alexandrie et son territoire à l’époque hellénistique ». Professeur d’histoire de l’art et d’archéologie de l’Antiquité à l’Université de Poitiers, auteure de «La vie quotidienne à Alexandrie 331-31 avant J-C», publié chez Hachette, la conférencière, qui travaille depuis plus de dix ans en Égypte, a précisé qu’il était difficile de raconter dans le détail l’histoire d’Alexandrie, que l’entreprise est du moins prématurée puisque les travaux archéologiques et historiques sont toujours en cours, et que les explorations sont entravées par le développement de la ville moderne qui a été édifiée sur les ruines antiques. S’appuyant donc sur les papyrus grecs, les gravures anciennes, les écrits antiques, les sondages, les trésors et monuments mis au jour par les différentes missions archéologiques égyptiennes et européennes qui travaillent sur le terrain, Pascale Ballet a donné une image globale de la capitale du royaume des Ptolémée décrite par Strabon comme le « plus grand emporium de la terre habitée ». En dépit de l’aspect régulier et lissé de l’actuelle corniche d’Alexandrie, « le paléo-littoral était à l’origine très découpé » et comprenait plusieurs îlots, dont l’Antirrhodos et le Pharos où sera érigé le phare «classé parmi les sept merveilles du monde », et sur l’emplacement duquel se dresse le fort de Qaïtbay. Les recherches subaquatiques, qui ont mis au jour des môles, des jetées, des digues, révèlent que ces ilôts ont été reliés au littoral par l’énorme chaussée-pont de l’Heptastade, qui s’est lentement remblayée par sédimentation depuis l’Antiquité. Ensuite, comme le relate Strabon dans Le voyage en Égypte, Alexandre fit tracer l’enceinte de la ville. Mais aujourd’hui, «le tracé hellénistique n’est pas clairement perçu, à l’exception peut-être de la partie inférieure de la tour de Challalat qui, selon une analyse architecturale d’Y. Garlan, aurait appartenu à l’enceinte ancienne. Elle est composée de gros blocs parallélépipédiques de calcaire nummulitique à ciselure périphérique et à feuillure d’angle», indique la conférencière, ajoutant que d’après les récits anciens, le site était traversé par de larges avenues où peuvent défiler chars et chevaux. « Diodore et Strabon évaluent à 30 mètres (100 pieds) l’artère principale. Toutefois, les propositions des archéologues sont un peu différentes, plus modestes. » Un plan de la cité antique, commandé à l’ingénieur et astronome Mahmoud el-Falaki par Napoléon III et publié en 1872, à Copenhague, révèle d’autre part que les rues se coupaient à angle droit et que la trame de la ville ressemblait à un échiquier. Des travaux de fondation d’immeubles ont, par ailleurs, permis la découverte d’un système de canalisation et de plusieurs dizaines de citernes sous les rues et les maisons, donnant une idée du chantier entrepris pour l’organisation hydraulique de la cité. Les quartiers royaux Tout laisse supposer que la ville a connu un développement monumental. Sous le règne de Ptolémée Ier furent érigés le phare, le musée, la bibliothèque et le temple consacré au dieu Sérapis. Ses successeurs ont continué son œuvre en bâtissant l’Arsinoeion (Arsinoé), le cesareum et le gymnase qui suscita l’étonnement de Strabon avec ses quatre portiques longs d’un stade. Les monuments archéologiques exhumés ont montré que les bâtiments érigés étaient de style grec, mais que la cité était décorée d’obélisques, de sphinx et d’éléments architecturaux qui lui donnaient un caractère égyptisant. Les basileia, ou quartiers royaux, s’étendaient de la côte vers l’intérieur et occupaient un large périmètre, évalué, au temps de Strabon, entre un tiers et un quart de la superficie totale de la ville. De fait, « chacun des rois, en même temps qu’il ajoutait par amour du beau quelques embellissements aux édifices publics, se dotait à ses propres frais d’une résidence qui venait accroître le nombre de celles déjà existantes. Aussi de ces édifices, peut-on dire avec le poète, qu’ils sortent les uns des autres », a ajouté la conférencière citant Strabon. Le faste de ces palais ne manque pas d’éblouir Lucain, qui, lors du voyage de César à Alexandrie, décrit le luxe inouï des intérieurs de Cléopâtre : « Les voûtes lambrissées, les placages d’or sur âme de bois, les marbres taillés dans la masse ainsi que l’agate et le porphyre, les pavements d’onyx, l’ivoire ornant les galeries de l’atrium, les portes ornées d’écailles de tortue indienne et rehaussées d’émeraudes incrustées, les tapis de pourpre de Tyr, d’autres brocardés d’or… » L’ensemble de ces constructions est, par ailleurs, « noyé dans un vaste parc (alsos), au sein duquel les paradeisoi (les jardins inspirés de l’Orient perse) sont émaillés de pièces d’eau alimentées par le canal Maiandros, du zoo de Ptolémée Philadelphe, auquel Tobias de Transjordanie fait parvenir des animaux rares, et de l’immense volière commandée par Ptolémée VIII… » Pascale Ballet fait observer que « la magnificence des descriptions ne semble pas trahir la réalité qu’attestent parfois les vestiges archéologiques ». Elle signale, à titre d’exemple, que les pavements de mosaïques exhumés dans le quartier des basileia sont des « œuvres exceptionnelles » et relèvent d’«un très haut niveau technique dans le choix des matériaux, la finesse des tesselles et le soin de la pose». En ce qui concerne les demeures aristocratiques, les fouilles menées dans le jardin du consulat britannique ont permis de se faire une idée de ce qu’étaient ces habitations implantées au IIIe siècle avant J-C. Mais «elles restent encore mal connues », dit la conférencière, notant que les travaux entrepris jusque-là ont mis au jour une cour centrale présentant un décor illusionniste et un espace intérieur reconnu comme étant un triclinium (salle à manger). Sur le pourtour de la pièce, une ligne rouge formant un quadrilatère témoigne de la mise en place de banquettes en U. « Ville-phare du monde hellénistique », la mégapole alexandrine a abrité, d’après les auteurs antiques, des centaines de gymnases, de tavernes, de théâtres, d’établissements de bains, de commerces et d’ateliers d’artisanat. « Mais les témoignages recueillis à la faveur des fouilles restent modestes. » Un petit théâtre de marbre, découvert dans la zone de Kôm el-Dick par l’archéologue égyptien H. Riad puis fouillé par le Polonais Rodziewicz, est jusqu’à ce jour la seule illustration des théâtres de la capitale des Ptolémée, note la conférencière, ajoutant que des sondages menés dans certains points de la ville ont confirmé la présence de baignoires individuelles et de bains publics de « type tholos ». Hydries et tanagras Les vastes cimetières vont toutefois livrer une foule d’objets en pierre, terre cuite et verrerie qui enrichissent les collections des musées et donnent un éclairage sur l’artisanat de l’époque, et les us et coutumes des Alexandrins. Pascale Ballet présentera, à titre d’exemple, les figurines d’argile, exhumées à Chatby et à Hadra, et baptisées communément « tanagras ». Grâce à leur parfait état de conservation, elles illustrent la finesse du travail, mais aussi les pratiques vestimentaires et les coiffures de l’époque. Les « hydries », ou vases servant d’urnes, découvertes dans les nécropoles hellénistiques et plus particulièrement sur le site de Hadra (d’où leur nom), occupent une place de choix dans le matériel funéraire. Exécutées en noir ou en couleurs, le col décoré de volutes et de guirlandes de laurier, elles sont typiquement grecques. Des lampes à huile, des vases à parfum, des statuettes de terre cuite polychromes représentant des femmes et des enfants ont été également retrouvés à Nécropolis, où les archéologues ont dégagé des dizaines de tombes collectives, d’une profondeur supérieure à dix mètres parfois, et dont certaines possèdent plusieurs loculi, c’est-à-dire « des niches creusées dans la paroi pour accueillir une inhumation, fermées par une dalle peinte d’une porte aux doubles vantaux symboliquement fermés ». M.M.
« Belle, très belle. »… « Éternellement mémorable. »… Les auteurs antiques ne tarissent pas d’éloges sur la cité fondée par Alexandre le Grand en 331 avant J-C. Or que reste-t-il du glorieux passé de cette seconde Athènes transplantée en terre égyptienne? À l’invitation de l’Institut français du Proche-Orient (IFPO), Pascale Ballet a donné au Centre culturel...