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Actualités - CHRONOLOGIE

EXPOSITION - Le livre à l’honneur au musée Sursock Peindre c’est aussi écrire…

Jusqu’au 31 mars, le musée Sursock, fidèle à ses manifestations culturelles de qualité, est le cadre princier d’un vibrant hommage au livre, à la culture, au savoir, à la connaissance, à l’art, au dialogue. Indéfectible compagnon, docile, silencieux et volubile ami des hommes, le livre est à l’honneur. Sous des formes, des formulations, des associations et des expressions parfois même insoupçonnées, sans jamais friser le gratuitement insolite ou la provocation inutile. Bien sûr, toutes les plumes n’ont pas le même talent ou la même virulence, pas plus que tous les pinceaux le même panache ou brio. Il est évident que l’art a des chemins secrets et impénétrables, parfois même difficilement explicables. Et qui dit livre, dit feu Rafic Hariri, qui avait à cœur non seulement l’âpre volonté de construire, de bâtir, mais surtout qui s’était profondément investi dans la mission d’instruire les générations montantes. C’est en hommage donc au Premier ministre disparu et dans cet esprit «bâtisseur» que se déroule l’exposition «Pinceaux pour plumes» au palais Sursock, alliant en toute subtilité franchise et ferveur, art plastique et art d’écrire. Sans pour autant céder la plume au pinceau, car ici peindre c’est aussi écrire… Et puis, de toute façon, qu’importe puisque les pages d’un livre ou l’espace d’une toile ont pour source commune sensibilité, imagination, rêve, témoignage, fantasme, révélation, confession et construction de l’esprit… Oui des livres ont été brûlés, saccagés, noyés, détruits, déchirés, déchiquetés lors de la guerre au Liban. Mais il n’en est pas mort pour autant ce livre. Aujourd’hui, à la BN, comme un Phénix, le livre renaît de ses cendres plus triomphant que jamais de toutes les adversités subies. Placée sous le triple patronage du ministère de la Culture, du musée Nicolas Ibrahim Sursock et de la Fondation libanaise de la Bibliothèque nationale, qui ont fait appel à la galerie Jeanine Rubeiz pour le volet artistique, cette manifestation magnifie et célèbre le livre, lumineuse porte ouverte sur l’espace et le temps. Au musée Sursock, livres et toiles se font non seulement de malicieux clins d’œil, caracolent gaiement entre murs et volumes, mais révèlent leurs évidentes correspondances en cohabitant harmonieusement, de la manière la plus conviviale, la plus tangible, la plus naturelle, la plus moderne et la plus civilisée, serions-nous tentés de dire. Une porte ouverte sur le monde Au premier étage, place aux accessoires et activités de la Bibliothèque nationale. Photos, avant-projet, manuscrits, livres anciens (Bibla sacra arabica datant de 1671), journaux rongés par la poussière et l’humidité, enluminure, calame, encre, poudre colorée dans de minuscules boîtes rondes comme des pastilles, tout cet attirail et outillage de l’édition pavoise tranquillement sur de magnifiques présentoirs en plexiglas. Un atelier de travail pour la restauration (davantage témoignage que frivole curiosité) trône même au milieu de la salle, comme pour rappeler les temps anciens où se mettre à la tâche avait une autre saveur… À lire et méditer, inscrite en fronton du mur de l’entrée, cette belle phrase en arabe, à la calligraphie impeccable et claire ,«Rass al-hikmat makhafett Allah» (La suprême sagesse est de craindre Dieu). Pour un pays comme le Liban, qui n’a pas encore un musée d’art moderne ou de théâtre national, envisager d’avoir bientôt une Bibliothèque nationale réhabilitée, dont l’inauguration est prévue pour 2008 à Sanayeh, c’est déjà une certitude que les hommes de bonne volonté ne font pas totalement défaut en cette terre, «perle échappée à la bague de Dieu», disait un des poètes libanais francophones qui ne manquait probablement pas d’emphatique lyrisme! À noter aussi la projection sur petit écran d’un court documentaire realisé pour l’occasion par Bahij Hojeij, reflétant en images, plutôt sages, le parcours conciliant l’historique, la mise sur pied du projet de réhabilitation de la Bibliothèque nationale et un vague aperçu de quelques-unes des œuvres exposées. Dans le salon d’à côté attendent sur une table, les mains tendues vers le plafond en boiseries travaillées, coulées en ton bleu, les reproductions phéniciennes dont la copie originale se trouvant au Musée national. Statuettes symboliques destinées à remercier peintres, amis et sponsors, enfin tous ceux qui ont contribué à la renaissance de la Bibliothèque nationale. Des œuvres picturales magnifiant le livre… Au second étage, entre les vitraux colorés des fenêtres, les murs sont transformés en cimaises. D’ailleurs à l’étage intermédiaire, avant de gravir les dernières marches de l’escalier, se dresse déjà le flamboyant et gigantesque tableau de Théo Mansour. Rouge vif des grottes et bleu indigo de la nuit étoilée sur fond blanc du mur pour évoquer les fresques de Lascaux, les «premiers écrits» des hommes… Le ton est déjà donné, mais il l’est davantage avec les deux toiles d’un expressionnisme agressif de Joe Kesrouani qui accueillent le visiteur en clamant bien haut (et nul ne le contredira!) que «l’instruction c’est la liberté». Liberté aussi de peindre en incorporant, annexant, phagocytant les éléments de l’écriture et du monde des livres. Là, les variations, les digressions, les fantaisies, l’humour, la poésie. Les inspirations sont diverses et diversifiées. Sans que toutes soient d’un intérêt majeur ou égal. Miracle de l’écriture que Mikhaïl Nouaïmé a résumé ainsi: «Je plante mon cœur dans le papier, il pousse dans le cœur des lecteurs.» Et que dire quand ces lecteurs sont des peintres? Quarante-deux peintres. Il y a les absents (tels Shafic Abboud, les résidents hors du pays, une dizaine, dont al-Karim Mahdi Halim, Etel Adnan et ses cahiers illustrés en accordéon consacrés ici au verbe d’Ounsi el-Hajj, François Sargologo et ses exquis personnages La Fontainien de Kalila wa Doumna…) et, bien sûr, plus nombreux, ceux qui, enracinés au pays, ont répondu présents à l’appel, chacun à sa manière, selon l’inspiration du moment. Soixante-dix créations picturales qui ont le livre pour élément moteur et inspirant. Monde bariolé, allant du ravissant naïf aux narrations hermétiques, en passant par le réalisme, les abstractions ou l’onirisme surréaliste. Si certains artistes, comme Nada Sehnaoui et Greta Naufal, ont déjà montré leur virtuosité dans l’emploi du papier en tant que pivot central d’une expression picturale, pour d’autres, l’entreprise semble moins évidente et moins convaincante. Avec des résultats moins concluants, telle cette «attente» de Mona Bassili Sehnaoui avec chaise vide et pot de fleurs en sirupeux tons mauve lilas tandis que les lettres de l’alphabet gisent au premier plan comme des grabataires sur un tapis… Le bestiaire grimaçant à la Lam de Charles Khoury n’a plus d’emprise sur le spectateur, pas plus que le coloriage d’Alain Tasso. Par contre, on est séduit par l’originalité et la fraîcheur des couleurs des créations de Tanbak, l’aquarelle en trompe-l’œil de Rached Bohsali, la fabuleuse et patiente encre de Chine fine comme de la dentelle de Bruges de Laure Ghorayeb, les légères libellules en papier de Lina Hakim, ivres de liberté, qui s’échappent d’un dictionnaire ouvert, et le saisissant assemblage de Mohammad el-Rawass pour Lire Beyrouth… La plupart des toiles, vendues sur catalogue, figurent ici, au musée Sursock, avec le nom des collectionneurs. Amusante tournée pour connaître les goûts et les préférences de nos concitoyens qui ont aidé à soulever les fonds pour la réhabilitation de la Bibliothèque nationale. Pour le livre d’or, immense rouleau qui se déroule et où la signature du public sur papier «back-light» sera plus tard le ruban qui ceinturera la Bibliothèque nationale à Sanayeh. Inutile de le souligner: la contribution au projet de la réhabilitation de la Bibliothèque nationale du Liban est une urgence à laquelle tous doivent œuvrer et collaborer aussi bien institutions, fondations privées que mécènes et particuliers. Une mission qui a plus d’une facette et que le temps, sans nul doute, dévoilera. En attendant, c’est là une longue et profonde histoire d’amour, une amitié d’une fidélité à toute épreuve entre le livre et la peinture, le mot et les couleurs, les vocables et les images, les plumes et les pinceaux, l’encre et le chevalet. Edgar DAVIDIAN
Jusqu’au 31 mars, le musée Sursock, fidèle à ses manifestations culturelles de qualité, est le cadre princier d’un vibrant hommage au livre, à la culture, au savoir, à la connaissance, à l’art, au dialogue. Indéfectible compagnon, docile, silencieux et volubile ami des hommes, le livre est à l’honneur. Sous des formes, des formulations, des associations et des...