PEINTURE - En 117 œuvres à la National Gallery of Art La Provence de Cézanne, au cœur et à l’œil

WASHINGTON-Irène MOSALLI «Cézanne et la Provence», c’est une longue histoire personnelle et picturale, contée aujourd’hui (et jusqu’au 7 mai) par l’un des plus grands musées américains, la National Gallery of Art à Washington, à travers 117 toiles. C’est dans cette région du Sud de la France, et plus précisément à Aix, qu’est né le célèbre peintre (1839) et qu’il a donné naissance à son œuvre qui a fait date dans l’histoire de l’art. Il y est décédé en 1906. Cette rétrospective est une commémoration de ce centenaire. Cette même exposition se transportera le 9 juin au musée Granet d’Aix-en-Provence. «Là où je ne me sens pas profondément amoureux du paysage de mon pays, je ne devrais pas être», avait-il écrit. Et il a été follement amoureux de la Provence où il s’était fixé avec sa famille et son chevalet durant les deux dernières décades de sa vie. Les 87 huiles et 30 aquarelles, qui composent cette exposition de grande envergure, constituent une sorte de visite guidée des lieux qu’a aimés peindre Paul Cézanne et qui révèlent aussi son processus de création. À travers sa peinture, «sa Provence» est toujours en mouvance, en changement permanent et jamais figée. Ses images frémissent et ses visions sont en symbiose avec la topographie des lieux, confirmant le mode de sa perception esthétique: «Pour bien peindre, avait-il dit, il faudrait d’abord connaître la géologie… Tout dans la nature se modèle sur la sphère, le cône et le cylindre, il faut apprendre à peindre sur ces figures simples, on pourra ensuite faire tout ce qu’on voudra.» Ceci est considéré comme l’un des fondements du cubisme et des débuts du modernisme. Ses diverses interprétations de La montagne Sainte-Victoire, qui sont l’un des points d’orgue de cette exposition, relèvent de cette approche. Une autre série-vedette, Les baigneuses, où les femmes ont tout des arbres et les arbres ont tout des femmes. Travailler «sur le motif» On pénètre dans la salle d’exposition par L’Allée des marronniers, peinte d’après l’allée du même nom menant à la propriété, Jas le Bouffan, achetée par son père. Suit une galerie de portraits: son père, son oncle Dominique, sa femme Hortense, les amis de jeunesse, des paysans et la célèbre toile Les joueurs de cartes. Quelques natures mortes qui jouent sur la simplicité font également partie de ce décor familier: Sucrier, Poires et tasse bleue, La bouteille de menthe, L’amour en plâtre et Pot à lait et fruits. Plus loin, on retrouve sous ses pinceaux, l’Estaque, petite ville aux toits de tuiles surplombant le golfe de Marseille. Puis changement d’atmosphère avec les différentes vues de la montagne Sainte-Victoire dont la morphologie l’avait fasciné. Il l’a captée depuis son sommet encadré d’un ballet de branches de pins. Vue sous un autre angle, elle émerge d’un patchwork de plaines. Il y a aussi son versant crénelé. Cézanne avait la Provence au cœur et à l’œil. Il aimait travailler «sur le motif», comme il le disait. Et il en a traqué toutes les perspectives de ses sites, de ses panoramas, de ses habitations et de ses habitants. Le catalogue de l’exposition, qui est un véritable ouvrage d’art, met en relief la symbiose de l’artiste et de son environnement en donnant à voir des photographies d’époque, des lieux qui ont tant inspiré l’un des pères de la peinture moderne. De même que des photos de l’artiste au travail. Également dans ce catalogue, une photo de Cézanne récemment découverte et où on le voit au seuil de son studio, déplaçant une chaise, vraisemblablement pour un invité. Elle date du mois d’avril 1906 et avait été prise par Gertrude Osthaus, épouse du directeur d’un musée allemand.