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Actualités - OPINION

L’homélie de Mgr Boulos Matar pour le 9 février Unité, liberté, amour pour préserver le Liban

La commémoration en l’espace de quelques jours de trois événements qui ont marqué l’histoire du Liban ; des réflexions sur une recommandation faite par saint Augustin à ses diocésains, il y a de cela plus de quinze siècles, et qui demeure, s’agissant du Liban, d’une brûlante actualité ; un souhait enfin, celui de voir élevé en offrande à Dieu le rassemblement du 9 février 2006 à l’occasion de la fête de saint Maron : tels ont été les trois grands thèmes de l’homélie d’une exceptionnelle élévation d’esprit prononcée en l’église du saint patron de la communauté par Mgr Boulos Matar, archevêque maronite de Beyrouth, et que nous reproduisons ci-dessous. Une coïncidence riche de significations et de leçons veut que les Libanais célèbrent trois commémorations dans le même temps : celle de saint Maron, qui mourut aux désirs de ce monde pour se donner entièrement à Dieu qui l’a béni en suscitant par lui une Église et un peuple ; celle de la bataille de Karbala et du sacrifice qu’al-Hussein fit de sa vie pour Dieu au service de sa foi et de sa nation ; celle enfin de l’assassinat du président Rafic Hariri, qui périt martyr de sa patrie et des Arabes, en une tragédie qui n’a pas fini de nous troubler le cœur et l’esprit. Cette coïncidence illustre la communion des Libanais à la richesse spirituelle de chacun des groupes humains qui les constituent et dont les bienfaits s’étendent à tous. Certaines personnes malintentionnées ont voulu rompre ces liens en se livrant, au début de la semaine, à des exactions condamnables contre les quartiers paisibles de Beyrouth et contre cette église même. Mais la bonté de Dieu et la vigilance des Libanais ont déjoué leurs desseins, fermant la porte à cette sédition inattendue. Cela a permis une nouvelle fois la victoire du Liban message, le renforcement de l’unité de ses enfants et le triomphe du bien. Cependant la sécurité que nous avons perdue pour quelques heures dans la capitale et le sentiment de la population d’être à découvert, sans protection pour sa vie, ses biens et ses lieux saints, ont vivement remis en question ce que nous espérions consolider depuis trente ans, lorsque nous avions failli tout perdre et que nous avions versé tant de sang et de larmes. Nous caressions l’espoir de lendemains lumineux pour nous et pour nos futures générations, cherchant à faire renaître une patrie sûre, pleinement souveraine et stable, avec un État équitable et puissant. Est-il possible que nous attendions plus longtemps pour réaliser ce dessein ? L’année dernière, depuis le mois de février très précisément jusqu’à aujourd’hui, notre pays a connu des événements et des retournements importants. Certains étaient joyeux et prometteurs, d’autres tragiques et terrifiants. Et lorsque nous nous attendions à une phase nouvelle et aisée, propice au retour du pays à l’ordre normal et à une unanimité nationale capable de le mener à cueillir les fruits espérés, nous avons vu la marche peiner, des hommes aimés tomber les uns après les autres sous les attentats, et les propriétés et ressources du pays exposées à de cruelles destructions. Cela n’est pas sans susciter chez nous et chez les observateurs étrangers une question urgente très grave : sommes-nous vraiment en train de rassembler toutes nos forces et de prendre toutes les mesures nécessaires pour opérer ce sauvetage ? Des tempêtes furieuses frappent toute cette région, dans laquelle des pays, grands et petits, connaissent sur leur sol des conflits inextricables. Si la sagesse commune nous enjoint de « préserver nos têtes dans les mutations des puissances », la priorité ne serait-elle pas pour nous de préserver la tête du Liban et de lui épargner les dangers dans l’intérêt de ses enfants et de leur avenir sur leur terre bien-aimée ? Ne nous vient-il pas à l’esprit que nous avons le droit, voire le devoir, de faire prévaloir des intérêts supérieurs propres à notre pays et de les placer au-dessus de tout autre intérêt, à l’instar des autres nations ? La détermination de ces intérêts devient alors, d’un commun accord entre nous, un des postulats prioritaires propres à servir de fondement pour la construction d’un édifice national solide, et notre consensus autour de ces postulats sera toute notre préoccupation et notre premier et irremplaçable engagement. Nous parlons beaucoup de consensus ces temps-ci ; cependant, les choses semblent se mêler entre ce qui doit faire notre accord de façon sûre et définitive, et ce qui demeure sujet au dialogue et à un échange de vues avant le choix final et décisif. Dans cet ordre d’idées, le commandement donné par saint Augustin, un des grands esprits de l’histoire, à ses diocésains d’Afrique du Nord, entre le IVe et le Ve siècle de notre ère, peut nous être utile pour éclaircir nos idées sur ce sujet. « Dans les questions essentielles, leur dit-il, soyez unis ; dans les questions accidentelles, exercez votre liberté, et dans tous les cas, conduisez-vous les uns envers les autres dans l’amour. » Compte tenu de ce conseil, nous regarderons d’abord, au Liban, à notre unité nationale qui n’admet ni contestation ni compromis. Elle fait partie de ce que nous appelons nos constantes essentielles, parmi lesquelles nous comptons le caractère définitif de l’entité du Liban, la souveraineté intégrale du pays, la coexistence de ses communautés, les libertés démocratiques et l’appartenance engagée du Liban au monde arabe. Ces données consensuelles ne feront plus l’objet d’aucune tractation, elles qui nous ont coûté cher pour s’intégrer à notre conscience et dans notre Constitution nouvellement modifiée. Elles ne sont plus de l’ordre du consensus, mais de celui du pacte, dans une patrie établie et non sujette à révision, car elle est au-dessus de tous et qu’elle est l’expression du moi de chacun. S’il n’en était pas ainsi, aucun caractère sacré de la patrie ne subsisterait, aucun sacrifice pour elle ne se justifierait. Et s’il y a aujourd’hui discussion autour de l’exercice de la souveraineté, la question peut être tranchée au nom de la souveraineté même, comme elle est entendue dans le monde entier. La souveraineté de notre pays est un droit égal au droit de tout autre pays à se gouverner lui-même et à défendre ses intérêts comme il le veut et comme il l’entend, dans les limites bien sûr de ses engagements arabes et internationaux. Il est évident aussi que la souveraineté appartient à tout le peuple, aucune fraction ne pouvant être marginalisée ou tenue hors du compte national. Elle s’exerce également sur la totalité du territoire, sinon, elle est partielle et violée. Aussi est-il nécessaire de ne jamais poser un élément de cette souveraineté en opposition avec les autres, car elle est un tout indivisible, et de ne jamais trouver un différend là où nous sommes vraiment d’accord. Autrement, nous donnerions raison à celui qui a dit : « Les problèmes les plus insolubles sont ceux qui n’existent pas. » La seconde recommandation de saint Augustin concerne la liberté dans les choses accidentelles. Ce sont les questions relatives à la vie quotidienne et au choix de ceux qui en assument la responsabilité au nom de tous, celles concernant aussi la recherche du bien public, sujet aux aléas du temps et aux tournures des événements. Ces questions-là ne sont pas constitutives, elles ne touchent pas à l’essence de la patrie, ni à son existence, ni aux appartenances de ses fils. Elles nécessitent un dialogue permanent, la consultation entre les gens, la confrontation des opinions, pour aboutir aux meilleures solutions, comme le voit la majorité des citoyens. Cependant, cette majorité ne regroupe pas les personnes sur base de leurs appartenances religieuses ou autres, mais sur base de leurs opinions. Elle peut passer d’un bord à l’autre, suivant un ordre d’alternance, et sans préjudice pour quiconque. Il s’agit d’un jeu d’esprits libres et de volontés libres, d’autant plus appréciable, à mesure que les gens sont plus éclairés dans leur entendement et dans l’exercice de leurs libertés. Ce jeu démocratique reste la règle la plus sûre pour définir le bien de la collectivité, car il fait participer tout le monde à la recherche et à la prise de décision. Il impose, par ailleurs, à toute majorité d’opinion, de tenir compte de l’avis de la minorité en le considérant plutôt complémentaire que contradictoire. Signalons en définitive que la liberté demeure un rempart de la souveraineté contre l’asservissement des gens nés libres depuis leur sein maternel. Reste la troisième recommandation d’Augustin qui complète l’édifice social et lui garantit l’immunité la plus sûre. Il s’agit de l’amour entre les citoyens en toutes situations et en toutes circonstances. Notre rassemblement dans ce pays n’est pas dicté par la contrainte. Nous nous acceptons comme un cadeau de Dieu les uns pour les autres et sur la base d’un heureux destin qui a voulu que notre patrie soit un message pour les hommes dans le domaine de la rencontre des religions et du dialogue des civilisations, comme l’envisage le monde d’aujourd’hui pour se sauver de l’égarement. L’amour me fait sortir du cercle étroit de ma communauté et de moi-même pour trouver dans l’autre une image qui le rapproche de moi et moi de lui. Le Liban ne trouve pas son invulnérabilité du seul fait de l’entente et des pactes entre ses chrétiens et ses musulmans, mais du fait de la force d’amour qui unifie les cœurs de ses musulmans et de ses chrétiens, et les rend solidaires dans les heurs comme dans les malheurs. De cet amour, l’apôtre Paul dit qu’« il ne tient pas compte du mal, ne se réjouit pas de l’injustice ; il espère tout, croit tout, supporte tout » (1 Co 13, 5-7). Le pacte le plus fort entre nous restera à jamais celui de l’amour. Frères, Notre rencontre traditionnelle dans cette église pour prier ensemble, toutes familles religieuses réunies, remonte à trois quarts de siècle. La persévérance de cette tradition n’est qu’un témoignage que les Libanais, en dépit de divergences possibles entre eux, restent attachés les uns aux autres par l’amour. Présentons notre rassemblement en offrande à Dieu pour qu’Il nous élève, patrie et citoyens, aux plus hauts sommets de l’amour. Que toutes les cérémonies religieuses et nationales que nous célébrerons cette semaine soient une occasion d’or pour le renforcement de cet amour par lequel, et avant tout autre chose, s’accomplit notre salut. Ni la crispation, ni les accusations de traîtrise qui n’ont pas de place chez nous, ni les provocations ne construisent ; rien que la vérité cherchée et vécue dans l’amour. Nous demandons à Dieu, par l’intercession de saint Maron, patron de cette fête, de tous les élus de Dieu et de ses saints de garder notre pays dans l’unité, la liberté et l’amour, à la lumière du précepte que nous venons de méditer, et que Dieu nous fasse miséricorde et nous accorde l’abondance de ses grâces et de ses bénédictions. Amen. Paul MATAR Archevêque maronite de Beyrouth
La commémoration en l’espace de quelques jours de trois événements qui ont marqué l’histoire du Liban ; des réflexions sur une recommandation faite par saint Augustin à ses diocésains, il y a de cela plus de quinze siècles, et qui demeure, s’agissant du Liban, d’une brûlante actualité ; un souhait enfin, celui de voir élevé en offrande à Dieu le rassemblement du 9...