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Actualités - REPORTAGE

EXPLORATION - À la recherche de la Croix du Sud Le voyage du « Che » à rebours

Sur les traces de Nabil Élias Romanos, un passionné de voyages, «L’Orient-Le jour» publie la première partie d’une série intitulée « À la recherche de la Croix du Sud ». Dans ce reportage à travers l’Amérique latine, il nous fait découvrir toute la magie de ce continent. Lac Titicaca, 24 décembre, minuit. Un vent glacial souffle dehors et serre les petites barques de roseaux contre le rivage. Sans une parole, les musiciens boliviens soudain arrêtent de chanter l’amour profane et romantique qui semble être l’unique sujet des chansons latines, se lèvent comme un seul homme, sortent de la salle à manger, où nous étions attablés, et reviennent deux minutes plus tard avec un Enfant Jésus qu’ils déposent religieusement dans une crèche où il ne manquait que Lui. Je croyais rêver, mais en fait j’étais aussi embarqué dans une sorte de pèlerinage purifiant, à la recherche de quelque expérience que je n’avais pas encore bien identifiée, mais que je m’étais représentée symboliquement par une constellation. Compliqué tout ça, peut-être, mais pas pour un Gémeaux. Il est impossible de voir les étoiles durant presque tout le mois de janvier en Antarctique puisqu’il fait jour… jour et nuit. Par contre, bien plus au Nord, à des altitudes de 4 000 mètres, les nuits andines sans pollution et sans lumières artificielles sont idéales pour une méditation sereine sur l’immensité de l’univers et ses galaxies. C’est là où j’ai trouvé pour la première fois la Croix du Sud. C’est une croix avec cinq étoiles pour têtes, plus deux autres étoiles qui sont appelées les « pointers » et qui aident à situer la Croix du Sud dans un ciel tapissé de millions de diamants. On trouve le plein Sud en transposant la longueur de la branche principale de la croix en ligne droite deux fois. Le Sud absolu se trouve juste en-dessous, là où cette ligne imaginaire coupe verticalement l’horizon. Les marins raffolent de la Croix du Sud. Les poètes, les romantiques et les révolutionnaires aussi. La maladie d’amour Révolutionnaire et romantique, et même un peu poétique sur les bords ? Pensez au Che. Plus on va vers le Sud dans l’hémisphère australe, plus les contrées deviennent riches et développées. Révolutionnaire romantique par excellence, Ernesto « Che » Guevara a donc pris son Nord au début des années 50. Le jeune Ernesto, étudiant en médecine, et son ami Alberto se dirigent alors de Buenos Aires sur une même moto, traversent la Pampa, les Andes et le reste de l’Amérique du Sud, avant d’arriver à l’océan. Pendant leur voyage, les deux amis s’amusent et courent les filles, vivent de petits larcins et, en offrant leurs services médicaux, mais choqués, ils ne peuvent échapper à la réalité de leur continent, aussi misérable que splendide. Bien avant le film biographique assez récent The Motorcycle Diaries, j’avais lu le livre écrit par le Che dans sa version originale espagnole et j’avais décidé d’entreprendre plus ou moins le même voyage, mais en sens inverse, vers le Sud. J’avais une autre motivation que le Che, moins noble peut-être, certainement plus nécessaire pour mon équilibre psychique : oublier vite, très vite, une belle fille aux yeux verts, et je voulais donc m’éloigner le plus possible de Paris avant de commencer de ressembler à Baudelaire aux pires moments des Fleurs du Mal – l’Argentine semblait suffisamment loin, je crois qu’on appelle ça « aller aux antipodes ». Vous riez ? J’en suis fort aise, puisqu’en bonne compagnie. Je connais l’exemple de quelqu’un qui est allé encore plus loin : Paul Eluard, fuyant une situation impossible avec sa femme Gala (plus tard Mme Salvador Dali). Dans les années 30, le poète (encore un qui a suivi la Croix du Sud !) voyagea de Paris à la Nouvelle-Zélande… en bateau et se refugia chez les Maoris. Peine perdue, puisque Gala a pu le retrouver, sur place, après quelques mois. On ne peut pas faire mieux (ou pire). J’ai donc commencé mon voyage à Lima, au Pérou, et je l’ai terminé à Ushuaia, en Terre de Feu argentine, en traversant l’ancien empire Inca des Andes péruviennes et boliviennes, avant d’arriver dans la Pampa et Buenos Aires, puis la Patagonie jusqu’à Ushuaia. Ravivant la partie sérieuse de mes lectures du Che, j’ai vu les mêmes ouvriers travaillant dans les mines dans des conditions très difficiles à 4800 mètres d’altitude; j’ai vu la même incroyable misère dans l’immense plateau de l’Altiplano qui joint le Pérou à la Bolivie à 3600 mètres de hauteur ; j’ai vu les mêmes injustices et brutalités policières dans les rues de La Paz à 3400 mètres. Hauteur et bonheur ne riment pas toujours. Comme du pain libanais Heureusement, j’ai pu voir aussi le Macchu Picchu au lever du soleil, véritable joyau d’architecture dans son écrin andin, ainsi que l’ancienne capitale Inca et coloniale espagnole de Cuzco. J’ai discrètement assisté à une des assemblées millénaires des Anciens au bord du lac Titicaca, où le noir était de rigueur et les femmes exclues. Du train qui traversait laborieusement l’Altiplano, j’ai pu admirer les geysers et suivi des yeux les lamas et guanacos pourchassés par des pumas. Envoûté par le paysage lunaire de La Paz, j’ai fait quelques emplettes dans la Calle de las Brujas (la rue des Sorcières) où se vendent des potions magiques pour tous les maux et malédictions possibles et imaginables. Entre autres articles spécialement soldés, des fœtus de lama en offrande à Pachamama, Mère-Déesse de la Terre, et dont le mari n’est autre que Inti, le Dieu-Soleil. Ça vous rappelle Tintin et le temple du soleil, ou pas encore ? Puis j’ai goûté à dos de cheval à l’immensité de la Pampa plate comme du pain libanais, j’ai lentement savouré la sophistication de Buenos Aires et ses tangos sulfureux, et je me suis laissé perdre dans l’incroyable beauté sauvage de la Patagonie où un jour de vent fort est comme un ouragan de Floride, où le glacier du Perito Moreno continue à avancer, défiant le réchauffement climatique qui affecte le reste de la planète, et où la Terre de Feu est le dernier arrêt avant le cap Horn et l’Antarctique. Mais ça, vous le savez déjà. Même quand j’ai projeté de passer Noël seul à méditer sur la Condition humaine – la mienne en particulier –, les musiciens boliviens m’ont adopté la veille de Noël au bord du lac Titicaca, insistant pour que je mange, boive, chante et joue de la musique avec eux, rien que pour nous-mêmes, rien que pour célébrer l’incroyable fraternité que sentaient ces humbles indiens Aymaras pour le reste de l’humanité, en cette nuit de Noël. J’étais ravi. Stupéfiant tout court Suivant la Croix du Sud, dans ce Nouveau monde et monde nouveau, j’ai donc découvert la grandeur et la misère de la nature humaine, son affreuse laideur, mais aussi sa beauté magnifique. Je vous fais grâce des mauvais côtés, nous avons tous plutôt besoin d’une bouffée d’optimisme par les temps qui courent. Et pourquoi de l’optimisme ? C’était tout simplement grâce à la spontanéité et le sourire chaleureux des Sud-Américains, aux rythmes parfois endiablés et parfois gentiment mélancoliques de leur musique, et grâce aussi, avouons-le, aux feuilles de coca qu’il faut mâcher pour résister au « soroche », mal d’altitude dû au manque d’oxygène. C’est cette même plante du coca (fort stimulant naturel qui doit être mélangé à des produits chimiques concentrés pour constituer la cocaïne) qui a aidé les Incas et leurs esclaves à résister aussi au froid et à la faim, et qui a favorisé l’émergence de leur puissante culture et leur position dominante pendant des siècles à des altitudes de 2 500 à 4 000 mètres. Stupéfiant – c’est le cas de le dire – mais peut-être moins que les éternels cigares à l’apparence plutôt capitaliste que le Che affectionnait. Comme quoi il faut de tout pour faire un (nouveau) monde. Nabil Élias ROMANOS

Sur les traces de Nabil Élias Romanos, un passionné de voyages, «L’Orient-Le jour» publie la première partie d’une série intitulée « À la recherche de la Croix du Sud ». Dans ce reportage à travers l’Amérique latine, il nous fait découvrir toute la magie de ce continent.

Lac Titicaca, 24 décembre, minuit. Un vent glacial souffle dehors et serre les petites...