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Actualités - OPINION

IMPRESSION Gemmayzé

Rue Gouraud, rue Pasteur. La première turbulente, la parallèle plus sage. Un de ces quartiers qui vous rappellent que Beyrouth est d’abord un port, un giron de terre où la mer joue le jour et se love la nuit. Quand la vague se retire, elle vous dit de la suivre : viens ! et quand elle arrive charriant ses hommes et ses marchandises, elle vous dit tiens ! Tiens les hommes, porteurs, marins, marchands, étudiants qui, jusqu’aux années de guerre, logeaient dans des hôtels douteux aux noms incroyables : hôtel des Poètes, hôtel des Hommes de lettres, hôtel de la Joie. Rue Gouraud, l’apprenti au front pâle, le portefaix aux jambes lourdes, le crieur aphone se retrouvaient le soir dans des chambres monacales où, pour quelques sous, on soignait leur pauvre linge et un peu de leur solitude. Et s’ils n’étaient ni écrivains ni poètes, il y avait dans leur espérance matière à poésie et dans leur misère ordinaire l’écheveau d’un roman. Gouraud longe les contreforts d’Achrafieh. La rue ondule, plate comme la main, mais ses petites perpendiculaires sont pentues, animées d’escaliers parfois abrupts qui mènent à des maisons en terrasses où foisonne une vie d’une autre espèce. Là-haut, des draps frais claquent au vent, lumineux sur le zinc rouillé des toitures. À l’autre bout de la rue, des résidences élégantes se cachent dans les jardins. Des enfants rient dans l’herbe humide, sous les citronniers, les néfliers et les jacarandas. Des dames belles font à l’heure du thé un sérieux conciliabule qui glorifie et condamne dans un frémissement de tentures. En contrebas, les étudiants des beaux-arts se sont approprié les lieux. Gemmayzé les a réconciliés avec la ville. Dans leurs caméras éblouies, des murs pisseux, des dallages mangés de mousse, des néons blêmes, des impasses glauques et le souvenir radieux d’un premier baiser. Dans la foulée des voleurs d’images, les restaurants sont venus un à un remplacer les échoppes et les ateliers. Il fallait des lieux pour fixer l’émotion qui passe, l’abriter pour un soir, lui donner des saveurs et des mots. Cinq ou six tables, quelques habitués, des verres qui se lèvent d’un bout à l’autre de la salle. Le bonheur simple de resserrer les liens, de croiser des familiers, de sourire à des inconnus. Et l’impression que le Liban commence juste là. Fifi ABOU DIB

Rue Gouraud, rue Pasteur. La première turbulente, la parallèle plus sage. Un de ces quartiers qui vous rappellent que Beyrouth est d’abord un port, un giron de terre où la mer joue le jour et se love la nuit. Quand la vague se retire, elle vous dit de la suivre : viens ! et quand elle arrive charriant ses hommes et ses marchandises, elle vous dit tiens ! Tiens les hommes, porteurs, marins,...