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analyse - Les trois acteurs du Sud, Berry, Hariri et Nasrallah, ont désormais les yeux braqués sur la présidentielle Finalement, ce ne sont « que » des municipales ?

Contrairement aux enjeux nationaux, un scrutin purement local dans une démocratie parlementaire – même boiteuse, comme parfois au Liban – a quelque chose de savoureux pour les partis, pôles ou forces politiques, aussi bien que pour les électeurs : la liberté pour les candidats et les parrains de jauger, d’interpréter, d’expliquer, à haute voix ou en coulisses, comme ils le souhaitent et comme cela les arrange, l’importance d’une défaite ou d’une victoire. Une explication presque toujours conclue par un « finalement, ce ne sont que des municipales » amusé que l’interlocuteur égaré peut comprendre de mille et une façons. Et la troisième journée des municipales 2004 n’a pas échappé à cette règle. Loin de là. « L’essence de la démocratie réside dans le respect de la décision de l’électeur, quelle qu’elle soit. » Ces mots, louables lorsque l’on connaît la rage de vaincre et la passion du pouvoir du Premier ministre, sont ceux de Rafic Hariri lui-même, qui a essuyé un cuisant échec dans sa ville natale, Saïda, où la liste qu’il parrainait n’aurait réussi à placer, sur les 21 conseillers municipaux, qu’un seul homme : Nasser Hammoud, qui n’a battu Georges Nassar de la liste Saad-Bizri qu’avec 15 voix d’écart. Ce nécessaire et urgent respect de la vox populi ne doit pas empêcher, bien au contraire, le très ambitieux Premier ministre de se pencher sur les raisons de son fiasco électoral sudiste, qui risque de faire oublier les acquis – pas très gras il est vrai, au vu de l’énorme abstention – de sa victoire beyrouthine d’il y a deux semaines. Même s’il est évidemment trop tôt de tenter d’analyser ce très faux pas ; même s’il ne laisse présager en rien, ou presque, des législatives de 2005 et encore moins de l’avenir politique du maître de Koraytem après la désignation du successeur d’Émile Lahoud à la tête de l’État, il est évident que les raisons de cette infortune sont nombreuses. Est-ce à cause de ce trop-plein de confiance duquel Rafic Hariri a souvent été coutumier et consommateur immodéré, et qui l’a poussé à prendre Saïda pour acquise ? Est-ce une erreur d’appréciation de sa part, des a priori sur cette mentalité sidonienne si particulière – notamment depuis la révolte des pêcheurs –, qu’il est censé pourtant connaître mieux que d’autres mais que l’éloignement et le pouvoir semblent avoir fortement floutée ? Est-il en train de payer cash, avec les intérêts et au prix fort, sa liaisaon adultérine et terriblement ostentatoire (Koraytem, Solidere, etc.) avec la capitale, poussant dans ses derniers retranchements sa ville natale qui ploie sous la misère ? Est-ce que son échec est dû à cette alliance un peu contre-nature avec la Jamaa islamiya, alors qu’il aurait dû, tout logiquement, faire tandem avec l’autre bourgeois de la ville, Abdel-Rahmane Bizri ? Est-ce à cause de l’héritage politique sidérant de Maarouf Saad ? À cause de la mauvaise gestion (notamment par Bahia Hariri) de la campagne et de la bataille électorales ? Ou bien, est-ce parce que, tout simplement, l’« on » a voulu « punir » Rafic Hariri après sa prise de Beyrouth, le mettre en garde contre toute velléité « souverainiste », ou contenir ses élans, freiner ses ambitions, à quelques mois de la présidentielle, que tous ou presque se sont ligués contre lui, refusé la bataille, aiguillonnés ou pas par des banderilles damascènes ? Bien faire et laisser braire. Ce doit être aujourd’hui la devise du Premier ministre, tout entier convaincu qu’il doit être que la vengeance est un plat qui se mange tiède (fin octobre). Peut-être froid (en 2005). Voire même, en cas de reconduction, totalement glacé (novembre... 2010). Ce n’est sans doute pas la température que Rafic Hariri doit préférer, mais il est évident que sa mono-obsession, désormais, s’appelle Baabda. « Le Sud a dit ce qu’il avait à dire, et demain est un autre jour. » Ce constat très confucianiste est celui d’un homme dont le ouf de soulagement, dans la nuit de dimanche à lundi, a été certainement entendu jusqu’aux rives du Barada. Même si l’on part de l’axiome que l’échéance du 23 mai « n’était que » municipale, Nabih Berry jouait tout de même « rien moins que » sa moitié de leadership chiite. Et comme à son habitude, il l’a joué rusé. Pour réussir son incontournable test de popularité face à l’effrayante et ultradisciplinée machine hezbollahie, boostée par ses victoires dans la banlieue sud et dans la Békaa, le président de la Chambre a dirigé lui-même la bataille, et en abattant toutes ses cartes. Même si son mouvement a remporté moins de municipalités que le parti de Dieu (89 contre 134), le succès incontestable à Tyr (ville et caza) ; la victoire dans les villages du Zahrani ; la percée à Nabatiyeh, supposée mère des batailles au Sud ; une présence significative dans les fiefs chrétiens (Jezzine ou Maghdouché par exemple) ; une volonté de partager le gâteau avec la formation de Hassan Nasrallah, fût-ce au scandaleux détriment de personnalités locales indispensables à une saine praxis politique ; une ambition pour une fois à la hauteur de ses moyens – modeste... tout cela a permis à Nabih Berry et à Amal non pas de vaincre – c’eût été impossible –, mais de limiter les dégâts et d’assurer de quoi survivre, politiquement, jusqu’aux prochaines échéances. Sauf que le n° 2 de l’État est aujourd’hui face à une herculéenne gageure : remonter la pente, en prouvant aux électeurs chiites qu’il a tiré les leçons de ce désamour, qu’il entend bien faire le ménage au sein d’Amal, en redorer le blason, en finir avec la réputation désastreuse et noirissime que le mouvement trimballe comme autant de boulets ; et aux autres qu’il a compris que le temps de la guerre, avec son cortège d’étalage de muscles, est bel et bien terminé. Y réussira-t-il ? C’est difficile, après toutes ces années de pratique, de changer, mais Nabih Berry a une réputation d’intelligence tellement légitime qu’il en serait capable, s’il le voulait. Sauf que lui aussi va désormais consacrer ses yeux, ses tympans et ses cordes vocales à la présidentielle. Avec, en ligne de mire, cette équation surréelle : si Émile Lahoud s’en va, Nabih Berry et Rafic Hariri pourront-ils rester à leur place ? Quant au Hezbollah, force est de constater que son OPA ratée sur l’espace national chiite ne l’a pas empêché de réaliser son double but : primer sur l’électorat de la communauté, asseoir plus que confortablement une popularité déjà éblouissante, et entrer de plain-pied, alors qu’il brille par son absence au sein du gouvernement ou de la plus petite administration, dans les municipalités. Il lui reste simplement à recycler sa formation militaire en un super Sinn Féin (les législatives 2005 seront primordiales pour lui), à laisser à l’État le soin de protéger les frontières libanaises, et à... convaincre les chrétiens. Qu’ils soient du Sud ou d’ailleurs. L’échéance présidentielle sera un tournant très important pour le Hezbollah de Hassan Nasrallah, tout autant que pour Nabih Berry et Rafic Hariri. C’est à ce moment-là, et plus tard, évidemment, aux législatives, qu’ils sauront si les élections du 23 mai ne sont finalement « que » des municipales. Ziyad MAKHOUL
Contrairement aux enjeux nationaux, un scrutin purement local dans une démocratie parlementaire – même boiteuse, comme parfois au Liban – a quelque chose de savoureux pour les partis, pôles ou forces politiques, aussi bien que pour les électeurs : la liberté pour les candidats et les parrains de jauger, d’interpréter, d’expliquer, à haute voix ou en coulisses, comme ils...