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Actualités - CHRONOLOGIE

Conférence - Les médias et la crise de la démocratie dans le monde arabe, un débat organisé par l’USJ Le quatrième pouvoir sous la loupe de quatre journalistes (Photo)

Le quatrième pouvoir que représentent les médias ne saurait assumer à lui seul la responsabilité de l’absence de démocratie dans le monde arabe tant il est vrai que ce pouvoir ne peut s’exercer efficacement en l’absence d’un climat de liberté et d’une vie politique assainie. C’est la constatation à laquelle sont parvenues quatre grandes signatures de la presse libanaise, réunies hier à l’Université Saint-Joseph pour une conférence-débat sur le thème suivant : « Médias et crise de la démocratie dans le monde arabe ». Un titre que Rafic Khoury contestera dès le début de son intervention d’un ton tranchant : « Pour que l’on puisse parler de la crise de la démocratie dans le monde arabe, il faut déjà que celle-ci existe, ce qui n’est pas le cas. » C’est autour de cette problématique qu’évoluera l’analyse des quatre intervenants – Rafic Khoury, directeur de la rédaction du quotidien al-Anwar, Issa Goraieb, éditorialiste à L’Orient-Le Jour, Gebran Tuéni, PDG du quotidien an-Nahar, et Talal Salman, PDG du quotidien as-Safir – qui, à tour de rôle, reprendront le bilan, par moments très pessimiste, de près d’un siècle de cohabitation forcée entre une presse aspirant à changer le cours des choses et des régimes arabes qui se sont très tôt enlisés dans des modèles autoritaires et répressifs. Mais face à ce cercle vicieux qui illustre parfaitement le dilemme du bœuf et de la charrue, comment définir la responsabilité qui incombe aux uns et aux autres ? Les médias sont-ils tout à fait innocents de la régression désolante de la démocratie et doivent-ils attendre passivement que celle-ci leur soit accordée sur un plateau d’argent – ou « importée », le terme est à la mode – soit par des gouvernants dirigistes et inamovibles, soit par un Occident qui cherche, depuis un certain temps d’ailleurs, à parachuter un concept avec lequel les peuples de la région ne sont pas encore tout à fait familiarisés ? « Il n’est pas étonnant que, dans les sociétés non démocratiques, les pouvoirs en place n’apprécient pas la presse. » Un constat que fait le responsable du Master en information et en communication, le professeur Pascal Monin, organisateur et modérateur du débat, qui explique que la relation qui existe entre les deux parties – les médias et les régimes arabes – est une relation mutuelle de vie et de mort, dans la mesure où l’un entraîne invariablement l’anéantissement de l’autre. « Dans le monde arabe, nous avons un exemple patent de concubinage (raté) entre les deux pouvoirs et de mort lente de l’un et de l’autre », précise le professeur. Rappelant que le Liban jouit d’un « trop-plein de liberté et de peu de démocratie », il se demande quel a été le rôle des médias lors de la crise de la démocratie. « Ce qui nous importe à ce stade, ajoute M. Monin, c’est plutôt ce que la presse n’a pas fait en terme de dynamisation des forces sociales et de lobbying pour la mise en place d’une loi municipale moderne qui puisse aider les citoyens à se défaire de leur culture sectaire et à lever l’état de siège qui leur a été imposé. » « La presse arabe est effectivement en crise, tout comme la production culturelle dans son ensemble », enchaîne Rafic Khoury. Un bilan qu’il résume par une autre constatation, à savoir l’exacerbation de la « crise identitaire ». « Il n’y a plus lieu de se leurrer même si nos régimes continuent de nous tromper. Autant les parlements sont nombreux, autant la vie parlementaire est inexistante », dit-il. « Soyons réalistes : les seules élections ne font pas revivre la démocratie, le monde arabe étant réputé pour ces élections concoctées sur mesure », ajoute l’éditorialiste qui rappelle au passage comment Hitler a accédé au pouvoir par la voie des urnes justement. « La démocratie est plutôt un mode de vie qu’une consultation vidée de son sens », poursuit-il en égrenant un à un les fondements du régime démocratique : l’État de droit, la société civile, la vie partisane, l’alternance, des organes de contrôle efficaces, mai aussi le libéralisme qui en est un aspect tout aussi incontournable. Évoquant à son tour la relation intrinsèque qui lie la presse à la démocratie, il souligne la nécessité de conforter trois sortes de libertés : celles de la pensée, de la parole et du pouvoir de changement. « Nous ne sommes pas uniquement des producteurs d’informations. De même que vous n’êtes pas de simples consommateurs de journaux. La presse est une tribune de discussion ouverte à toute société dynamique. En l’absence de cette dernière, elle se transforme en une simple publication, ou, dans le meilleur des cas, en un message de reconnaissance alors qu’elle est au départ un moyen de connaissance », souligne l’intervenant. Une responsabilité partagée, selon Goraieb Ce ne sont point les médias, en l’occurrence les médias libanais, qui doivent assumer la responsabilité de la régression de la vie démocratique, réplique Issa Goraieb. En effet, celle-ci n’a jamais manqué à sa mission « en termes d’attachement aux principes démocratiques et aux libertés publiques, en termes de courage et d’opiniâtreté, d’audace, de punch ». Et de rappeler que « les choses les plus graves sont dites et écrites avec la plus grande netteté, sans plus que vous, lecteurs ou téléspectateurs, ayez encore besoin de lire entre les lignes. Mais ce que nous avons gagné en mordant, en vigueur d’expression, nous l’avons incontestablement et paradoxalement perdu en efficacité, en résultat », affirme l’éditorialiste, en constatant que le temps où la presse contribuait à faire et à défaire les gouvernements et à faire aboutir les justes causes est révolu. « La presse n’est plus ce quatrième pouvoir qu’elle fut naguère, et la raison en est simplement et tristement que les autres pouvoirs ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes », insiste M. Goraieb. Ainsi « réduits à l’état de défouloirs », les médias s’avèrent d’autant plus impuissants à changer le cours des choses que l’opinion publique, à force d’être marginalisée, risque de sombrer dans une léthargie totale, déplore-t-il. Mais c’est précisément sur ce terrain-là que doivent intervenir les médias, indique le conférencier, « pour maintenir vivace en vous l’esprit critique et entretenir la flamme de la contestation ». Abondant dans le même sens, Gebran Tuéni dresse l’historique d’une presse libanaise qui n’a jamais manqué de témérité ni de pertinence pour décrier les violations et dénoncer les abus tout en défendant les principes sacro-saints de la démocratie. Preuve en est, dit-il, l’interdiction imposée à certains quotidiens libanais, qui ne peuvent être lus dans les pays arabes que grâce à l’Internet, un espace désormais voué à la culture démocratique. Par contre, poursuit l’intervenant, la presse arabe traditionnelle, elle, a fait faillite sur ce plan, notamment au regard du rôle avant-gardiste qu’elle remplissait à ses débuts, où nombre de journalistes furent emprisonnés pour leurs opinions et à cause de leur combat. La situation est malheureusement bien différente de nos jours où une majorité de journalistes « dorment sur les lauriers des donations qui leur sont octroyés par les gouvernants, soumis qu’ils sont à l’état de fait imposé par les régimes en place, silencieux devant ceux qui poignardent la démocratie en plein cœur, se considérant parmi l’élite chanceuse qui se trouve dans la bonne grâce des dirigeants ». Et le journaliste d’insister en rappelant qu’il ne saurait y avoir de véritable réforme sans le soutien obligé de la presse, et sans la participation de la société civile dont elle est le porte-étendard par excellence. Enfin, relève M. Tuéni, « pas de liberté de presse non plus sans une indépendance financière totale et absolue (des médias) ». Les mots pour le dire « Au commencement était le Verbe. Seule la parole est la clé de la liberté et du libre choix », affirme Talal Salman. « Par le passé, au présent et au futur, Beyrouth continue de s’affirmer comme la ville de la parole », dit-il en soulevant une seule exception, celle de la parenthèse des guerres, qui ont subtilisé les mots et consolidé le confessionnalisme, précise le journaliste, en allusion notamment au conflit libanais et à l’actuelle crise irakienne. Pour M. Salman, ce n’est pas la prolifération des organes de presse ni leurs multiples allégeances politiques qui sont les signes d’une bonne santé démocratique. En Irak, l’existence de 200 publications reflète plutôt « un désordre informationnel » d’autant plus pernicieux qu’il sévit à l’ombre de l’occupation. En Syrie, ajoute le conférencier, ce nombre est nettement plus réduit – trois quotidiens – « mais le journal Techrine n’est autre qu’une troisième copie conforme (des deux autres organes du pouvoir), le Baas et la Thawra ». Cependant le paysage n’est pas plus reluisant du côté des médias audiovisuels qui ont fleuri hors du Liban. « Personne n’ignore qui possède ou finance al-Jazira et al-Arabiya ou encore les autres chaînes qui se targuent d’être indépendantes et qui émettent hors des territoires arabes, loin des préoccupations des peuples de la région. » Ainsi, en exportant ses talents vers d’autres contrées arabes, le Liban a perdu ses cerveaux et la démocratie a perdu ses défenseurs, sans que ces derniers n’aient pu lui restituer ses lettres de noblesse dans leurs pays d’accueil. Et de conclure : « C’est la vie politique qui relève le niveau de la presse et le journalisme ne saurait exister en l’absence de celle-ci. Or dans le monde arabe il n’y a ni l’un ni l’autre, sauf rares exceptions ». Jeanine JALKH
Le quatrième pouvoir que représentent les médias ne saurait assumer à lui seul la responsabilité de l’absence de démocratie dans le monde arabe tant il est vrai que ce pouvoir ne peut s’exercer efficacement en l’absence d’un climat de liberté et d’une vie politique assainie. C’est la constatation à laquelle sont parvenues quatre grandes signatures de la presse...