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Actualités - OPINION

Spécial - Le Figaro Bagdad se prend à espérer après les élections

BAGDAD, de notre envoyé spécial Renaud GIRARD À Bagdad, il n’y a pas, aujourd’hui, que les diplomates de l’ambassade américaine qui affichent un bel optimisme et une foi inébranlable dans un avenir meilleur pour l’Irak. Il y a aussi le père Youssef Thomas Mirkis, un dominicain qui n’a pas peur de dire publiquement ce qu’il pense, et de l’écrire dans la revue mensuelle qu’il publie en arabe al-Fikr al-Masihi (La Pensée chrétienne). La différence entre les diplomates et le père Thomas est que ceux-là ne sortent pas de la « zone verte » hyperprotégée où ils travaillent, dînent et dorment, tandis que celui-ci vit tranquillement, sans la moindre protection, en compagnie d’une dizaine d’autres dominicains, dans un petit couvent moderne situé en plein centre de la capitale irakienne. C’est là qu’il reçoit, avec une extrême gentillesse, ses innombrables visiteurs, chrétiens irakiens déboussolés comme intellectuels musulmans avides de débat avec ce théologien hors pair. Dans son français parfait (appris à Paris, où il a passé un doctorat en ethnologie consacré aux vieilles légendes kurdes), le père Thomas exprime la joie que lui ont procurée les élections de dimanche dernier. « Le matin à 9 heures, les gens étaient sortis de chez eux dans ma rue, mais ils ne bougeaient pas. Je suis sorti à mon tour, et ils m’ont demandé : “Mon père, est-ce que vous allez voter ? On dit que c’est très dangereux.” J’ai répondu : “Bien sûr, et vous allez tous venir avec moi, nous marcherons ensemble. S’il nous faut mourir, eh bien mourons tous ensemble !” Arrivés devant l’école de notre quartier, il y avait une file d’attente. Les gens avaient vaincu leur peur. Vaincre sa peur, voilà le véritable esprit de résistance ! » Pour le dominicain irakien (de mère chaldéenne et de père assyrien), cette journée du 30 janvier 2005 devrait être décrétée fête nationale. Le père Thomas, qui a imprimé en arabe 14 000 affiches reproduisant la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, afin qu’elles soient placardées dans les écoles irakiennes, n’éprouve aucune inquiétude face à la victoire électorale probable de la liste chiite 169 parrainée par l’ayatollah Sistani. « Ici, les chiites ont de la profondeur, car ils ont beaucoup souffert. Leur religion n’est pas mortifère. Sistani a lui-même insisté auprès de ses partisans pour qu’ils incluent des représentants de toutes les confessions chrétiennes dans la liste 169. » Et les sunnites ? « Les sunnites n’ont pas en Irak de vrai chef religieux, de grand leader politique. Il y a des imams, à la religiosité superficielle, qui, en ne condamnant pas le terrorisme et la violence, se sont jetés dans le vide. La décision des ulémas d’appeler au boycott d’élections où, pour la première fois depuis quarante ans, une liberté entière était donnée aux Irakiens, constitue une erreur cardinale, qu’ils regretteront longtemps. » Le dominicain en veut beaucoup à la chaîne satellitaire arabe al-Jazira. « Dans la guerre d’Afghanistan, puis ici, elle a joué un rôle extrêmement néfaste, elle a donné sans cesse la parole aux imams les plus virulents, et elle a légitimé sournoisement les groupes terroristes en passant à l’antenne leurs vidéos les plus macabres. Il paraît que le gouvernement du Qatar cherche à vendre al-Jazira pour s’en débarrasser. Comme je le comprends ! » Bien qu’il vive dans la ville musulmane la plus violente du monde aujourd’hui, le père Thomas estime que « partout dans le monde, l’islamisme perd du terrain. Regardez les pays officiellement islamistes. Le Soudan est dans une impasse. Quant à l’Iran, toute sa jeunesse rejette le régime des mollahs ! » Aux yeux du dominicain-ethnologue, qui est aussi titulaire d’un doctorat en théologie, « les “religieux” qui tuent au nom de l’islam n’ont aucun avenir. Toutes les religions qui légitiment l’assassinat d’autrui sont, à terme, condamnées à mourir. Regardez quel mal ont fait au catholicisme les quelques centaines de morts de l’Inquisition. Six siècles plus tard, on nous le reproche encore, et à raison ! Il est grand temps que l’islam fasse le ménage chez lui, que les théologiens musulmans se mettent à l’exégèse de leur livre saint, car une lecture littérale d’un texte écrit il y a plus de treize siècles n’a aucun sens ». Le père Thomas est un déçu de la politique étrangère de la France : « Vous, les Français, vous ne faites que critiquer, dire non à tout. Les Américains avancent peut-être comme des buffles, très maladroitement, mais, au moins, ils ont un idéal. Ils n’acceptent plus les régimes tyranniques, qu’ils considèrent dangereux pour la paix mondiale. Je ne vois pas ce qu’il y a à redire à cela ! » Mais quid des introuvables armes de destruction massive et des prétendus liens de Saddam Hussein avec el-Qaëda ? « Bon, le diagnostic initial du chirurgien américain était mauvais, répond le dominicain, les yeux pleins de malice. Mais l’opération était bonne et nécessaire. Vous verrez, grâce à l’action des Américains, les peuples actuellement les plus malheureux du monde arabe (les Irakiens et les Palestiniens) finiront, par leur exemple, à lui apporter la renaissance dont il a tant besoin ! »
BAGDAD, de notre envoyé spécial Renaud GIRARD

À Bagdad, il n’y a pas, aujourd’hui, que les diplomates de l’ambassade américaine qui affichent un bel optimisme et une foi inébranlable dans un avenir meilleur pour l’Irak. Il y a aussi le père Youssef Thomas Mirkis, un dominicain qui n’a pas peur de dire publiquement ce qu’il pense, et de l’écrire dans la revue mensuelle...