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Actualités - CHRONOLOGIE

CONCERT - À l’auditorium Aboukhater (USJ) Roger Muraro, un art consommé et majeur (photo)

Cheveux coupés au ras du crâne, taille élancée, regard malicieux derrière des lunettes de myopie, chandail, pantalon et veste satinée noirs pour Roger Muraro, flamboyant pianiste aux mains énormes, couvrant aisément les octaves des touches d’ivoire dont il tire, on dirait sans effort, avec d’incroyables pianissimi, des mélodies et des accords ensorcelants. Grand public, sélect et recueilli (sauf pour la sonnerie du mobile d’une madame sans gêne qui voulait sans nul doute s’assurer que son tabboulé est bien assaisonné!) pour un interprète qui a raflé haut les mains (encore elles!) tous les prix (Tchaïkovski, Liszt) et qui, par-delà brio et bravoure, a un sens déconcertant de l’humour doublé d’une confondante simplicité. Joint-venture de la Mission culturelle française au Liban et du Conservatoire national supérieur de musique qui présentent aux mélomanes libanais, notamment les «pioanophiles» chevronnés, un interprète hors pair. De Carnegie Hall aux scènes les plus prestigieuses du monde (Paris, Berlin, Londres, Munich, Vienne, La Haye, San Francisco), Roger Muraro a le talent de concocter aussi des programmes qui sortent des chemins battus et c’est là, avec lui, qu’on redécouvre Messiaen dont il est un éminent spécialiste et surtout un éloquent porte-parole d’une œuvre qu’il articule et interprète avec une générosité et une sensibilité exceptionnelles. Pour les fidèles habitués des concerts des mardis soir à l’auditorium Aboukhater (USJ), voilà donc un menu particulier, conciliant la spontanéité de Mozart, l’écriture empreinte de mysticisme et des étonnements de l’enfance de Messiaen, et la tourmente romantique de Chopin. Trois atmosphères qui s’harmonisent parfaitement sous les doigts magiciens de Roger Muraro. Ouverture tout en fraîcheur et spontanéité avec le génie de Salzbourg. Premières mesures, légères et tendres, de la Sonate en si bémol majeur K333 (en trois mouvements: allegro, andante cantabile, allegretto grazioso) de Mozart où se déploient déjà la douceur et le soyeux des phrases du plus inspiré des compositeurs. Narration amplifiée encore dans sa beauté native grâce au jeu totalement prenant de Roger Muraro, qui donne à la partition une singulière lumière où la mélodie est non seulement chantante mais irradie un charme et une grâce mêlant en toute innocence sérénité et frémissements intérieurs. Lyrisme, poésie et mysticisme avec Messiaen Passage à Olivier Messiaen qui a enchanté le public. Deux œuvres qu’on découvre, dépaysés mais médusés, avec infiniment de plaisir. L’alouette Lulu (extrait du livre III du catalogue d’Oiseaux). Ici se résument les lignes de force de la vie et de l’œuvre de Messiaen: on y retrouve sa foi chrétienne, l’amour de la nature et le lyrisme poétique. Splendides images sonores traduites avec subtilité et originalité, dans des intonations et des accents audacieux et modernes. Une alouette dialogue avec un rossignol dans le velours de la nuit… Notes aiguës répondant aux graves de l’amour dans des accords aux timbres profonds. Suit, dans le même registre d’expressionnisme passionné avec la même rigueur formelle d’écriture, un des morceaux capitaux des Vingt regards sur l’Enfant-Jésus. On écoute religieusement, (et ce n’est guère là une figure de style!) Regard n°15 le baiser de l’Enfant-Jésus. Torrents de notes où, entre silence et arpèges perlés, surgit un jardin lumineux. Un enfant y joue en toute quiétude. Images d’un onirisme somptueux où Olivier Messiaen diffuse, par-delà d’étonnantes dissonances harmoniques, une atmosphère singulière et éthérée où la répétition, ressort secret de l’enchantement musical, a ici de séduisantes dérives. Spiritualité impalpable pour une œuvre pleine de foi. Et que Muraro, en excellent et brillant «passeur», transmet intégralement au public qui, tétanisé, presque étonné lui-même d’être tant bouleversé et conquis, l’ovationne à tout rompre. Troisième volet consacré exclusivement et fastueusement au prince du clavier, Frédéric Chopin. Fermez les yeux et écoutez cette tornade incandescente et ce rêve vaporeux romantique. Ont défilé d’une traite (à la demande expresse et à raison du pianiste, pour un recueillement et concentration absolus) le Nocturne en si bémol mineur op 9 n1 (larghetto), un souffle dans la nuit, comme une caresse d’une insupportable douceur, la Mazurka en la mineur op 17 n4 (lento ma non troppo), bonjour tristesse à couleur de ciel plombé et de forêt profonde, pour conclure avec le morceau de bravoure, terrible et périlleuse narration que cette Sonate en si bémol mineur op 35 (joyau du répertoire pianistique) donnée ici dans une version majestueuse et déchirante. Majestueuse avec ses rythmes au ralenti et ses accords opalescents comme des grappes dorées. Déchirante dans cette marche funèbre, où des archanges aux ailes déployées escortent le corbillard de la mort… Images d’un romantisme échevelé où la vie et la mort mènent un combat inégal dans un romantisme ténébreux et enfiévré. Poésie torrentielle qui finit légère comme une pirouette aérienne par le presto final. Une trombe d’applaudissements par une salle comble qui acclamait un pianiste haut de gamme, à la technicité éblouissante. En bis, une polonaise. Brillante. Un art consommé et majeur. Cela faisait belle lurette que le piano de la scène de l’auditorium Aboukhater n’avait été à pareille fête. Edgar DAVIDIAN


Cheveux coupés au ras du crâne, taille élancée, regard malicieux derrière des lunettes de myopie, chandail, pantalon et veste satinée noirs pour Roger Muraro, flamboyant pianiste aux mains énormes, couvrant aisément les octaves des touches d’ivoire dont il tire, on dirait sans effort, avec d’incroyables pianissimi, des mélodies et des accords ensorcelants.
Grand...