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Analyse - Au marché des modes de scrutin, quel choix pour le Liban ? II - « S’il vous plaît, dessine-moi une loi électorale »

Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. La célèbre phrase de Pascal s’applique parfaitement aux effets des différents modes de scrutin, et il serait vain de chercher à démontrer une quelconque universalité dans les traits caractéristiques de chacun de ces systèmes. Pourtant, il ne fait pas de doute que ces traits existent. Les manuels le disent. Mais en exagérant quelquefois l’uniformité. Ainsi, la majoritaire est censée favoriser ce qu’on appelle les partis de gouvernement. Quant à la proportionnelle, qui reflète mieux l’état de l’opinion et permet à des partis marginaux de se faire une place au soleil, elle déboucherait sur des Chambres atomisées, sans majorité nette d’une formation sur les autres, et donc sur des gouvernements de coalition fragiles. Voilà un constat sorti tout droit de l’expérience de la IVe République française (1946-1958), tant décriée pour ses Chambres « introuvables » et ses gouvernements éphémères. Mais ce qui fut valable pour la France et encore davantage pour l’Italie, ne l’est toujours pas pour l’Allemagne, où la proportionnelle en vigueur n’a jamais ébranlé la domination massive des deux grandes formations, le Parti social-démocrate (SPD) et la Démocratie chrétienne (CDU). Il obeit à des considérations profondes qui changent d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre. On aurait tort cependant de croire que, dans un pays comme le Liban, l’adoption d’un code électoral plus moderne que celui qui est vigueur aujourd’hui n’aurait pas de conséquences majeures sur la vie politique du pays, minée par un archaïsme paralysant. S’il est vrai que les mœurs politiques déterminent le reste et non le contraire, il est tout aussi vrai que lorsque ces mœurs évoluent, cette évolution demeure bloquée par le maintien d’un système obsolète. L’escroquerie de la circonscription unique Depuis quelques années, d’innombrables propositions ont été faites au Liban par des universitaires ou des politiques en vue d’une réforme électorale. Certaines sont modestes, d’autres exhaustives. Quelques-unes atteignent un tel degré de complexité qu’il faudrait – si elles étaient appliquées – que chaque électeur suive un cours intensif de formation auprès d’une grande université avant d’aller voter. Il est peut-être normal, après tout, pour celui qui roule sur un chemin sablonneux de rêver d’autoroutes à bretelles. Mais ce serait oublier que la démocratie doit être impérativement un exercice simple, transparent. Faute de quoi il n’est plus question de démocratie. D’autres propositions avancées pèchent, au contraire, par leur extrême simplisme, confinant parfois à la débilité... ou à l’escroquerie. Quels autres termes pourrait-on en effet appliquer à un système tel que la majoritaire à circonscription unique ? Le fait même que certains hommes politiques osent proposer pareille calamité témoigne de l’étendue du mal. Pourquoi avoir plusieurs rouleaux compresseurs de taille moyenne lorsqu’on peut disposer d’un seul, mais alors plus grand que tous les autres réunis ? Voilà donc une liste de 128 candidats bénis des dieux... Enfin, disons 123, parce qu’on voudra bien laisser quatre ou cinq sièges à des « instances » qu’on ne peut prendre sur la liste magique (on y a placé leurs rivaux directs), mais qui sont « incontournables » dans « l’équation » libanaise. Et puis, pour la forme, on concédera bien quelques batailles bien épicées ici et là. Pas au Liban-Sud, bien sûr. On laissera même quelques sympathiques opposants percer. À la fin, on se retrouve avec 115 à 120 sièges, et le tour est joué. Le plus souvent, les hommes politiques qui avancent la circonscription unique le font non pas par conviction, mais parce que dans le jargon libanais, se prononcer pour les grandes circonscriptions, c’est faire partie du club « national », autrement dit prosyrien. Ainsi donc, la croyance en un « destin commun » entre le Liban et la Syrie serait proportionnelle à la taille des circonscriptions électorales. C’est qu’en fin de compte, cette belle croyance n’est rien d’autre qu’une soumission pure et simple à la tutelle syrienne. Soumission d’autant plus douce qu’elle sert les intérêts d’une brochette de ploutocrates qui tiennent ce pays en coupe réglée. Inversement, et selon la même logique, les tenants de la circonscription uninominale seraient des ennemis mortels de Damas. Suffisamment en tout cas pour condamner définitivement ce système, le seul pourtant qui ait les faveurs des démocraties optant pour le mode majoritaire. Mais ce système peut-il être appliqué au Liban ? Le cas échéant, quels en seraient les effets ? Il existe deux variantes à la majoritaire uninominale. Elle peut être à un seul tour (Grande-Bretagne), ou à deux (France). Il y a autant de circonscriptions que de sièges, puisque dans chaque circonscription on élit un seul député (d’où le terme « uninominal »). Le découpage des circonscriptions est naturellement une opération très délicate nécessitant une neutralité absolue de l’autorité qui tient les ciseaux. D’autant que cette opération doit être répétée partiellement de façon périodique en fonction de l’évolution démographique. Ici apparaît la première difficulté pour le Liban, où cette autorité, on s’en doute, n’existe pas encore. Mais cette observation est tout aussi valable pour le système en vigueur, comme pour tous les autres codes électoraux. Naturellement, il n’existe nulle part d’égalité absolue et permanente entre le nombre d’inscrits dans chacune des circonscriptions. Généralement, on part d’un chiffre moyen, par exemple 20 000 inscrits pour un siège, puis on établit les circonscriptions sur la base d’une fourchette allant de 15 000 à 25 000. Dans le cas britannique, le candidat arrivé en tête dans sa circonscription est élu, même s’il a moins de 50 % des voix. En France, seuls passent au 1er tour les vainqueurs ayant obtenu plus de la moitié des suffrages. Les autres candidats arrivés en tête sont en « ballotage » et doivent affronter à nouveau leurs adversaires lors d’un second tour qui se déroule le dimanche suivant, et au bout duquel la majorité simple suffit. Mais pas tous leurs adversaires. Le code français prévoit un filtre éliminant, en fonction des résultats du 1er tour, tous les candidats n’ayant pas atteint un taux fixé à l’avance et calculé par rapport aux inscrits. Au Liban, l’avantage évident d’un tel mode de scrutin (qu’il soit à un ou deux tours) est qu’il simplifierait l’élection et, bien entendu, reflèterait bien plus fidèlement l’opinion dans chacune des circonscriptions du pays. De plus, et contrairement à une idée reçue, il allégerait considérablement les effets néfastes du clientélisme à grande échelle, puisque l’aire où est supposé s’exercer ce clientélisme est par définition réduite. Enfin, il mènerait au Parlement des députés plus responsables parce qu’en fin de compte, quel que soit le soutien financier ou politique qu’ils reçoivent d’ici ou de là, chacun d’entre eux se présente seul devant ses électeurs. Pas à l’abri d’une liste hétéroclite emmenée par des « machines » qui le contraignent à leur réserver son allégeance. Quant aux détracteurs de ce système, ils lui reprochent naturellement de consacrer le fait confessionnel dans le pays, puisque la majorité des 128 circonscriptions (si on retient ce chiffre, qui est loin d’être sacré) seraient, dans les faits, monochromes. Mais cette critique pose, une fois de plus, la question de savoir si, à la base, un mode de scrutin est établi dans le but de changer la société ou d’en refléter les orientations le plus fidèlement possible, que celles-ci soient plaisantes ou non. Dans cet interminable débat, l’histoire a son mot dire, dans la mesure où les pires tyrannies du XXe siècle, de droite comme de gauche, avaient été érigées sur le principe du changement par le sommet. Il faut tout de même signaler une difficulté majeure – quoique surmontable – dans le découpage des circonscriptions en milieu « mixte ». Dans le cas du maintien du principe de la représentation confessionnelle, il faudrait en effet maintenir non seulement la parité chrétiens/musulmans (64/64) mais aussi respecter les quotas à l’intérieur de chacun de ces grands ensembles. Un travail pour le moins délicat. La proportionnelle, heurs et malheurs Aux antipodes de la majoritaire se trouve la proportionnelle, synonyme de fidélité quasi absolue de l’état d’esprit d’une population. Autrefois très prisée dans la plupart des démocraties occidentales, cette formule a perdu quelque peu de son prestige ces vingt dernières années, en raison justement de l’atomisation qu’elle a provoquée dans un certain nombre de pays et surtout du fait qu’elle a permis l’arrivée – parfois assez massive – dans nombre d’assemblées de formations politiques jugées peu fréquentables (extrême droite, mais aussi mouvements alternatifs contestataires ou fantaisistes). Un mot sur ce mode de scrutin : dans la plupart des cas, il s’agit de circonscriptions plus ou moins grandes dans lesquelles se présentent des listes fermées relevant chacune d’un parti. Sur la base d’une circonscription comptant 20 sièges, une liste A qui obtiendrait 50 % des voix raflerait 50 % des sièges (c’est-à-dire 10 sièges), une liste B avec 20 % des suffrages se retrouverait avec quatre sièges, une liste C avec 10 % des voix emporterait 2 sièges et ainsi de suite. Bien entendu, les chiffres étant rarement aussi arrondis, on procède généralement à un calcul retenant le nombre rond le plus proche par le bas (dans notre exemple, si la liste C remporte par exemple 11,5 % des voix, elle aura toujours 2 sièges). À la fin, on fait bénéficier le déchet aux listes les mieux placées. Mais cette proportionnelle intégrale a été abandonnée presque partout. Sauf tout près de chez nous... en Israël, par ailleurs seul cas notoire de circonscription unique. Résultat : on sait à quels marchandages procèdent régulièrement les Premiers ministres israéliens pour maintenir en place des coalitions gouvernementales surréalistes ou obtenir un vote favorable à la Knesset. Yitzhak Rabin avait dû un jour offrir une voiture à un député pour qu’il fasse basculer le vote en faveur des accords d’Oslo ! En Allemagne, il y a longtemps que des garde-fous ont été adjoints au système pour en empêcher les dérives. Outre le fait que le pays est divisé en plusieurs circonscriptions, correspondant aux Länder (régions), la règle des 5 % constitue un barrage solide face aux formations marginales. Tout parti qui n’atteint pas cette barre ne peut être représenté au Bundestag (Chambre basse). D’où un grossissement important du déchet qui, au final, ira enrichir les gains des grandes formations. Plus récemment, l’Allemagne a, en outre, introduit une dose de majoritaire dans sa proportionnelle, afin de favoriser les fortes implantations locales de ses partis. Sur le plan théorique au moins, il ne fait aucun doute que, mise en œuvre au Liban, la proportionnelle (douce) aurait des effets bénéfiques sur le plan de l’authenticité de la représentation et de la clarification des options politiques. D’autre part, le contexte libanais ne craint pas l’atomisation puisque de toute façon la nature même du tissu social et politique le favorise. Mais ce mode de scrutin ne pourrait être appliqué chez nous qu’accompagné d’une variante incontournable : le vote personnel. Cela signifie que l’électeur devra voter deux fois : la première pour une liste de son choix et la seconde pour une, deux ou plusieurs personnes figurant sur cette liste. La raison en est la suivante : dans les pays à grande tradition démocratique, des partis fortement structurés animent la vie politique. À la veille du scrutin, les états-majors de ces partis organisent des sortes de primaires en leur sein ou se réfèrent à la hiérarchie pour former les listes et établir l’ordre des candidats, qui déterminera qui sera élu et qui ne le sera pas. On ne voit pas comment une quelconque formation politique libanaise, même la mieux structurée, pourrait imposer à ses membres une telle discipline. D’autant que ceux qui occupent les dernières places sur les listes sont toujours assurés de retourner à leurs occupations premières. C’est donc l’électeur qui devrait départager entre les divers candidats. D’autre part, il y a bien sûr la question du confessionnalisme, quasiment impossible à marier avec la proportionnelle. À moins de recourir à l’un de ces systèmes incompréhensibles et même farfelus dont il a été question plus haut et qui ont occupé des pages entières dans la presse ces dernières années. Quant aux diverses solutions préconisant que l’on élise une partie des députés sur une base proportionnelle et laïque et une autre sur une base majoritaire et confessionnelle, tout comme celles prônant un scrutin d’« habilitation » au niveau du caza puis un autre à celui des mohafazats, elles pèchent toutes par un même défaut, mortel pour la démocratie : celui de « casser » la représentation nationale et de créer de facto deux catégories différentes de députés : ceux qui seront perçus comme légitimes et les autres. Il reste à dire qu’une loi électorale ne se réduit pas à un mode de scrutin, encore moins à un découpage. On sait l’importance de la préparation des listes d’électeurs, du contrôle des opérations de vote et enfin celui du dépouillement des urnes. Toutes ces phases accusent au Liban d’importantes déficiences qu’il faudra un jour penser sérieusement à corriger. On sait aussi l’extrême sensibilité de la question du financement des campagnes électorales, un casse-tête que les plus vieilles démocraties de la planète commencent à peine à résoudre de manière satisfaisante. Par-dessus tout, on sait que le Liban a besoin d’un changement. Pas tant dans les personnes elles-mêmes que dans les modes de fonctionnement de l’État, à la tête duquel les mentalités doivent évoluer. Encore faut-il qu’elles soient libres pour évoluer. Élie FAYAD
Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. La célèbre phrase de Pascal s’applique parfaitement aux effets des différents modes de scrutin, et il serait vain de chercher à démontrer une quelconque universalité dans les traits caractéristiques de chacun de ces systèmes.
Pourtant, il ne fait pas de doute que ces traits existent. Les manuels le disent. Mais en...