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Actualités - OPINION

Condor Condie

Colombe enfermée quatre années durant dans une volière de rapaces, Colin Powell vient de gagner le large. Mais non sans y laisser pas mal de plumes. Rarement démission de secrétaire d’État aura suscité autant de regrets et d’appréhensions dans un monde subissant bon gré mal gré, et plus ou moins directement, la loi de l’unique superpuissance. Pur produit du rêve américain et de la success story, ce fils de modestes immigrants jamaïcains a réussi à gravir les plus hauts échelons de la carrière militaire, puis de la fonction civile, et son enviable popularité a même paru le désigner un moment comme un très valable candidat à la présidence. Mais surtout Colin Powell était, aux yeux du monde étranger, la seule figure plutôt sympathique, modérée, rassurante, en un mot humaine d’une Administration républicaine désincarnée, doctrinaire, agressive, belliqueuse. L’image que laisse Colin Powell, cependant, est moins celle du héros que du collaborateur obnubilé par le devoir de loyauté envers son gouvernement, au point d’en oublier un autre tout aussi important : celui de fidélité à ses propres opinions et principes, dans des affaires aussi graves, aussi lourdes de conséquences que les desseins planétaires de George W. Bush. Powell n’était pas pour la guerre d’Irak, et surtout pas pour la manière dont elle a été menée, c’est-à-dire sans nécessité absolue, sans forces suffisantes garantissant une écrasante victoire-éclair et sans voie de sortie ; il n’était pas non plus pour cette méprisante marginalisation d’une Europe à juste titre rétive. Lui-même mis sur la touche par le Big Boss au profit des faucons du Pentagone, roulé dans la farine par la CIA qui l’aura amené à produire devant l’Onu de fausses preuves censées incriminer l’Irak, le général-diplomate a fait savoir certes qu’il n’appréciait pas ; mais c’est à peu près tout... Davantage cependant que le départ de l’aimable Monsieur Powell, c’est sa succession à la tête du département d’État qui ne laisse pas d’inquiéter. Avec Condoleezza Rice, son brave petit soldat, le chef de la Maison-Blanche n’a plus à redouter les notes discordantes et peut escompter que sa volonté sera faite sans aucune discussion. Spécialiste de la Russie, elle fait déjà trembler les Russes qui ont accumulé les retards en effet en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme. Elle a du caractère, constate avec un tact tout français Michel Barnier, ce qui laisse présager que la détente n’est guère assurée. Mais c’est au Moyen-Orient, où Colin Powell est attendu la semaine prochaine, où s’empilent les dossiers chauds (la guerre d’Irak, les pressions sur l’Iran et la Syrie, la succession de Yasser Arafat et le brusque regain de tension à la frontière libano-israélienne) que pourraient être testées en priorité les aptitudes, méthodes et idées de la redoutable Condie. « Vendre » à l’étranger la politique de son gouvernement, ce n’est pas tout : la diplomatie consiste aussi à prendre convenablement le pouls des autres, à prendre note de leurs aspirations et frayeurs, à les comptabiliser pour contribuer à initier une politique précisément plus vendable. Une occasion de paix, vraiment, l’après-Arafat ? Encore faut-il que s’y prête l’ère Condoleezza... Issa GORAIEB
Colombe enfermée quatre années durant dans une volière de rapaces, Colin Powell vient de gagner le large. Mais non sans y laisser pas mal de plumes.
Rarement démission de secrétaire d’État aura suscité autant de regrets et d’appréhensions dans un monde subissant bon gré mal gré, et plus ou moins directement, la loi de l’unique superpuissance. Pur produit du rêve...