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ANALYSE Les projets de George W. Bush Le Liban, premier pion mobile sur l’échiquier

« Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence. » (Élie Wiesel) – II - La patrie incomprise Place de l’Étoile. Un ange passe. Une petite envolée lyrique de Karamé le flegmatique. « Non, bien cher Farès Souhaid, il n’y a pas votre Liban et le leur, comme vous dites. Il n’y a pas deux Liban. Il n’y en a qu’un seul... » Pour rester en phase avec cette emphase, disons que ce petit pays ne peut qu’être aimé. Ceux qui y naissent, qui y grandissent, qui y vivent, qui y souffrent, y restent attachés. Mais pas forcément rattachés. Car, d’une part, beaucoup, beaucoup trop, jeunes en tête, doivent s’en arracher. Pour cause de subsistance compromise. Comme de respiration coupée : on étouffe ici sous les immondices des pourris, des hôtes indésirables et des ôte-pain. Et d’autre part, parce que de Liban politique il n’y en a pas un seul, ni même deux. Mais tant et tant qu’il n’y en a plus aucun. Il se fond dans un paysage conflictuel et mouvant. Ne subsiste en fait qu’à l’état d’idée. Une « idéologie » que, parmi quatre ou cinq camps principaux, un seul défend. Les autres se partageant une ligne dite nationale qui s’avoue « stratégiquement pan-nationale ». C’est-à-dire prosyrienne. Et qui domine. Sauf que, retour à l’histoire, les fées occidentales se penchent aujourd’hui derechef sur le berceau préparé pour un être retourné, quant à lui, à l’état embryonnaire. Comme après la Grande Guerre et le Traité de Versailles, les Français veulent lui redonner corps, ou le maintenir en vie comme ils l’ont fait pour Arafat. Et les Anglo-Saxons, les saxophonistes américains succédant aux British, lui offrir l’indépendance vraie, comme en 43. Le sortir, au forceps au besoin, du liquide amniotique syrien dans lequel il baigne. Pour couper le cordon ombilical, une fois que les pieds auront paru. À l’air libre. Pour continuer dans cette métaphore gestatoire, on remarquera que le bébé en puissance ne peut se faire naître lui-même. Il faudra de plus veiller de très près à son premier souffle. Car il est si mal formé, si contorsionné qu’il risque de passer avec les eaux du bain. Mais n’anticipons pas. Pour l’heure, l’imagerie de la pression, de la force hydraulique se résume au système de l’écluse. On ferme un sas. Pour faire monter l’eau et le bateau avec. Pour le mener, l’amener au bout du canal, afin qu’ensuite il puisse poursuivre son trajet tout seul. On prend, avant toute chose, la précaution de remplacer les intérimaires, les gardiens, de l’attente antérieure par des éclusiers d’active. C’est-à-dire qu’on change les ambassadeurs. Battle, le mal nommé, sans doute trop imprégné de molle empathie pour le Liban du fait accompli, s’en va. Et Feltman le dur débarque en gueulant des conseils qui sont autant de contrordres face aux diktats syriens. Un bon exécutant que dirige, de Washington, le solide, l’avisé Satterfield qui connaît le dossier libanais mieux que personne. Et qui n’aurait pas accédé au pupitre moyen-oriental s’il n’était un partisan convaincu du plan Bush-Powell de remodelage global. Volume Dont la deuxième partie, après l’invasion de l’Irak, devient d’une importance extrême à cause de l’échec politique occurrent de la première. Explication de texte : la modification dite démocratisée de la carte régionale devait être enclenchée en Irak dès le renversement de Saddam Hussein. Il y a eu, comme on sait, blocage, et c’est là un euphémisme. Il faut donc reprendre la plage par un autre coin de la carte. Et comme le coup en Irak a automatiquement privé le conflit israélo-palestinien de son statut de nucleus, de centre de gravité du problème régional, il faut faire le rattrapage ailleurs. C’est d’autant plus nécessaire que le problème dans son ensemble se trouve marqué, fortement, à la fois par la montée en puissance de l’islamisme radical. Et par l’entrée en jeu d’un facteur incontrôlable de déséquilibre, le terrorisme. Tricéphale aux yeux des Américains : irakien, palestinien et syro-libano-iranien. Depuis le 11 septembre 2001, toute la vision des USA a changé. Même avant leur déconvenue (pas encore tout à fait consommée) en Irak, le Liban avait acquis à leurs yeux une dimension considérable. Parce que, manifestement, cette langue de terre peut être, comme la langue pour Ésope, du tout bon ou du tout mauvais. Bush-Powell s’en rendent compte. Et ils ont décidé d’investir vite. Avec l’acte (Syria Accountability) de souveraineté libanaise d’abord. Avec la 1559 ensuite. Assurant là leurs arrières par l’internationalisation légale, ce qu’ils n’avaient pas fait pour l’Irak. Le Liban, comme coup d’envoi de l’expérience de remodelage, est un laboratoire quasi idéal. Son conflit dit régional avec Israël ne pèse pratiquement rien. Et s’il le complique lui-même un peu, en réclamant le Golan, on ne peut oublier que la question de ce plateau syrien se trouve presque résolue sur le papier depuis Rabin. Autrement dit, le contentieux syro-libanais avec Israël, c’est, qu’on nous pardonne cette familiarité, de la gnognote à côté de la guerre israélo-palestinienne. Insoluble, sauf miracle, dans les quatre ans que Bush a devant lui. Pour marquer l’histoire, le Liban lui offre de multiples avantages comme tête de pont. C’est d’ailleurs, naturellement, un pont entre les cultures occidentale et orientale. C’est ensuite un terreau de démocratie et de libertés qui ont la vie dure, malgré la tutelle et la répression. C’est aussi un pays où fleurit une Église ethnique, d’une autorité morale incontournable, dont les valeurs de fond rejoignent celles de l’Occident. Valeurs qui pourraient facilement constituer le levier de propulsion d’un modèle de coexistence remodelé, une fois l’indépendance libanaise rétablie. Ce qui permettrait à l’Amérique de s’appuyer sur la formule libanaise pour remplacer, dans la région, l’ancien système global de contrôle américain qui s’est effondré le 11 septembre. Au Liban, pensent les Américains, on peut prouver (l’exemple « civil-intérieur » du Hezbollah en fait foi) qu’islam et démocratie ne sont pas inconciliables. Morceau de résistance Reste la grosse arête : la Syrie. Il faut qu’elle dégage le site libanais, choisi comme rampe de lancement de la fusée US porteuse de nouvelle satellisation. Il faut aussi, mais plus tard sans doute, qu’elle-même s’aligne sur la Jordanie comme satellite, démocratisé ou pas. Donc, on pousse la pression sur Damas au maximum : la frontière avec l’Irak, le soutien aux organisations palestiniennes, les camps du Liban, le Hezbollah. Et la manipulation de l’État libanais ou de ce qui en tient lieu. Pour une raison ou pour une autre, la Syrie a choisi le défi, la confrontation comme elle dit. D’où la prorogation du mandat Lahoud au lendemain même de la 1559. Or, elle n’en a pas été immédiatement punie, par exemple par un nouveau raid israélien sur Damas. Pourquoi cette permissivité ? Parce que Washington préfère, même si l’exploit est difficile, faire l’omelette sans casser les œufs. D’autant qu’il a pris bonne note, dès le départ, des dispositions réformatrices marquées du président Bachar el-Assad, de sa volonté d’ouverture et de libéralisation progressive. Il pourrait donc avoir sa chance et être gardé. Un peu paradoxalement, on l’encourage par les pressions, face à ses freins intérieurs connus sous le nom de centres de décision. En même temps, la pression est également mise sur le Liban politique, pour suiviste ou assujetti qu’il soit. Pourquoi ? Parce que avec les donnes nouvelles, la présence physique de la puissance US dans la région, on mise sur une réduction du syndrome de la peur chez les Libanais qui gravitent dans l’orbite des décideurs. Ce pari a déjà enregistré d’éclatants succès. Comme le cas Moukhtara, les 32 voix qui ont échappé (29 non et 3 absences) au fouet de l’amendement, les 69 autres qui ont manqué au tout dernier cabinet parachuté lors du vote de confiance. L’évolution doit, en bonne logique, s’accélérer dans les prochaines semaines. Dans un sens ou dans l’autre. Dans la voie d’un engagement, via l’application de la 1559, dans le plan américain. Ou dans celle d’une confrontation entêtée, qui pourrait ruiner économiquement ce pays encore plus vite qu’elle ne nuirait à la Syrie. Le test indicateur se condense tout entier dans les législatives libanaises du prochain printemps. La composition de la future Chambre, qui dépend en grande partie du découpage des circonscriptions (donc, jusqu’à nouvel ordre, de la volonté des décideurs), permettra de savoir si le Liban fait un pas en avant vers sa liberté d’être. Ou s’il a décidé de disparaître. Jean ISSA
« Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence. »
(Élie Wiesel)

– II - La patrie incomprise
Place de l’Étoile. Un ange passe. Une petite envolée lyrique de Karamé le flegmatique. « Non, bien cher Farès Souhaid, il n’y a pas votre Liban et le leur, comme vous dites. Il n’y a...