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Actualités - CHRONOLOGIE

ARAFAT - À Aïn el-Héloué, c’est l’espoir du droit de retour qui est anéanti Une page de l’histoire des réfugiés palestiniens au Liban tournée à jamais (Photo)

Yasser Arafat dans un état critique ou déjà décédé. La question ne préoccupe plus les réfugiés palestiniens de Aïn el-Héloué. Jeudi en soirée, quand la nouvelle de sa mort avait été diffusée par la télévision israélienne, ils étaient sortis de chez eux, organisant des manifestations spontanées. Le démenti français qui a suivi ne les a pas pour autant rassurés. Tous savent que « le vieux » ne rentrera plus à Ramallah, et qu’une page de l’histoire – leur histoire au Liban – est à jamais tournée. C’est que malgré son départ de Beyrouth en 1982, Yasser Arafat n’a pas oublié la diaspora palestinienne du Liban, notamment celle de Aïn el-Héloué, où vivent 70 000 personnes sur deux kilomètres carrés. « Le mois dernier, moi-même j’avais remis deux chèques portant la signature d’Abou Ammar aux familles d’un lieutenant du Fateh et d’un militant de Isbat al-Ansar morts durant les accrochages d’août. À Tunis ou à Ramallah, il n’a jamais arrêté de porter dans son cœur tous les Palestiniens du Liban », raconte Maher Choubeita, responsable de la branche armée de l’OLP à Aïn el-Héloué. Maher n’est pas démenti par les réfugiés qui étaient présents hier au souk de Aïn el-Héloué, et qui faisaient – la mort dans l’âme – leurs emplettes quotidiennes du ramadan. Les yeux bouffis et le regard vide, hommes et femmes répètent résignés que « la mort est une loi de la nature ». La plupart d’entre eux évoquent les sommes envoyées, jusqu’au mois dernier, par le président de l’Autorité palestinienne aux familles des martyrs, aux malades que l’Unrwa ne parvient pas à couvrir, ou aux écoles et dispensaires du camp de Aïn el-Héloué et d’ailleurs. Et tous savent qu’avec la succession de Yasser Arafat, il existe de fortes chances que ces fonds ne parviennent plus aux Palestiniens du Liban. Des aides matérielles qui concrétisent, pour eux, le fait que l’Autorité palestinienne tient encore à sa diaspora et qui leur donnent espoir en un retour – même incertain – à leurs villages d’origine. « Même assiégé à Ramallah, il ne nous avait jamais oubliés. Il avait une préférence pour les réfugiés du Liban », lance Saada. « Avec sa mort, nous ne rentrerons plus jamais chez nous. Il était notre seul défenseur, l’âme de notre cause », soupire-t-elle. Le discours de Saada ne plaît pas à Oum Mahmoud qui est prête « à me faire exploser et à envoyer mes huit garçons à la guerre, si les successeurs d’Abou Ammar décident de nous vendre ». Oum Mahmoud, qui a quitté son village de Saint-Jean-d’Acre à l’âge de six ans, affirme que « la mort du vieux ne constitue ni la première ni la dernière épreuve du peuple palestinien ». « La lutte se poursuivra », dit-elle. Nombreux sont ceux qui répètent cette phrase dans le camp de Aïn el-Héloué. Bakr se dit « très triste ». Tout en vaquant à ses occupations quotidiennes, vendant ses poissons à la criée, il raconte qu’il a déjà enterré deux de ses frères durant la guerre du Liban et que « les Palestiniens continueront à mourir pour leur cause ». Saïd, lui, énumère les malheurs vécus depuis l’expulsion des fedayine de Jordanie, en septembre 1970. « L’invasion israélienne du Liban en 1982, les massacres de Sabra et Chatila, ainsi que ceux de Jénine, l’assassinat d’Ahmed Yassine, et maintenant la mort d’Abou Ammar…Tous ont un seul et même auteur, Sharon, et un jour, cet assassin le paiera cher », dit-il. Nabil, 28 ans, ancien étudiant de l’AUB – qui, faute de trouver un emploi auprès d’une entreprise libanaise, aide son frère dans une épicerie du camp –, pose le quotidien arabe qu’il est en train de lire sur un étalage de laitues fraîches. Montrant la manchette du journal qui annonce la mort clinique de Arafat, il indique : « C’en est fini de nous. Les Palestiniens se disputeront le pouvoir, ils oublieront la diaspora qui mourra à petit feu – dans les camps – sans jamais avoir vu le pays. » Une femme venue acheter des légumes fait des pronostics sur l’emplacement de la tombe d’Abou Ammar. Le jeune homme l’invite brutalement à se taire car « la mort du vieux n’a pas encore été officiellement annoncée ». Il se calme et lui lance désabusé : « Tu vois, avec la disparition d’Abou Ammar, même nous, les pauvres diables de Aïn el-Héloué, nous commençons à entamer de petites batailles pour des riens. » La maison de Mounir Makdah, chef du Fateh au Liban. Un des fondateurs des Brigades des martyrs d’al-Aqsa, le quadragénaire a côtoyé de près Arafat, que ce soit au Liban ou en Tunisie. Ses grands yeux noirs sont presque éteints. Le militant parle d’Abou Ammar « qui, grâce à son instinct de survie et son sixième sens, avait la capacité de faire fuir la mort ». Éclatant d’un rire nerveux, il répète un vieux slogan de l’OLP : « La mort est morte, et Yasser a survécu. » Mounir n’a jamais pleuré « les martyrs » et il ne fera pas une exception pour « le leader exceptionnel qui a porté haut, durant quarante ans, la cause palestinienne ». « Jusqu’en 1982, j’ai ramassé le corps sans vie de mes camarades morts pour la Palestine et je n’ai pas arrêté la lutte pour autant », indique-t-il. Le militant, dont la tête est mise à prix par les services de renseignements israéliens, pense déjà à l’étape suivante, « au désarmement des réfugiés palestiniens au Liban, à une éventuelle implantation, aux résolutions qui seront appliquées et à celles qui seront à jamais oubliées, et à… Abou Mazen », note-t-il, un brin de cynisme dans la voix. Et comme pour se donner du courage, il lance : « L’étape suivante, c’est aussi les Brigades des martyrs d’al-Aqsa qui vengeront la mort d’Abou Ammar. » Maher Choubeita aussi passe ses années de militantisme en revue. Il pense également à la succession du vieux. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit et ne s’est pas rendu tout au long de la journée à la permanence du Fateh. Il est sorti de chez lui pour prendre part, comme les autres responsables de l’OLP, à la réunion qui avait eu lieu tôt le matin à Aïn el-Héloué. Pour ce responsable du Fateh, « la keffieh de Arafat a toujours été le symbole de notre cause, de l’Union soviétique jusqu’à la Chine ». « Si Abou Ammar n’avait pas lutté, le monde entier aurait oublié le malheur du peuple palestinien… un peuple arabe, rappelons-le », ajoute-t-il avec amertume. Montrant plusieurs photos du chef palestinien prises à Beyrouth, Choubeita, les yeux dans le vide, indique qu’Abou Ammar « n’a jamais oublié que sa lutte pour la Palestine avait commencé au Liban». « C’est pour cette raison qu’il a tenu jusqu’au bout à s’occuper de très près des affaires des réfugiés palestiniens du Liban et à préserver leurs droits », dit-il. Depuis qu’il avait vu, en 1974, la photo de Yasser Arafat « tenant, à la tribune des Nations unies, une branche d’olivier dans une main et un fusil dans l’autre », Maher, qui était à l’époque un jeune écolier, a su qu’il fera partie plus tard des militants de l’OLP. « Dans le monde arabe, il existe deux hommes qui ont marqué le siècle, Nasser et Arafat », indique-t-il, se souvenant en détail de toutes ses rencontres avec le leader palestinien, du Arkoub à Arnoun, en passant par Beyrouth et les camps d’entraînement de Aïn el-Héloué. Hier, dans le camp de Bourj Chemali, à Tyr, quelque 5 000 réfugiés ont manifesté pour souhaiter que « Dieu prête vie à Yasser Arafat ». Dans son fief de Rachidiyé (Tyr), le responsable de l’OLP pour le Liban, Sultan Abou el-Aynein, a indiqué à la presse que « si Yasser Arafat meurt, c’est Ariel Sharon qui en sera responsable car il l’a assiégé pendant trois ans, et je n’exclus pas qu’il ait été lentement empoisonné par les Israéliens ». Aux cadres du Fateh venus trouver un réconfort auprès de lui, il répétait : « Ce n’est pas fini, toutes nos vies sont entre les mains de Dieu, mais notre cause ne mourra pas, même si Abou Ammar est irremplaçable. » Patricia KHODER
Yasser Arafat dans un état critique ou déjà décédé. La question ne préoccupe plus les réfugiés palestiniens de Aïn el-Héloué. Jeudi en soirée, quand la nouvelle de sa mort avait été diffusée par la télévision israélienne, ils étaient sortis de chez eux, organisant des manifestations spontanées. Le démenti français qui a suivi ne les a pas pour autant...