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Le coauteur des « frontières du Moyen-Orient » revient sur les conséquences du départ de Yasser Arafat Jean-Paul Chagnollaud : Les Palestiniens ont compris qu’ils doivent faire preuve d’unité (Photo)

Yasser Arafat contraint de quitter Ramallah en raison de son état de santé, le dossier israélo-palestinien a pris un nouveau tour qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Alors que beaucoup redoutent que le chaos s’installe dans les Territoires, Jean-Paul Chagnollaud, docteur en sciences politiques, se veut plus optimiste en estimant que les Palestiniens ont saisi l’ampleur des enjeux à venir et la nécessité de l’unité avec, en ligne de mire, les élections générales palestiniennes prévues en 2005. Face à l’emballement de l’actualité régionale, le directeur de la revue internationale Confluences-Méditerranéenne nous replace également, et ce de manière salutaire, dans une perspective historique plus longue avec la publication de l’ouvrage « Les frontières du Moyen-Orient ». Un essai de géographie politique coécrit avec Sid-Ahmed Souiah, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise, dans lequel les auteurs reviennent sur le découpage arbitraire et autoritaire de la région, mis en place dans les années 20 par la Grande-Bretagne et la France. Un découpage dont les conséquences n’en finissent plus de se faire ressentir au Moyen-Orient. Q - Yasser Arafat de facto écarté de la scène politique palestinienne, comment envisagez-vous la réorganisation du pouvoir palestinien ? R - « Je privilégie plutôt l’hypothèse d’une transition assumée, qui ne conduise pas à des déchirements graves. Je crois que les Palestiniens ont conscience que s’ils ne font pas preuve d’unité aujourd’hui, ils feront le jeu des Israéliens. Il me semble qu’au-delà des derniers clashs interpalestiniens qui ont agité les Territoires, ils ont bien compris leur intérêt politique. L’enjeu est considérable : il s’agit de montrer que le peuple palestinien est en mesure d’assumer son destin au-delà de Yasser Arafat. » Q - Quelles figures palestiniennes pourraient selon vous percer ? R - « Aujourd’hui, la succession est organisée autour de deux personnages-clés, Abou Alaa et Abou Mazen. Il faudrait également citer le président du CPL, mais il n’est pas du tout doté de la légitimité historique de Ahmed Qoreï et Mahmoud Abbas. Pour l’avenir, nous pouvons également penser à Mohammed Dahlane. Mais, s’il tente aujourd’hui de profiter du vide politique, il risque de plonger le système politique palestinien dans une crise grave. Je pense qu’il faut aussi et surtout prendre en compte Marwan Barghouthi qui bénéficie d’une très grande popularité. » Q – Mais Marwan Barghouthi est en prison, condamné à perpétuité par la justice israélienne... R - « Au contraire, ceci est très intéressant sur le plan politique. Dans l’histoire, nous avons un nombre incalculable de présidents qui avaient été arrêtés ou déposés par une puissance coloniale : Ben Bella et Bourguiba, Mohammed V, Mandela... Pourquoi ne pas envisager le même destin pour Barghouthi ? » Q - À quelle réaction vous attendez-vous de la part des mouvements islamistes ? R - « D’après les informations qui m’ont été transmises des Territoires, j’ai l’impression que le Hamas va jouer profil bas. Les gens du Hamas sont des pragmatiques. Ils n’ont pas intérêt aujourd’hui à être jugés responsables d’une crise, ils ont plutôt intérêt à attendre le moment où ils pourront faire sentir leur influence. » Q - Et ce moment serait la tenue d’élections ? R - « Effectivement, au-delà de cette phase de transition, il y a tout de même une échéance majeure en 2005, annoncée par la “feuille de route” et par Yasser Arafat il y a quelques semaines : la tenue d’une élection présidentielle et de législatives. Dans la nouvelle configuration qui s’est mise en place avec le départ d’Arafat, cette question a été remise d’actualité. » Q - Mais les Israéliens ferment des bureaux de vote. R - « Certes, mais aujourd’hui le jeu est plus complexe. Avec Yasser Arafat hors-jeu, le prétexte israélien est tombé. Il est devenu plus difficile pour Ariel Sharon de dire qu’il ne veut pas d’élections. Et la communauté internationale doit faire pression sur Israël pour que les élections aient lieu. » Q - L’année 2005 est marquée par une autre échéance, celle du retrait israélien de la bande de Gaza. R - « D’une part, ce retrait pourrait être moins unilatéral qu’annoncé. La communauté internationale presse d’ailleurs Ariel Sharon pour que des négociations aient lieu. D’autre part, si Israël se retire de Gaza, ceci pourrait faciliter la tenue de ces élections. » Q - La mise à l’écart de Arafat intervient à quelques jours de la présidentielle américaine. Les approches du dossier israélo-palestinien par Bush et Kerry présentent-elles de véritables différences, selon vous ? R - « Il y aura une différence, pas énorme mais une différence tout de même car John Kerry sera certainement plus à l’écoute des Européens. Par ce biais-là, nous pouvons imaginer de possibles ouvertures, mais jusqu’où ? Souvent dans l’histoire, les choses se font par la concomitance d’événements imprévus. La mise à l’écart de Yasser Arafat et un éventuel changement du pouvoir aux États-Unis sont des éléments qui ne peuvent que conduire à une nouvelle donne. » Q - Dans votre ouvrage, Les frontières du Moyen-Orient, vous remontez au dessin des frontières régionales. Est-ce là la seule cause des conflits actuels ? R - « Comme tout le monde le sait, les frontières des pays de toute la région ont été tracées dans les années 20 par les acteurs dominants de l’époque, à savoir la Grande-Bretagne et la France. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment ces décisions cruciales, dont les conséquences se font sentir encore aujourd’hui, ont été prises. De voir comment les hommes de la conférence de la paix à Paris ont méthodiquement semé les germes de guerres à venir. Ceci vaut pour le Liban, pour la Syrie, pour les relations israélo-palestiniennes ou encore pour l’Irak. Prenons le cas des Kurdes. Le sort de Souleimanieh, qui faisait partie du mandat français, a été scellé à l’issue d’une très brève conversation entre Lloyd George et Georges Clemenceau. Le premier a décroché Souleimanieh et son pétrole contre des garanties accordées au second sur le Rhin. En l’espace d’une discussion, le sort de cette région était scellé, la région rattachée au mandat britannique, et par la suite à l’Irak. Prenons les relations de la France et de la Syrie. Celles-ci sont encore marquées aujourd’hui par la décision du général Gouraud d’écraser les troupes du roi Fayçal en juillet 1920. La question des frontières est un élément, certes pas unique mais néanmoins important, expliquant les conflits régionaux. » Q - Au regard de votre étude, quelle est dès lors la solution pour apaiser la région ? R - « La première des urgences tient en l’établissement d’une nouvelle frontière, globalement sur les lignes de 1967, entre Israël et la Palestine. La deuxième grande question est : comment faire vivre ensemble des communautés différentes sur un système politique importé d’Europe dans les années 20, à savoir l’État-nation. À ce problème, deux solutions. La première, quasi impossible à réaliser aujourd’hui, consisterait à redessiner les frontières. La seconde, celle adoptée par la Constitution irakienne provisoire, tient en une forme de fédéralisme où des pouvoirs importants sont octroyés aux régions. Un système dans lequel toute révision de la Constitution, demandée par une communauté dominante, nécessite l’accord de tous. Le fédéralisme est un système flexible qui renvoie à deux idées, l’autonomie et la participation des communautés. À partir de cela, une foule de déclinaisons sont envisageables. » Propos recueillis par Émilie SUEUR
Yasser Arafat contraint de quitter Ramallah en raison de son état de santé, le dossier israélo-palestinien a pris un nouveau tour qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Alors que beaucoup redoutent que le chaos s’installe dans les Territoires, Jean-Paul Chagnollaud, docteur en sciences politiques, se veut plus optimiste en estimant que les Palestiniens ont...