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Actualités - ANALYSE

ÉCLaIRAGE Quelle crédibilité locale et internationale pour un cabinet dont l’objectif et la nature ne sont pas à la hauteur ? Les dangereuses innovations du Lahoud II : système présidentiel de facto et vengeance politique

Sincèrement, que pouvait-on attendre d’un gouvernement duquel ne font pas partie, notamment, Kornet Chehwane, le Rassemblement démocratique de Walid Joumblatt et le courant du Futur de Rafic Hariri ? Le 3 septembre dernier, le jour où l’article 49 de la Constitution a été amendé pour proroger de trois ans, sur exigence du tuteur syrien et contre les conseils de la planète entière, le mandat d’Émile Lahoud, l’un des 29 « d’honneur » qui avaient voté non, Misbah Ahdab, avait posé à ses collègues et à l’opinion publique une question restée dans tous les esprits : Où irait désormais se nicher le pouvoir exécutif ? Dans un Conseil des ministres réunis ou alors dans un impensable système présidentiel de facto ? C’était la prophétie Ahdab. La voilà depuis hier qui commence à se faire réalité. Le fantôme de Taëf s’envole à tire-d’aile, et Hussein Husseini, ostracisé par un Nabih Berry sur lequel le gouvernement nouveau-né ne peut plus compter pour lui faciliter la tâche, doit, entre bien d’autres, se demander s’il ne rêve pas. Issam Farès ; Karam Karam ; Sebouh Hovnanian ; Jean-Louis Cardahi ; Ibrahim Daher ; Farid el-Khazen ; Adnane Kassar ; Adnane Addoum ; Nagi Boustany ; Maurice Sehnaoui ; Leïla Solh ; Youssef Salamé ; Alain Tabourian ; Mahmoud Hammoud ; Talal Arslane ; Abdel-Rahim Mrad ; Wi’am Wahhab et Wafa’ Hamzé : voilà les 18 ministres directement ou indirectement proches d’Émile Lahoud et sur lesquels le chef de l’État pourra dorénavant compter pour que soit adoptée chacune de ses décisions. Soit 60 % du cabinet. Aussi difficile, aussi douloureuse, aussi rageante qu’ait été son ingestion de la couleuvre Élias Murr – auquel Sleimane Frangié a arraché, grâce aux bons soins de Damas, le seul, l’essentiel, le fondamental ministère à même d’asseoir la politique lahoudienne –, le locataire de Baabda sait désormais que pendant sept mois au moins, qu’il préside ou non les Conseils des ministres, il y disposera d’une absolue majorité. Sans compter que le président Lahoud a déjà prouvé, avec l’amendement du code de procédure pénale, qu’il était tout à fait capable d’influer sur les (rarissimes) sanctions parlementaires. Ce système présidentiel de facto, aussi hérétique et incongru qu’il puisse paraître, n’est finalement que le résultat logique d’une série de vices de fond, couronnée le 3 septembre dernier par l’amendement « à titre exceptionnel et pour une fois » de la Loi fondamentale. Et dont les répliques ont continué à se faire ressentir, tant dans la manière avec laquelle Rafic Hariri a démissionné que celle qui a accompagné, sur mot d’ordre syrien, la nomination de Omar Karamé. Une période-clé de la vie politique locale, au cours de laquelle le rôle, même rachitique, du Parlement a été totalement occulté. Ainsi, superbement méprisé depuis le début pour tout ce qui touche à la présence de l’armée syrienne au Liban, l’accord de Taëf est tout aussi bafoué, maintenant, sur le plan interne. Une gifle retentissante et dangereuse, non seulement pour la Constitution du pays et son équilibre, mais aussi pour l’entente au sein du tandem de l’Exécutif. Surtout depuis l’affaire Murr, puisque Omar Karamé, à la surprise générale, a lourdement insisté, et à plusieurs reprises, sur la nécessité de voir son ennemi électoral intime, Sleimane Frangié, faire partie de la nouvelle équipe, au ministère de l’Intérieur. Surtout aussi que l’effendi n’a « que » trois ministres au sein de son cabinet : Élias Saba, Ahmed Sami Minkara et Albert Mansour. Mais les innovations du Lahoud II ne s’arrêtent pas à cet anticonstitutionnel système présidentiel – indépendamment de l’excellente idée d’introduire pour la première fois dans l’histoire du Liban deux femmes au gouvernement, quelle que soit leur couleur politique. Puisque trois des trente ministres Talal Arslane, Naji Boustany et Wi’am Wahhab comptent parmi les plus acharnés des adversaires politiques d’un Walid Joumblatt de plus en plus plébiscité, lui, par l’opinion publique. Qui s’était opposé, depuis le départ, à toute idée de reconduction ou de prorogation ; qui continue d’appeler à l’édification de l’État de droit, à la sacralisation de la démocratie, des libertés, de l’indépendance et de la souveraineté, à l’arrêt des ingérences des SR libano-syriens, ainsi qu’au rééquilibrage et à l’assainissement, loin de tout suivisme, des relations libano-syriennes. Trois nominations synonyme d’une indiscutable vengeance politique, équivalant à une véritable déclaration de guerre adressée au seigneur de Moukhtara (et contre laquelle Omar Karamé s’était d’ailleurs opposé publiquement). Un ostracisme d’autant plus lourd que, par la formation de ce cabinet, l’on a bien voulu ménager Rafic Hariri (en ne nommant aucun sunnite de Beyrouth), ainsi que, dans une moindre mesure, le patriarche Sfeir et Kornet Chehwane. Et même s’il contient quelques noms agréablement surprenants, connus pour leur conscience et leur parcours professionnels (Adnane Kassar, Maurice Sehnaoui, Yassine Jaber, Ibrahim Daher, dit-on, Jean-Louis Cardahi, indépendamment de la controverse autour de son action aux Télécoms...), même s’il n’a que sept mois de vie, le gouvernement Karamé a réussi à envoyer, à peine né, un signal bien audible, au-dedans comme au-dehors : qu’il n’est pas à la hauteur. Sur le plan économique et financier, le très « cormiste » Élias Saba aux Finances ne boostera certainement pas le marché libanais. Ni la confiance des investisseurs. Sur le plan diplomatique, ce n’est pas avec le très docile Mahmoud Hammoud, qui a failli anéantir les relations diplomatiques entre le Liban et le Koweït, que Beyrouth réussira pour le mieux à rester sous l’ombrelle de la légalité onusienne. Ce n’est pas en nommant à la Justice Adnane Addoum, que les bouffées de démocratie n’ont jamais étouffé – c’est son droit –, que le Liban pourrait rassurer une communauté internationale dont il a urgemment besoin pour tenter de commencer à résorber ses multiples crises. Et comment se persuader que Sleimane Frangié se chargerait de préparer une loi électorale juste, saine et représentative ? Quant à Assem Kanso au Travail et Naji Boustany à la Culture, c’est sans commentaires... Sachant, enfin, que ce n’est pas en accouchant d’une équipe on ne peut plus monochrome que les Libanais retrouveront la confiance en leur État, indispensable pour ressusciter leur nation. Et si même Karim Pakradouni, l’ultra, l’hyperloyaliste chef des Kataëb de Saïfi, oublié au bord de la route, ne compte pas souhaiter la bonne chance au nouveau cabinet, cela veut dire que ce dernier est très mal né. Vraiment... Ziyad MAKHOUL

Sincèrement, que pouvait-on attendre d’un gouvernement duquel ne font pas partie, notamment, Kornet Chehwane, le Rassemblement démocratique de Walid Joumblatt et le courant du Futur de Rafic Hariri ?
Le 3 septembre dernier, le jour où l’article 49 de la Constitution a été amendé pour proroger de trois ans, sur exigence du tuteur syrien et contre les conseils de la planète...