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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Star Neurastheny

Indéniablement, l’homme a de la présence : du poids, du volume, soit dit sans aucune malice. Rafic Hariri est branché sur les grands de ce monde, il est le pote de Jacques Chirac, il évolue avec la même aisance à Washington comme à Kuala Lumpur : il crève l’écran et les autres ne le lui pardonnent guère qui n’en paraissent, en effet, que plus pâlots. Et falots. Sois belle et tais-toi : star on ne peut plus controversée mais diva quand même, Hariri ne pouvait en aucun cas se satisfaire du rôle de simple figurant qu’on lui assignait de toute évidence depuis la reconduction du mandat d’Émile Lahoud. Mais a-t-il vraiment sauvé la face en quittant la scène après deux mois de laborieuses tractations dont l’issue était pourtant connue d’avance ? Ne lui a-t-on pas sèchement signifié plutôt qu’il était grand temps de regagner les coulisses ? Toujours est-il qu’à plus d’un égard, le Premier ministre sortant donne la fâcheuse impression d’avoir, d’office, piteusement raté... sa sortie. Bien fait pour lui, s’écrieront ses détracteurs. Les autres compatiront et Hariri peut même espérer recueillir une bonne part de cette généreuse sympathie populaire allant souvent aux vaincus, aux persécutés, aux victimes. Mais d’admiration point : et c’est bien ce qui peut arriver de plus grave à toute figure politique de premier plan. Le jugement peut paraître bien sévère ; mais le propre des personnages publics n’est-il pas précisément d’être jugés à l’aune des aspirations profondes de leurs gouvernés, pour démesurées qu’elles puissent leur paraître parfois sous prétexte que la politique est l’art du possible ? Et n’est-ce pas précisément quand des audacieux entreprennent de repousser les limites du « possible » que se crée l’évènement, que se font les grands moments de l’histoire des peuples ? Rafic Hariri vient de se résigner à passer la main, lui qui s’était publiquement juré de se la trancher s’il se laissait aller à cautionner de son indispensable signature l’opération-reconduction. À quelles effroyables pressions a dû céder le colosse aux pieds d’or – et inévitablement d’argile – on s’en doute : non seulement en effet la profession de politique est devenue bien dangereuse par les temps qui courent – le miraculé Marwan Hamadé peut en témoigner – mais de surcroît la puissance de l’argent, la profusion tentaculaire des intérêts peuvent être aussi, pour soi-même comme pour ses proches collaborateurs, source d’extrême vulnérabilité. Toujours est-il que durant les semaines écoulées, Hariri a eu tout le temps de constater que le futur gouvernement ne serait en aucun cas, même très partiellement, le sien mais en réalité un cabinet Lahoud. Et que sa seule utilité à la tête d’une telle équipe consisterait à rassurer, par sa simple présence, la communauté financière, comme à amadouer les capitales occidentales acharnées à neutraliser l’hégémonie syrienne sur le Liban. Exclu du pouvoir, Hariri ne pourra même pas se défouler dans une opposition franche, déclarée, active. Les graves circonstances ne l’autorisent guère, a cru bon d’expliquer Monsieur H : les syrconstances, voulait-il sans doute dire... Maintenant que les jeux sont faits, que l’impossibilité de faire marche arrière ne lui laisse plus d’autre choix que la fuite en avant, le pouvoir, malgré son aplomb à toute épreuve, paraît singulièrement mal armé pour l’ambitieuse confrontation qu’il va devoir mener sur deux fronts. La présidence Lahoud bis est après tout la première de l’histoire du Liban à voir sa légitimité contestée de la sorte par les grandes puissances et même par l’ensemble de la communauté internationale, laquelle s’est exprimée par le biais de la résolution 1559 de l’Onu et ses suites. En envoyant dès mercredi leurs ambassadeurs auprès du chef du gouvernement démissionnaire (un autre précédent des plus significatifs), en exigeant que la formation du nouveau cabinet soit opérée dans les règles et loin de toute ingérence, Washington et Paris n’ont pas manqué d’ailleurs de remuer le fer dans la plaie. Et ce n’est certes pas l’aura extérieure d’un Omar Karamé qui pourra aider à lever l’opprobre international frappant le régime, désormais placé sous surveillance du Conseil de sécurité. Que les consultations de pure forme entamées hier par le président de la République aient été boycottées par près du quart d’un Parlement tenu pour invariablement docile et complaisant illustre par ailleurs les difficultés qui attendent le processus de normalisation interne confié, comme on nous le promet, aux bons soins d’un gouvernement d’inconditionnels. Ce n’est pas toutefois avec les noms circulant avec insistance en ce moment, ou avec l’intention qu’on lui prête de s’appuyer de plus en plus sur les services, que le chef de l’État peut espérer faire table rase du passé. Et encore moins faire miroiter aux citoyens un avenir crédible. L’ironie veut qu’au terme d’une cohabitation des plus malaisées, des plus néfastes aussi pour le pays sacrifié sur l’autel des égoïstes conflits d’intérêts, le président se trouve enfin débarrassé de sa bête noire, Rafic Hariri, au moment où il en a paradoxalement le plus besoin. Ouf, enfin seul ? Émile Lahoud ne croit pas si bien dire.

Indéniablement, l’homme a de la présence : du poids, du volume, soit dit sans aucune malice. Rafic Hariri est branché sur les grands de ce monde, il est le pote de Jacques Chirac, il évolue avec la même aisance à Washington comme à Kuala Lumpur : il crève l’écran et les autres ne le lui pardonnent guère qui n’en paraissent, en effet, que plus pâlots. Et falots.
Sois...