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Actualités - CHRONOLOGIE

Figure Académique- Pour le chef du département de sciences politiques à l’AUB, la résolution onusienne vient rectifier le cours de Taëf Farid el-Khazen: La 1559 devrait aider le Liban à faire sa paix... extérieure (photo)

Détenteur d’un doctorat en relations internationales de la Johns Hopkins University, Farid el-Khazen est actuellement chef du département de sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Sur la scène publique, il est surtout connu pour être l’une des rares personnalités académiques à faire partie du Rassemblement de Kornet Chehwane. Il est également l’auteur, en langue anglaise, d’un ouvrage très apprécié dans les cercles des politologues sur l’érosion de l’État libanais durant la guerre des deux ans. Et c’est à ce spécialiste du problème libanais que «L’Orient-Le Jour» a demandé d’analyser, sur le plan académique, la portée politique de la résolution 1559 du Conseil de sécurité, qui appelle « au retrait de toutes les forces étrangères du Liban ». D’entrée, et avant d’en venir à la 1559, Farid el-Khazen se livre à une analyse de la guerre libanaise et de ses prémices en revenant aux deux volets garantis, en principe, par l’accord de Taëf : les réformes politiques, c’est-à-dire le problème intérieur, et l’aspect de la souveraineté libanaise, c’est-à-dire l’aspect extérieur, relatif aux relations du Liban avec les Palestiniens et la Syrie – sans oublier Israël. Or s’il y avait, en 1989-1990, un consensus interlibanais hostile à Israël, le problème était plus complexe au niveau des relations libano-syriennes. Ce problème se matérialise d’ailleurs dans sa version la plus radicale durant l’épisode Michel Aoun et la guerre de libération initiée par le général contre les forces syriennes installées au Liban. Puis, la guerre du Liban prend fin par le coup de force syrien du 13 octobre 1990 contre le général Aoun. « Il n’y a pas eu de négociations, d’initiative internationale pour superviser la fin de la guerre, pas de conférence de paix ou de consensus. Il n’y a pas eu d’accord de Dayton », souligne M. Khazen, en précisant que l’accord de Taëf aurait dû en principe régler la crise libanaise. En réalité, le conflit sur Taëf découle d’un conflit sur la vision du consensus libanais depuis le pacte de 1943, qui se cristallise à partir de la fin des années 60 avec le problème palestinien. « Du fait de la présence palestinienne, le Liban s’est transformé en un État de confrontation, et ce malgré le fait qu’il n’ait eu aucun territoire occupé par Israël. Dans ce cadre, il existait à l’époque deux points de vue. Celui de la présidence de la République, selon laquelle le Liban ne devait pas ouvrir le front sud aux combattants palestiniens, mais accorder un soutien d’une autre nature à ces derniers. L’autre point de vue, celui de la gauche et des milieux de l’intelligentsia sunnite préconisaient l’entrée dans le conflit pour une multitude de raisons politiques et idéologiques, quitte à subir les conséquences du conflit avec Israël quels qu’ils soient », explique M. Khazen. Et de poursuivre : « En réalité, le problème palestinien transforme le Liban en arène de confrontation, dans la mesure où tous les pays arabes ont désormais accès au territoire libanais par l’intermédiaire d’une fraction armée palestinienne. Le début de la guerre, en 1975, s’explique par l’isolement des Palestiniens au Liban, après leur expulsion de Jordanie et la guerre de 1973. Mais, dès 1975, l’aventure palestinienne au Liban est perçue à Damas comme une menace pour le régime syrien. Yasser Arafat est le nouveau Nasser du point de vue popularité. Il bénéficie d’ailleurs du soutien de tous les régimes hostiles à Damas, tels que l’Irak ou l’Égypte. » « La Syrie avait d’abord appuyé le camp palestino-sunnite sans révéler ses véritables objectifs au Liban, qui visaient à la fois l’État libanais et les Palestiniens », rappelle d’ailleurs le politologue. Entre « l’ordre syrien » et le 11 septembre 2001 Après le retrait israélien jusqu’à la zone occupée, au Liban-Sud, en 1983, et l’expulsion des Palestiniens de Beyrouth, la recherche d’un accord sur base du document constitutionnel de 1976 se fait pressante. Mais c’est aussi et surtout la recherche d’un accord applicable entre Beyrouth et Damas, désormais force principale impliquée au cœur du Liban, qui devient une priorité. La tentative de Damas de gouverner par le biais des milices à travers l’accord tripartite de 1985 ayant tourné court, les efforts convergent finalement vers Taëf, durant l’été 1989, puis débouchent sur l’intervention syrienne contre Aoun en octobre 1990, après le court intermède qui suit le sommet arabe de Casablanca, au cours duquel le comité tripartite réclame un calendrier pour le retrait des forces syriennes. « On pouvait espérer que Taëf allait être le substitut de la conférence de paix interlibanaise qui n’a pas eu lieu. Contesté par certaines parties dès sa naissance, l’accord aurait dû en principe acquérir une légitimité dans la pratique. S’il avait été appliqué, Taëf aurait peut-être rallié autour de lui tous les sceptiques. Mais cela ne s’est pas produit. Preuve en est : celui qui était contre l’accord l’est toujours, et celui qui était pour est devenu sceptique », indique M. Khazen, évoquant le « coup d’État » fomenté contre le document d’entente nationale à partir des législatives de 1992, qui a « progressivement vidé Taëf de son contenu à tous les niveaux ». Partant, souligne-t-il, l’accord, qui devait servir de guide à la ligne politique du pays, a fini par générer une classe politique d’État acquise à Damas. Et, sur le plan international, le problème libanais est devenu une « question hors sujet » tout au long des années 1990. « L’une des raisons de cette marginalisation était l’appui américain à “l’ordre syrien” au Liban. Dans l’esprit US, il ne fallait pas déranger le rôle syrien dans ce pays, et la priorité devait aller à une solution au conflit israélo-arabe », précise-t-il. « Mais l’attaque contre les tours jumelles du World Trade Center, le 11 septembre 2001, a opéré un changement radical dans la politique américaine vis-à-vis du Liban », affirme Farid el-Khazen. L’offensive US contre le terrorisme Mais qu’est-ce que le 11 septembre a donc changé ? « D’abord, le Liban a été pris dans la guerre contre le terrorisme : le Hezbollah est devenu la cible des critiques américaines. Déjà, le retrait israélien avait fait perdre des arguments au Liban officiel. Par ailleurs, les négociations israélo-arabes ont été gelées, ce qui s’est traduit par un changement de la politique américaine vis-à-vis de la question palestinienne, et par une reprise de l’intifada. L’action militaire du Hezbollah a été labellisée terroriste. » Et, poursuit M. Khazen, la Syrie devait bientôt se retrouver dans la ligne de mire, « au Liban et partout dans le monde », surtout après l’offensive contre l’Irak. « Avec la question irakienne, la Syrie est devenue un point important pour les États-Unis. La politique américaine devenait de plus en plus claire en Irak et en Palestine. Mais les Syriens n’ont apparemment pas saisi ce changement. Ils ont peut-être été déroutés par l’absence de flexibilité US qui déterminait jusque-là les rapports bilatéraux depuis la guerre froide. L’on se souvient dans ce cadre des deals de bas de table qui se produisaient, notamment avec Warren Christopher. Ou bien ils ont pensé qu’ils pouvaient s’adapter, qu’il y aurait une possibilité de faire profil bas en attendant que la tempête US passe », analyse-t-il. Et puis il y a eu la résolution 1559, doublée d’un soutien français. Sur les motivations de la France, M. Khazen évoque les promesses non tenues par le Liban à Paris II, et une très probable absence de réceptivité syrienne aux mises en garde secrètes de la diplomatie française. La 1559, une nouvelle phase Farid el-Khazen l’affirme sans ambages : « Le document d’entente nationale avait réalisé une sorte de paix intérieure entre les acteurs libanais. La 1559 devrait, avec le consentement de la Syrie, aider le Liban à faire sa paix extérieure. Il s’agit d’un mécanisme concret dans l’esprit de Taëf, sur lequel le rapport Annan s’est d’ailleurs fondé. Il était temps qu’il y ait un correctif à cet accord. » Cette paix extérieure est une occasion importante, d’autant que, souligne M. Khazen, « c’est la première fois au Liban que nul, même dans l’opposition ultraradicale, n’est opposé à l’établissement de relations privilégiées avec la Syrie ». Concernant la « légitimité », contestée par certains, de la 1559, sous prétexte qu’elle ouvre la voie à une ingérence dans les affaires internes, M. Khazen répond : « Ce n’est pas la première fois que cela se produit, il y a le précédent, du Kosovo. Le système international a une hiérarchie. Pourquoi le Liban et la Syrie ne se retirent-ils pas de l’Onu, s’ils ne sont pas convaincus ? Pourquoi ne fondent-ils pas ensemble leur propre système international ? Mais il faut être cohérent avec soi-même. On ne peut pas réclamer l’application de la 338, de la 242 et de la 425 sans reconnaître la 1559 ! Ou bien dire qu’on n’appliquera pas la 1559 avant que les autres résolutions ne soient appliquées ! Commençons donc par l’application de Taëf, loin des hérésies. » Le pacte libanais Pour Farid el-Khazen, une fois sa paix extérieure réalisée, le Liban devra se consacrer au règlement de la crise économique et à la consolidation du pacte national. « Après l’expérience de la guerre, l’opinion publique libanaise intercommunautaire est de plus en plus convaincue que le système communautaire est une bonne chose pour le pays », dit-il, en mettant l’accent sur l’importance de préserver le consensualisme. Pour lui, « les élites politiques devraient jouer un rôle essentiel dans ce sens. Actuellement, elles ne sont pas à la hauteur. Mais les élections pourront produire de nouvelles élites représentatives ». Il balaye par ailleurs d’un geste toutes les craintes concernant l’émergence d’une nouvelle guerre. Si le Liban cesse d’être un champ de confrontation israélo-arabe et arabo-arabe, tout cela sera fini, pense-t-il. D’autant que le système de « checks and balances » qui prévaut dans la société libanaise empêche un acteur libanais d’aller aussi loin. De plus, il n’y a pas de préparation psychologique et pratique à une telle guerre. Et M. Khazen de conclure sur un message aux jeunes qu’il appelle à ne pas être contaminés par la corruption : « La stratégie de tout État très autoritaire est la corruption, la violation de la Constitution et la politisation de la justice. Il ne faut pas que les jeunes acceptent la banalisation rampante de toutes ces déviations. Leur rôle est de ne pas être contaminés par ce virus. Ils sont plus immunisés que quiconque pour lutter contre ce mal. Ils doivent s’y opposer, agir. S’ils devaient un jour être contaminés, le Liban est fini. » M. H. G.
Détenteur d’un doctorat en relations internationales de la Johns Hopkins University, Farid el-Khazen est actuellement chef du département de sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Sur la scène publique, il est surtout connu pour être l’une des rares personnalités académiques à faire partie du Rassemblement de Kornet Chehwane. Il est également...