Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Affaires de cœur

Dormez tranquilles, bonnes gens, l’État veille nuit et jour à votre sécurité. Vous ne lui en voudrez sans doute pas trop de se ficher royalement de votre dérisoire existence d’automobiliste ou de piéton sur les routes livrées au rodéo des chauffards et à la sarabande effrénée des livreurs de pizzas sur deux roues, tout cela sous le regard impassible des agents. Vous ne lui tiendrez pas rigueur d’avoir superbement ignoré les appels au secours angoissés – et répétés ! – de cette famille de Btekhnay harcelée, terrorisée et finalement décimée au kalachnikov par un désaxé que son comportement des derniers mois désignait clairement pourtant comme un personnage terriblement dangereux. Vous lui passerez ces petites omissions, du moment que l’État ne fait pas dans l’élémentaire, le basique. La haute sécurité en revanche, ça le connaît ; et on l’a bien vu avec le démantèlement, la semaine dernière, du premier réseau bien de chez nous de l’organisation el-Qaëda. Lequel réseau, a-t-on gravement décrété sans attendre la moindre amorce d’instruction judiciaire, projetait d’attenter à l’ambassade d’Italie. Des exploits aussi spectaculaires, on n’en réussit pas tous les jours. Cela passe bien à la télé, cela attire des flots de congratulations. Et celles-ci ne pouvaient mieux tomber, à l’heure où l’Onu vient fourrer son vilain nez dans les affaires intérieures du pays et a l’impudence de contester la très constitutionnelle reconduction du mandat présidentiel comme de dénigrer la fraternelle, la très désintéressée sollicitude de l’allié syrien. Et puis la malchance s’en est mêlée. Comment en effet les pauvres interrogateurs, qui faisaient consciencieusement (et même avec un beau zèle, faut-il croire) leur boulot d’interrogateurs, pouvaient-ils se douter que le terroriste en chef Ismaïl Mohammed el-Khatib, crédité pourtant d’une belle trentaine, était affligé d’une petite santé et qu’il succomberait bien malencontreusement à un arrêt cardiaque ? Comment deviner que deux de ses compagnons étaient de constitution non moins fragile et qu’ils menaçaient à leur tour de fausser compagnie aux poseurs de questions en s’en allant rejoindre prématurément leur Créateur ? Autant d’énormes bavures en si peu de temps ne pouvaient que conduire à la situation insurrectionnelle qui règne depuis lundi soir à Majdel Anjar, localité natale d’el-Khatib dans la Békaa-Ouest et théâtre de protestations violentes qui se sont étendues jusqu’au poste frontière de Masnaa, saccagé par les manifestants. Le fait est que cette région du pays est un véritable vivier de militants islamistes, dont un certain nombre sont allés d’ailleurs combattre en Irak. Et cette région étant frontalière de la Syrie, elle est naturellement soumise à une étroite surveillance, à un contrôle de tous les instants de la part de celle-ci. On peut présumer, dès lors, que la rafle de la semaine dernière n’a pu être opérée sans le feu vert de Damas. Le plus renversant cependant, c’est qu’une fois que l’opération a tourné à l’aigre, c’est encore Damas, champion toutes catégories de la récupération, qui s’en tire avec les honneurs, laissant l’embarras, le ridicule et l’opprobre aux amateurs qui s’étaient chargés de l’exécution. Ainsi et en l’absence de toute autorité étatique libanaise sur place, le chef des SR syriens s’est dépensé pour calmer la population en colère qui criait au meurtre et réclamait la démission du ministre de l’Intérieur. Il a obtenu d’elle qu’elle se résigne à mettre en terre aujourd’hui même le corps d’el-Khatib, dont la famille a fini par renoncer à son exigence d’une autopsie indépendante. Et le général Rustom Ghazalé a obtenu en échange la remise en liberté de deux femmes initialement présentées comme des membres actifs du réseau local d’el-Qaëda : le procureur de la République ayant en effet vaillamment payé de son temps et de sa personne pour se convaincre en l’espace d’une matinée de leur entière innocence, et pour liquider par conséquent leur dossier. La morale de cette extravagante histoire, la teneur du message lancé à l’adresse particulière de Washington ? Cessez donc de chicaner la Syrie sur sa présence au Liban, où elle est seule en mesure de tenir à l’œil – mieux, de tenir en respect – le phénomène islamiste. Et ce message ne fait que compléter et conforter celui du chef de la diplomatie syrienne Farouk el-Chareh qui, le week-end dernier, invitait les Libanais à s’atteler enfin à la déconfessionnalisation de leur système politique, prévue par l’accord de Taëf. Car c’était rappeler de la sorte qu’aux yeux de Damas, et comme aux plus beaux jours de l’ère Abdel-Halim Khaddam, déconfessionnalisation et retrait total des Syriens doivent aller de pair ; et surtout que les Libanais n’auraient rien de plus pressé que de se sauter à la gorge sitôt rapatriées les troupes syriennes. C’est clair, c’est net, c’est direct. C’est ce qui s’appelle avoir le cœur sur la main.

Dormez tranquilles, bonnes gens, l’État veille nuit et jour à votre sécurité. Vous ne lui en voudrez sans doute pas trop de se ficher royalement de votre dérisoire existence d’automobiliste ou de piéton sur les routes livrées au rodéo des chauffards et à la sarabande effrénée des livreurs de pizzas sur deux roues, tout cela sous le regard impassible des agents. Vous ne...