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Actualités - OPINION

EN DENTS DE SCIE L’héritage assumé

« Si je sors de ce consensus démocratique, je suis fini. » Walid Joumblatt Trente-neuvième semaine de 2004. Les rues étaient presque vides jeudi soir. Un peu partout. Les Libanais avaient allumé la télévision. Ils attendaient. Ils voulaient savoir. Non, pas savoir. Juste s’assurer que leur intuition, cette fois, était la bonne. Parce que cela faisait plusieurs jours, plusieurs semaines qu’ils devinaient et pressentaient. Nombreux, très nombreux étaient ceux qui espéraient, qui serraient les poings pour qu’il ne flanche pas, n’abdique pas, ne se retourne pas, ne s’impatiente pas, pour qu’il ne chasse pas, au fouet d’on ne sait quels stratégiques intérêts, son naturel. D’autres appréhendaient, serraient les dents, redoutaient de le voir, l’entendre, continuer à prodiguer son nécessaire stimulus, sa caution gagnante, à la démocratie, à l’État de droit, à la liberté, aux libertés, à l’égalité, à l’indépendance, à la souveraienté, à la dignité, bref, à tous ces gonflants mais urgents principes de survie du Liban tel que la majorité de ses habitants le rêvent. Les premiers voulaient s’assurer qu’il était désormais véritablement et définitivment libre, c’est-à-dire seul arbitre de ce qu’il fait ou ne fait pas, de ce qu’il dit ou ne dit pas. Les seconds, terrifiés de le voir quitter pour ne plus y revenir le troupeau silencieux des ovidés qui suivent, disent oui et profitent – et au sein duquel il détonnait d’ailleurs atrocement, et heureusement, par sa liberté de penser – étaient conscients de la portée de ce départ, de tous les autres qu’il pouvait entraîner, des salvatrices vocations qu’il pouvait créer. Tous ont confirmé, l’espoir ou la crainte ; tous ont compris que désormais, enfin, il s’était mis d’accord avec lui-même, et que c’est bien là la plus éclatante des victoires qu’il pouvait remporter sur l’impossible. La preuve en sons et lumières de la primauté du gène, de l’inné, sur le microbe, l’acquis. L’homme, le bey, est certes intéressant, passionnant souvent, en lui-même : son intelligence, sa perspicacité, son cynisme, sa timidité, sa candeur, sa noirceur, sa lucidité, ses failles, ses gouffres même, dostoïevskiens, son parcours, l’élasticité de sa morale, son humilité, sa capacité à reconnaître ses torts, ses manques, ses incadescences et ses obscurités, son opportunisme, sa détermination, sa foi, ses calculs, son parcours, tout ferait palpiter d’avance le plus blasé des biographes. Mais ceci est loin d’expliquer cela. Au-delà de l’homme, du bey, c’est ce qu’il représente qui importe, qui compte. Et qui fascine. Parce que, de la même façon qu’une chenille devient nymphe puis éclate en papillon, l’homme, le bey, est en train, c’est dur, c’est âpre, c’est long, c’est difficile, de se métamorphoser, de quitter, en le gardant précieusement, l’étroit carcan de leader communautaire, ou de « zaïm » national. Pour endosser un habit encombrant, dangereux, mais tellement rare, tellement nécessaire aujourd’hui : celui d’homme d’État. Avec tout ce que cela comporte, nécessairement, salutairement, de flamboyant et de pathétique, de grandiose et de tout petit, d’intransigeance et de concessions, de blanc et de noir. Avec tout ce que cela comporte comme risques de rechutes, de doutes, de souffrances, d’exaspération. Parce qu’il n’est pas évident, il n’est même pas naturel, de scier la branche sur laquelle on est assis. Les pôles du pouvoir s’appliquent infatigablement à le démontrer, un peu plus chaque jour, avec un talent que l’on aurait aimé voir s’épanouir plutôt dans la résurrection ou même la simple gestion du pays. Mais on ne peut pas avoir en même temps le beurre, l’argent du beurre, etc. À moins d’avoir l’étoffe. La capacité. La force et le besoin. Et là encore, parce que les impondérables de la politique sont parfois plus forts, plus pernicieux, plus tenaces, plus viciés, l’étoffe seule ne suffit pas. Il y a les exemples, les histoires, les vies d’à côté, il y a la contamination positive : le nécessaire Nasrallah Sfeir, Hassan Khaled, Mohammed Mehdi Chamseddine, Fouad Boutros... Et là encore, parfois, cela n’est pas d’un grand secours pratique. Il y a alors les gènes. L’hérédité. Celle dont cet étonnant Chateaubriand, pas toujours ringard, aimait à dire qu’elle enfante la légitimité, ou la permanence, ou la durée. L’homme, le bey, a dit qu’il ne voulait pas tuer son père une deuxième fois. En continuant de marcher dans ses pas mais en restant ce qu’il est, en continuant de participer avec les autres à la défense de cette nécessaire idée du Liban, il finira bien par le ressusciter. Et d’égal à égal, ils se parleront. Ziyad MAKHOUL
« Si je sors de ce consensus démocratique, je suis fini. »
Walid Joumblatt

Trente-neuvième semaine de 2004.
Les rues étaient presque vides jeudi soir. Un peu partout. Les Libanais avaient allumé la télévision. Ils attendaient. Ils voulaient savoir. Non, pas savoir. Juste s’assurer que leur intuition, cette fois, était la bonne. Parce que cela faisait plusieurs jours,...