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Actualités - interview

Interview - Pour le ministre démissionnaire, « l’ère des accords syro-US qui prévaut depuis 1973 est révolue » Farès Boueiz : Pas de dialogue qui vaille en « temps de guerre »(photo)

Il y a quelques mois, Farès Boueiz confiait à « L’Orient-Le Jour » que le Liban avait urgemment besoin d’un nouveau style, d’un nouvel esprit, d’une personnalité cent pour cent libanaise à la présidence de la République. Fidèle à ses propos, il a été l’un des 29 députés, vendredi dernier, à avoir le courage d’aller jusqu’au bout, de voter contre la prorogation du mandat Lahoud. Et puis, lundi, le ministre affecté au ministère difficile de l’Environnement a claqué la porte du gouvernement, pour protester contre l’amendement qu’il juge « anticonstitutionnel » et « antidémocratique ». L’ancien ministre ne s’attarde guère sur l’aspect formel de la 1559. Ce qui l’intéresse, c’est sa portée, sa « profondeur politique ». Et, pour cerner celle-ci, il est nécessaire de revenir, selon lui, à l’élection du président américain Georges W. Bush, et à l’émergence de l’idéologie néoconservatrice, visant à imposer les États-Unis comme puissance prédominante après la chute de l’autre bloc. « Il s’agissait de démanteler le terrorisme international et de pousser les adversaires des États-Unis à abattre leur carte sécuritaire, pour circonscrire tout dialogue au domaine exclusivement politique. Partant, les États-Unis n’étaient plus prêts à accepter une négociation entre une carte sécuritaire et une carte politique. Pour eux, au Moyen-Orient, les différentes parties au conflit devaient s’asseoir à la même table et négocier le retrait des territoires contre la reconnaissance et la paix, et non pas le retrait des territoires contre une carte sécuritaire ou l’option de la Résistance », explique-t-il. Mais le 11 septembre a tout changé, et cette idéologie a commencé à s’incarner dans un programme concret, à travers les deux guerres d’Afghanistan et d’Irak. Farès Boueiz rappelle ensuite comment les États-Unis ont engagé le processus qui devait les conduire à lancer leur offensive contre Bagdad, en invoquant plusieurs prétextes sans fondements, avant d’intervenir « au nom du démantèlement d’une dictature qui porte atteinte à la sécurité internationale ». « Et c’est ainsi que le droit d’ingérence préventif a été établi. Maintenant que la guerre irakienne semble sur le point de se terminer, que le dossier palestinien semble malheureusement prêt, lui aussi, de toucher à sa fin, les regards se sont tournés vers le dossier libano-syrien. Il était évident que le secrétaire d’État américain Colin Powell avait déjà réclamé aux Syriens l’application de quatre points : la non-ingérence dans les affaires irakiennes, qui a maintenant perdu toute son importance, la non-ingérence dans la Résistance palestinienne à l’intérieur, qui a elle aussi beaucoup perdu de son poids, mais aussi le démantèlement du Hezbollah et le retrait des forces syriennes du territoire libanais », explique-t-il. Le pire aurait pu être évité Pour Farès Boueiz, tout aurait pu être évité, et il y avait encore moyen de négocier, de régler à l’amiable ces problèmes. « Mais une très grave erreur a été commise, qui a déclenché ce processus : l’amendement constitutionnel, dans ce qu’il représente au plan symbolique. Ce n’est pas la prorogation en elle-même qui pose problème, mais ce qu’elle signifie pour les États-Unis et le monde », dit-il. Pour comprendre, il faut, selon lui, en revenir à la lettre envoyée par le président Émile Lahoud à Kofi Annan lorsque Tel-Aviv a exprimé sa volonté de se retirer du Liban-Sud, en mai 2000. Dans cette lettre, le président Lahoud avait exprimé trois positions : il se demandait pourquoi Israël avait décidé maintenant d’exécuter la 425, et Washington avait interprété cette position comme une volonté libanaise de rester en guerre et refusant ainsi la libération de son territoire. Ensuite, M. Lahoud s’était demandé pourquoi cette insistance à appliquer la 425 sans les autres résolutions, ce qui avait été interprété comme une volonté libanaise de rejeter la libération et de lier son sort à celui de toute la région. Enfin, le président Lahoud affirmait que Beyrouth était disposé à poursuivre la résistance jusqu’au retour des Palestiniens sur leur terre. Pour Washington, cela était le plus grave, parce que cela revenait à dire que Beyrouth continuerait à parrainer la Résistance jusqu’au retour de tous les Palestiniens en Palestine. Donc, pour les Américains, une volonté de continuer la guerre, à l’heure où l’on envisageait seulement une solution pour les réfugiés installés au Liban, mais sans droit au retour. « Le président affichait déjà ses positions. Les États-Unis et l’Europe ont donc vu dans la prorogation du mandat le symbole d’une adoption totale de la position syrienne, et d’une volonté de confrontation s’éloignant de toute solution possible. Partant, l’amendement a été une sorte de provocation », indique-t-il. Et de souligner : « Il semble qu’une ère d’entente datant de 1973 entre Syriens et Américains et qu’une ère d’accord datant de Taëf soient terminées. Il est évident aussi qu’à travers la prorogation du mandat, le Liban sert une fois de plus de champ de bataille syro-occidental sous le couvert de l’amendement constitutionnel. » Farès Boueiz se demande comment la situation a pu en arriver là : « Pourquoi en est-on arrivé à cette erreur monumentale ? C’est un grand mystère... Ce qui est certain, c’est que la prorogation a été complètement incomprise, alors que Damas aurait pu trouver parmi les candidats des personnes qui lui sont proches, qui ont les mêmes conceptions et qui ne présentent pas la même provocation vis-à-vis de l’Occident. Parmi les candidats sérieux, personne n’était contre la Syrie. Tous étaient amis ou alliés de Damas. Ce mystère est loin d’être élucidé. Pourquoi Damas a-t-il recherché cette confrontation ? Fuite en avant ou piège ? L’avenir nous le dira. » Et l’ancien ministre de dénoncer cette position maladroite, qui dessert le Liban et la Syrie, puisqu’elle n’aide pas ces deux pays dans la confrontation qu’ils ont choisi de mener : l’unité interne, notamment au plan communautaire, bat désormais de l’aile, et Beyrouth et Damas ont quasiment perdu leur seul atout : la légalité internationale. Le même processus graduel qui a visé l’Irak ? Quelles seront donc les conséquences de la 1559 ? « À partir du moment où nous avons choisi la confrontation avec des armes rouillées et des munitions mouillées, je pense que nous devons nous attendre à beaucoup de choses. Les États-Unis et l’Europe, qui avaient commencé dans les coulisses à adresser des mises en garde discrètes, diplomatiques, avant le vote du Parlement, ont transformé cette mise en garde en ultimatum, à travers le vote du Conseil de sécurité. Cet ultimatum demande au sécrétaire général, dans un délai de 30 jours, de présenter un rapport sur deux points : la présence des troupes étrangères au Liban – et ce n’est pas un secret de dire que la Syrie est visée – et la réalité démocratique de l’amendement constitutionnel. S’il y a eu un recul par rapport à une résolution plus musclée, cela a été fait pour pouvoir assurer le nombre de voix nécessaire. Contrairement à ce qui est dit, ce recul est d’ordre purement technique. Il ne faut pas lire faussement la réalité des choses. Cette réalité fait que les États-Unis, sans l’aval du Conseil de sécurité, et sans l’Europe, ont été en guerre en Irak. Et, cette fois, ils sont ensemble. » Jusqu’où peuvent aller les choses ? « À la lumière de l’expérience irakienne, on peut déduire que le fond de la décision est politique. Le Conseil de sécurité, à la lumière du futur rapport Annan, peut établir toute une panoplie de réactions : tout d’abord, l’Onu peut contester la légalité et la légitimité de la prorogation du mandat Lahoud ; ensuite, des mesures économiques concernant les opérations bancaires du Liban vers l’étranger ou de la Syrie vers l’Europe – ce qui reviendrait à asphyxier la Syrie puisque les transactions bancaires avec les États-Unis sont suspendues. » Mieux encore, pour Farès Boueiz, le Liban et la Syrie pourraient faire les frais du même processus graduel qui a visé l’Irak. Par ailleurs, dit-il, « la 1559 est une résolution du Conseil de sécurité, et les Israéliens pourraient en profiter. La machine diplomatique libanaise et syrienne se trouverait affectée puisqu’elle ne repose que sur l’application des résolutions de l’Onu ». Au plan interne, Farès Boueiz exprime de nombreuses craintes : l’amendement est le résultat d’une politique de confrontation. Toute une logique de confrontation s’établit à partir de là, avec, à la clé, « la formation d’un gouvernement de confrontation, qui ne saurait être ouvert à une participation, la mise en place d’un style autoritariste qui commence déjà à se manifester, avec les portraits, les feux d’artifice, les injonctions faites aux municipalités de dresser des calicots d’appui au président ». En résumé, affirme-t-il, on pourrait aller « vers un régime encore plus policier sous le couvert des nécessités de la confrontation ». C’est pourquoi le ministre démissionnaire ne croit pas aux appels au dialogue de Baabda : « En temps de guerre, tous les appels au dialogue s’estompent. Ce n’est pas non plus en temps de guerre que les réformes ont leur place. Tout espoir de réformes, de démocratie, d’intégration, de compréhension s’envole. » Et pour éviter cette confrontation ? « Un seul miracle – mais je n’ai pas beaucoup d’espoir – pourrait avoir lieu. L’Occident n’est pas en mesure de reculer à un prix acceptable, la Syrie non plus. Si la Syrie doit reculer, elle devra lâcher le Hezbollah, ce dont il n’est pas question. Si les États-Unis doivent reculer, ils devront lâcher cette carte. Le seul miracle serait une réédition de la position de Fouad Chéhab, qui, prenant en considération l’absence de quasi-unanimité populaire et nationale, et les divisions internes qui existaient à l’époque, avait renoncé à accepter un second mandat, en considérant qu’en l’absence de ces réalités, aucune réforme ne pouvait être entreprise. » Un appel lancé à Lahoud pour qu’il se démette ? « Je ne lance pas d’appels. Je constate que la seule issue miracle serait celle d’achever le mandat initial jusqu’à la dernière minute, tout en renonçant à une prorogation. » Interview réalisée par Michel HAJJI GEORGIOU

Il y a quelques mois, Farès Boueiz confiait à « L’Orient-Le Jour » que le Liban avait urgemment besoin d’un nouveau style, d’un nouvel esprit, d’une personnalité cent pour cent libanaise à la présidence de la République. Fidèle à ses propos, il a été l’un des 29 députés, vendredi dernier, à avoir le courage d’aller jusqu’au bout, de voter contre la...