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Actualités - CHRONOLOGIE

Par 96 voix contre 29, les députés votent la prorogation du mandat Lahoud Ultime offensive de l’opposition au Parlement lors d’une bataille perdue d’avance

Il y avait quelque chose de pathétique et en même temps de révoltant et d’irritant dans le spectacle des mains levées timidement, presque honteusement, des têtes baissées et des mines d’enterrement des nombreux députés qui ont voté, hier, à leur corps défendant, une rallonge de trois ans du mandat présidentiel. « Vous avez bien fait de refuser une retransmission en direct de la séance. De cette façon, vous avez permis à la Chambre de garder une certaine décence », a déclaré M. Farès Boueiz à l’adresse d’un Nabih Berry impassible. Par 96 voix contre 29, la Chambre a prorogé le mandat du général Émile Lahoud, faisant la sourde oreille aux cris d’alarme, aux cris du cœur lancés par 9 députés de l’opposition, Boutros Harb, Mikhaël Daher, Salah Honein, Nayla Moawad, Antoine Ghanem, Farès Boueiz, Akram Chéhayeb, Misbah Ahdab et Nassib Lahoud, dans une ultime tentative de sensibiliser un Parlement docile sur les dangers d’une atteinte à la Constitution et aux principes démocratiques. Leur bataille n’était pas dirigée contre le président Lahoud, comme l’a d’ailleurs relevé M. Boutros Harb, mais contre le processus si peu démocratique et si peu libanais qui a débouché sur une rallonge du mandat présidentiel, décrié aussi bien par de nombreuses personnalités libanaises que par la communauté internationale. Personne n’aurait voulu, hier, être dans les souliers de Rafic Hariri, qui, le bras en écharpe, observait, la mort dans l’âme, la mine renfrognée, tous les membres de son bloc parlementaire, sauf un, Ghattas Khoury, lever la main l’un après l’autre pour dire oui à l’amendement de l’article 49 de la Constitution qui permettra au général Lahoud de rester trois années supplémentaires au pouvoir. L’air fatigué, le Premier ministre est, contrairement à son habitude, avare de sourires et écoute, le visage dénué de toute expression, le débat constitutionnel qui s’engage à l’ouverture de la séance entre MM. Nabih Berry, Mikhaël Daher, président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, et Boutros Harb, puis les interventions des députés de l’opposition qui se sont succédé à la tribune. MM. Daher et Harb n’ont qu’une idée en tête : obtenir que le projet d’amendement constitutionnel soit soumis, pour examen, à la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice. Ils n’y parviendront pas. M. Berry soumet la proposition d’envoi en commission au vote. Un vote sans surprise. La majorité y est contre et M. Berry l’annonce haut et fort : « Sa’at ». Du bloc Hariri, MM. Nabil de Freige et Ghattas Khoury avaient chacun levé haut le bras. M. de Freige le laissera tomber, résigné. Puis Walid Joumblatt demande la parole. Silence dans l’hémicycle. « Il est vrai que le Parlement a son règlement intérieur mais le peuple aussi a le sien », se contente-t-il de dire, un brin ironique. La parole est donnée en premier à M. Harb à qui le président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice succédera à la tribune. Leurs deux discours s’articulent essentiellement autour du respect de la Constitution. M. Harb établit une distinction entre ses relations personnelles avec le chef de l’État qu’il affirme vouloir préserver et son opposition à l’amendement de la Constitution. Il souligne aussi la solidarité libano-syrienne, mais estime que « les Libanais et les Syriens doivent comprendre que les relations privilégiées que nous souhaitons concilient le concept de fraternité sincère et le respect de la souveraineté, de l’indépendance et de la liberté des deux pays ». S’il est opposé à l’amendement de l’article 49 de la Constitution, c’est parce qu’il est « en contradiction avec les règles constitutionnelles, parce qu’il fait de nos textes constitutionnels une véritable mascarade et parce qu’il expose notre système politique à l’effondrement ». Tous les orateurs reprendront cette idée qui tombera dans l’oreille d’un sourd, sans qu’un seul député pro-reconduction ne défende le texte contesté. Selon M. Harb, le texte sous examen doit être rejeté parce qu’il « altère la volonté des députés qui avaient élu le président pour un mandat de six ans ». Jugeant honteux que l’article 49 soit « violé à chaque échéance présidentielle », le député de Batroun souligne qu’un « minimum de pudeur et de sérieux est requis ». « Les textes sont amendés suivant des besoins liés à l’intérêt général et non suivant les caprices et les intérêts des dirigeants », dit-il. Il plaide pour l’alternance au pouvoir avant de faire remarquer que les « raisons stratégiques » avancées pour justifier une prorogation du mandat présidentiel ne sont pas convaincantes. Et de juger que l’amendement est en contradiction avec les principes de la souveraineté et de l’indépendance du Liban « du moment que la décision de proroger le mandat présidentiel a été prise à Damas par le pouvoir syrien alors que la présidentielle est une affaire purement libanaise ». M. Mikhaël Daher en appelle à la conscience de ses collègues avant d’exposer à son tour les raisons pour lesquelles il juge que le projet d’amendement de la loi fondamentale est anticonstitutionnel. Il insiste sur la procédure, hâtive et bâclée, qui a débouché sur l’adoption du texte en Conseil des ministres. « Une crise d’hommes » Le verbe d’Antoine Ghanem est dur, très dur, même si certaines de ses expressions détendent un peu l’ambiance lourde qui régnait dans l’hémicycle. « L’amendement de l’article 49 de la Constitution ébranle la stabilité législative, d’autant plus que la légitimité populaire lui fait défaut. » C’est la phrase la plus indulgente qu’il prononcera. Pour le député de Baabda, « il ne faut pas croire que c’est le système qui est en crise au Liban. Ce qu’il y a, c’est une crise d’hommes » d’État, fulmine-t-il, en s’en prenant violemment au Parlement, à coups de poèmes et d’anecdotes, dont deux seront supprimés par M. Berry du procès-verbal de la séance, à cause de leur caractère diffamatoire. Farès Boueiz opte pour la concision. Il admet que des dangers pèsent sur la région, mais relève que le Liban ne peut relever le défi de la confrontation qui lui est imposée que « par la solidarité du peuple qu’il ne faut pas écarter, l’unité interne qu’il ne faut pas ébranler, le potentiel de notre société qu’il ne faut pas affaiblir, notre démocratie qu’il ne faut pas saper, notre liberté qu’il ne faut pas écraser, notre Constitution qu’il ne faut pas amender, notre crédibilité qu’il ne faut pas perdre... ». Les explications de Robert Ghanem M. Robert Ghanem explique dans son intervention pourquoi il a fini par accepter la prorogation du mandat présidentiel sur lequel il continue, dit-il, d’exprimer des réserves « parce qu’il est en contradiction avec mes convictions immuables ». Il insiste sur le fait que les pressions exercées dernièrement sur le Liban et la Syrie ont ôté à la présidentielle son caractère libanais et en ont fait une monnaie d’échange en fonction des intérêts régionaux et internationaux. M. Ghanem estime en outre que la gravité de l’internationalisation de cette échéance réside dans le fait qu’elle fait échec au partenariat qui aurait pu être possible entre le Liban et la Syrie, avant d’indiquer qu’il est aussi dans l’intérêt des Libanais de préserver l’unité nationale, la coexistence et de surmonter leurs différends et leurs divisions. Akram Chéhayeb s’exprime au nom du bloc Joumblatt. Son ton est modéré. D’emblée, il met l’accent sur la gravité de la situation régionale qui implique, selon lui, une confrontation, mais constate que l’amendement de la Constitution représente « un facteur négatif susceptible d’affaiblir l’unité nationale, ainsi qu’un piège inutile » permettant à l’Occident de se mêler des rapports libano-syriens. M. Chéhayeb plaide aussi pour la protection de la résistance et dénonce le branle-bas de combat international contre le Liban et la Syrie, estimant qu’il ne sert pas les intérêts du pays. « Nous aurions voulu que l’échéance présidentielle devienne une occasion pour consolider l’unité et l’entente nationales, ce qui aurait permis de développer nos relations avec la Syrie ainsi que les capacités des deux pays pour qu’ils puissent faire face aux dangers auxquels ils sont confrontés. » Misbah Ahdab annonce une prolongation de la crise dans le pays, dans tous ses aspects et à tous les niveaux, avant de s’interroger sur la phase qui va suivre la prorogation du mandat du président Lahoud. « Comment l’autorité exécutive va-t-elle être durant ces trois prochaines années ? Sera-t-elle détenue par le Conseil des ministres ou est-ce que nous nous dirigeons vers un régime présidentiel ? » s’est-il interrogé. Au terme du discours de M. Nassib Lahoud (voir par ailleurs), la Chambre est appelée à voter. Ce sera un vote nominal, sans surprise, même si, jusqu’à la fin, on avait espéré que le cri du cœur de Salah Honein serait entendu. Tilda ABOU RIZK
Il y avait quelque chose de pathétique et en même temps de révoltant et d’irritant dans le spectacle des mains levées timidement, presque honteusement, des têtes baissées et des mines d’enterrement des nombreux députés qui ont voté, hier, à leur corps défendant, une rallonge de trois ans du mandat présidentiel. « Vous avez bien fait de refuser une retransmission en...