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analyse - La présidentielle serait un élément accessoire face aux enjeux des grandes puissances Le Liban de nouveau à la merci des vents contraires, régionaux et internationaux

«Mikhaël Daher ou le chaos. » Cette phrase, qui ressemblait fort à un ultimatum adressé par l’émissaire américain, Richard Murphy, aux Libanais en 1988, les habitants du pays du Cèdre ne l’ont pas encore oubliée. Et ils croyaient ne plus avoir à vivre une telle situation. Hélas, comme à chaque fois que la Syrie et les États-Unis sont en situation de conflit ouvert, c’est le Liban qui trinque et qui devient une proie tiraillée entre les vents régionaux et internationaux. Deux éventualités également mauvaises Aujourd’hui, ce n’est plus Mikhaël Daher qui est proposé aux Libanais, mais un marché quasi similaire où les deux éventualités sont mauvaises, parce qu’elles remettent en cause le fragile équilibre interne. Le projet de résolution soumis au Conseil de sécurité n’est ainsi, selon les sources prosyriennes, rien moins qu’un projet de chaos interne pour le Liban, dans le contexte actuel. Car, par quel miracle et, surtout avec quels moyens, le pouvoir libanais, à supposer qu’il soit convaincu de la nécessité d’appliquer les demandes du projet, pourrait-il exiger le retrait des troupes syriennes, désarmer le Hezbollah et les fedayine et implanter les réfugiés palestiniens civils ? Quand on pense aux alliés dont dispose la Syrie au Liban, c’est surtout un projet de conflit interne et de dissensions qui n’aurait pour résultat que d’affaiblir encore plus les différentes parties concernées. En contrepartie, l’adoption de l’amendement de la Constitution qui ouvre la voie à une prorogation de trois ans pour le mandat d’Émile Lahoud est une option de défi, qui va sans doute pousser la communauté internationale à augmenter ses pressions sur le pouvoir libanais et sur la Syrie. Après des années de stabilité (assez relative sur le plan politique, puisqu’une partie des Libanais se sentait marginalisée), le Liban entre de nouveau dans une zone de turbulences, dont il ne sortira pas indemne s’il ne fait pas de sa cohésion interne sa grande priorité. La présidentielle, une partie du plan contre la Syrie Comment en sommes-nous arrivés là et y avait-il moyen d’éviter de tels développements ? Des sources prosyriennes confient que le régime d’Assad voyait venir la catastrophe depuis décembre dernier. Il était conscient que certaines parties internationales voulaient profiter de l’échéance présidentielle libanaise pour s’en prendre à la Syrie. Il a donc choisi de jeter du lest en parlant de libanisation de l’échéance. Et il avait élaboré un scénario d’élection avec une multitude de candidats. Mais au fur et à mesure que les conflits se multipliaient entre Émile Lahoud et Rafic Hariri, il commençait à se rendre compte que la réaction de la Syrie était guettée comme un test par ces parties internationales qui souhaitaient voir jusqu’où irait son appui à Lahoud. Et c’est lorsque son appel à la libanisation de la présidentielle a été mis à profit par les parties locales pour mener une campagne féroce contre Lahoud que Bachar el-Assad a compris qu’au-delà de l’homme, c’est le régime syrien qui était pris pour cible. Selon ces sources, les Américains souhaitaient faire fructifier les résultats de la guerre en Irak sur le flanc faible de la Syrie, c’est-à-dire au Liban. Les États-Unis, toujours de mêmes sources, se comportent désormais comme une puissance régionale, omniprésente au Moyen-Orient et décidée à le remodeler selon ses propres critères. Le pays le plus apte, après l’Irak, à servir de terrain d’action aux États-Unis est le Liban, ajoutent ces sources, avec ses multiples composantes internes et l’hostilité latente de nombreuses parties libanaises à l’influence de la Syrie, que Bush et son équipe ne portent décidément pas dans leur cœur. La France, de son côté, a ajouté son grain de sel, pour d’autres considérations, et c’est ainsi que le fameux projet de résolution soumis au Conseil de sécurité des Nations unies a vu le jour. Les sources prosyriennes se demandent d’ailleurs comment la France, qui est en conflit avec l’Administration américaine sur l’Irak, la Palestine et la définition du terrorisme, a brusquement adhéré aux thèses de Bush sur le Liban. C’est cette position française, et ce qu’elle sous-entend de connexions libanaises, qui aurait poussé Bachar el-Assad à modifier le scénario élaboré pour la présidentielle libanaise. Se sentant ainsi encerclé de toutes parts, et comprenant qu’au-delà de la personne de Lahoud, c’est son régime même qui est visé, Bachar el-Assad a opté pour la prorogation de trois ans du mandat présidentiel libanais. Pour le régime syrien, à cause des positions des protagonistes libanais, la présidentielle est donc devenue une partie intégrante du projet visant à briser la détermination de la Syrie et à la contraindre à composer sur tous les plans. Le régime syrien était désormais convaincu que, même s’il renonçait à cette formule de prorogation, on lui demanderait encore d’autres concessions et la série ne se serait plus arrêtée qu’avec la fin du régime syrien. Un peu comme ce qui s’est passé en Irak, avec Saddam Hussein. D’autant qu’au Liban, Rafic Hariri, aux importantes relations internationales, se posait désormais en partenaire de la Syrie et non en allié. Il fallait donc couper court à cette situation et utiliser la stratégie qui avait été la caractéristique de Hafez el-Assad : coincée, la Syrie devient plus dure au lieu de multiplier les concessions. Avec une nuance toutefois qu’il faut relever : le choix de la Syrie s’est fixé sur Lahoud qui avait été élu en 1998 à la faveur d’un accord syro-américain, et la prorogation de trois ans réédite le scénario de 1995 avec Élias Hraoui, qui avait eu alors l’aval tacite de Washington. On reste ainsi dans les limites de l’acceptable faute d’entente. Mais le bras de fer se poursuit quand même. Le scénario du pire... Le projet de résolution soumis au vote du Conseil de sécurité, ajoutent les sources prosyriennes, a confirmé les craintes de la Syrie, puisque les points qu’il soulève dépassent l’échéance présidentielle qui n’est plus qu’une question accessoire. Les enjeux sont donc bien plus importants, le fossé se creuse de plus en plus entre les Libanais. Pour sauver la dernière carte qui lui reste, la Syrie mobilise tous ses alliés, sans se soucier d’y mettre les formes. En face, les opposants ont beau vouloir concentrer leurs efforts sur la prorogation du mandat Lahoud, ils savent que la situation est bien plus grave et que le spectre des anciennes divisions se profile à l’horizon chargé de nuages. Dans le scénario du pire, avancé par ces sources, la résolution est votée au Conseil de sécurité et le pouvoir libanais déclare que l’armée ne peut désarmer le Hezbollah et encore moins les Palestiniens. À la fin du délai de trente jours prévu par la résolution, le secrétaire général de l’Onu demande l’envoi d’une force internationale pour agir à la place des Libanais. La force se déploie et devient la cible des attentats de la part du Hezbollah ou d’autres groupes. On se croirait revenus vingt ans en arrière. Bien entendu, les sources prosyriennes ne croient pas à un tel scénario, qui est juste évoqué pour donner une idée de la gravité de la situation. Pour elles, les pressions vont se poursuivre dans la période à venir, mais le régime libanais saura, selon ces sources, sauver la cohésion interne et éviter d’appliquer les points prévus dans le projet de résolution. Déjà, ajoutent ces sources, les préparatifs en vue de la formation d’un nouveau gouvernement qui devrait faire face à la conjoncture difficile se seraient intensifiés, et les consultations devraient commencer dès lundi, après une possible démission de Rafic Hariri dès demain samedi. En attendant, il faut serrer les rangs et les dents, tout en se désolant du fait que la cohésion interne n’est évoquée que dans les périodes de crise. Pourquoi les douze années de pseudo paix civile n’ont-elles pas été mises à profit pour renforcer l’unité, rassurer ceux qui craignaient pour leur avenir et apaiser ceux qui voulaient se présenter comme des vainqueurs ? L’heure ne viendra sans doute jamais de répondre à cette question. Scarlett HADDAD
«Mikhaël Daher ou le chaos. » Cette phrase, qui ressemblait fort à un ultimatum adressé par l’émissaire américain, Richard Murphy, aux Libanais en 1988, les habitants du pays du Cèdre ne l’ont pas encore oubliée. Et ils croyaient ne plus avoir à vivre une telle situation. Hélas, comme à chaque fois que la Syrie et les États-Unis sont en situation de conflit ouvert,...