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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Le pourpre et le noir

La gloire du Liban lui est donnée : la formule est aussi vieille que le Liban lui-même et elle illustre bien l’autorité morale, mais aussi la responsabilité historique dont se sont toujours parés les 76 patriarches des maronites. La gloire, elle, a déserté notre pays réduit au statut de sous-province, géré à la va-comme-je-te-pousse et dont les gouvernants n’aspirent qu’à de pitoyables glorioles. À l’inconscience et l’imprévoyance des chefs d’avant la guerre, à la folie meurtière des seigneurs de la guerre ont succédé l’incompétence, la servilité et souvent la vénalité de ceux à qui il incombait de construire l’après-guerre. Mais tout cela n’y change rien, bien au contraire : face à tant de médiocrité, au milieu d’aussi tristes naufrages, la gloire qui continue d’auréoler Bkerké n’en devient que plus éclatante. Honte à un pays où la charge de répandre la vérité et la lumière, de défendre les droits des gens et jusqu’à la loi fondamentale et de préserver la dignité nationale est le lot non point des chefs séculiers mais des instances spirituelles : où l’effarant vide politique requiert, commande l’intrusion de la chose spirituelle. Le cardinal Sfeir est d’ores et déjà assuré de figurer en bonne place au rang des très grands patriarches, car il aura été inlassablement l’homme de tous les combats, durant une période particulièrement sombre de l’histoire du Liban. Il a eu à subir l’irrévérencieuse colère des ultras maronites qui lui reprochaient sa caution donnée à l’accord de Taëf, comme les attaques des âmes damnées de Damas qu’irritait son discours souverainiste. Mais qu’ils l’admettent ou non, Nasrallah Boutros Sfeir est aujourd’hui la conscience de tous, Libanais libanais ou Libanais dits prosyriens, chrétiens ou musulmans. Il n’a nul besoin, lui, de lancer à la ronde invitations, convocations et autres sommations pour voir en ce moment défiler toute la république dans sa résidence estivale de Dimane. C’est un triple non qu’a asséné, dans son homélie de dimanche dernier, le chef de l’Église maronite qui, pour l’honneur du Liban et la gloire de Bkerké, se faisait une fois de plus ainsi le porte-parole de l’écrasante majorité des citoyens : non aux consultations dont Damas a été dernièrement le théâtre, et qui n’illustraient en rien la « libanisation » de l’échéance présidentielle promise par Bachar el-Assad ; non à l’amendement de la Constitution visant à octroyer un nouveau sexennat au président Lahoud ou, pire encore, à institutionnaliser le principe de la rééligibilité du chef de l’État ; non enfin à toute cette entreprise d’altération, de bâtardisation du système politique libanais dans son ensemble, que l’on veut traîner de force vers l’autoritarisme, vers le règne de l’arbitraire – l’arbitre, en l’occurrence, siègeant hors frontières – alors que le monde assiège les dictatures pour les contraindre à se recycler. C’est ce même refus de toute atteinte à la régularité de l’échéance présidentielle que formulaient de concert, le lendemain même, bien qu’en termes plus mesurés, le mufti sunnite le cheikh Kabbani et son alter ego chiite le cheikh Kabalan. Ce bien rare consensus n’aura duré que quelques heures comme on sait, les deux dignitaires ayant dû gommer après-coup le passage de leur communiqué commun relatif à l’élection, et cela à la suite de ce qu’il est convenu d’appeler des interventions occultes. Navrante retraite bien sûr, même quand on se souvient que l’islam libanais est particulièrement tenu au devoir d’allégeance et qu’il est d’autant plus vulnérable donc aux pressions (ceux qui dans le passé ont osé enfreindre la règle n’étant plus de ce monde). On se consolera toutefois à l’idée que grâce à la suprême maladresse, à la balourdise, à la stupidité de leurs auteurs, ces fameuses interventions occultes n’ont finalement rien occulté du tout : elles ont, au contraire, attiré un surcroît d’attention sur la fugace initiative des instances sunnite et chiite ; et elles ont montré au grand jour à quel point de tels sursauts effraient l’ordre établi. Voilà bien des services de renseignements étonnamment peu renseignés en matière de psychologie politique. Et qui à vouloir trop bien faire, rendent un bien mauvais service à leurs maîtres. Les hommes passent, les écrits restent, quand bien même s’emploierait-on à les amputer, à les charcuter comme l’on a fait du texte de Dar el-Fatwa. Les écrits se jouent de la fuite du temps, sautent les générations, surtout quand l’histoire a la mauvaise habitude de se répéter. Que le président Lahoud soit prêt à se laisser faire une douce violence, à accepter un nouveau mandat si tel est le vœu des députés, qu’il s’en ouvre à ses visiteurs comme il l’a fait hier, appelle irrésistiblement ces quelques lignes : « Il est vrai que tu n’es au courant de rien, et que tout se passe à ton insu (...) Dois-je rappeler les choses vitales pour ce pays, que cette Chambre doit connaître avant de réveiller son discrédit ancien et de l’aggraver ? (...) Je t’ai suggéré la chance de la voie honorable, de la voie qui n’implique pas les démarches, les faveurs, les promesses et le reste dans un milieu terriblement suspect depuis l’origine. Tu parais préférer la porte de service, je le déplore (...) Les mœurs politiques de ce pays n’étaient déjà pas très brillantes. Par étapes et peut-être sans t’en rendre compte, tu les fais reculer de trente ans. » C’était Michel Chiha, écrivant en 1949 à son beau-frère Béchara el-Khoury, premier président du Liban indépendant : premier aussi à tâter de la reconduction, avec les funestes conséquences que l’on sait. Vous ne risquez pas d’être en panne de courrier, Monsieur le président Lahoud.

La gloire du Liban lui est donnée : la formule est aussi vieille que le Liban lui-même et elle illustre bien l’autorité morale, mais aussi la responsabilité historique dont se sont toujours parés les 76 patriarches des maronites. La gloire, elle, a déserté notre pays réduit au statut de sous-province, géré à la va-comme-je-te-pousse et dont les gouvernants n’aspirent...