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Actualités - CHRONOLOGIE

MUNICIPALES - Dans le chef-lieu de la Békaa, l’affligeant spectacle des rivalités internes Échanges d’accusations et rumeurs d’achat de voix à Zahlé (photos)

En ce dimanche électoral, la « fiancée de la Békaa » chantée par les poètes n’était plus que le symbole de la discorde et de l’effritement. Avec ses 58 411 électeurs, dont plus de la moitié se seraient rendus aux urnes selon de premières estimations, le chef-lieu de la Békaa offrait un spectacle affligeant. Comme dans les autres localités libanaises à majorité chrétienne, la lutte entre les deux principales listes était féroce et les enjeux décevants. Le ministre de l’Industrie, Élias Skaff, qui, avec le député Nicolas Fattouche, parraine la liste de l’actuel président de la municipalité, Assaad Zogheib – face à celle présidée par l’ancien ministre Nicolas Khoury et appuyée ouvertement par le député Youssef Maalouf et plus discrètement par l’ancien président Élias Hraoui et le ministre Khalil Hraoui –, avait beau affirmer qu’il s’agissait d’une bataille politique, les électeurs pensaient qu’il s’agissait plutôt de questions personnelles, les deux parties étant alliées à la Syrie, et le duel entre le chef de l’État Émile Lahoud et le président du Conseil Rafic Hariri n’ayant pas d’impact sur place. Les circonstances idéales en somme pour monnayer leurs voix, histoire de booster leur motivation... À entendre les déclarations du ministre de l’Industrie et celles des membres de la liste qu’il parraine ainsi que celles du député Nicolas Fattouche, avant le début de l’opération électorale, on aurait pu croire que Zahlé était en ébullition. Pourtant, si, en ce dimanche 9 mai, la température extérieure est assez élevée, les rues de Zahlé sont calmes. Aucune animation particulière, sauf devant les domiciles de Skaff et Fattouche, et ceux des membres des listes rivales. Même les bureaux électoraux de la troisième liste, celle de l’opposition qui n’a réussi à s’unifier qu’à Zahlé où elle a peu de chances de percer, semblent déserts. Cette liste, regroupant uniquement huit membres sur 21, appartenant au courant aouniste, au courant réformiste Kataëb et aux Forces libanaises, avait organisé un meeting la veille, surtout pour faire acte de présence, car face aux « géants » lancés dans la bataille dans les deux autres listes, elle n’avait pratiquement aucune possibilité d’enregistrer un score acceptable. Pour Skaff, une bataille politique par excellence La scène électorale est donc presque totalement occupée par la liste présidée par Assaad Zogheib et celle présidée par Nicolas Khoury. Mais c’est surtout autour du domicile d’Élias bey, comme on appelle à Zahlé le ministre de l’Industrie, que l’ambiance est survoltée. Élias Skaff considère en effet que c’est son leadership qui est en jeu et il a mis tout son poids dans la balance. D’après lui, il s’agit d’une bataille politique par excellence, « car si c’était une simple question de développement, l’actuel conseil municipal a très bien travaillé, réglant enfin le problème des ordures de Zahlé et recevant pour cela les compliments de la Banque mondiale. Il a même refait toutes les routes et tous les escaliers de la ville. C’est donc une bataille politique, avec pour cible ma propre personne ». Du côté de l’autre liste, le son de cloche est totalement différent. Pour les analystes « de l’autre bord », depuis que ses relations avec les responsables syriens se sont améliorées (ce qui lui aurait même valu son portefeuille ministériel), Élias Skaff aurait perdu beaucoup de sa popularité dans les rangs des sympathisants de l’opposition (qui avaient permis la victoire de la liste qu’il parrainait aux municipales de 1998). Il aurait donc besoin d’amplifier les enjeux de la bataille actuelle pour pouvoir se présenter en victime et bénéficier ainsi de la sympathie des électeurs. Naturellement, chez les Skaff on dément cette vision des choses. Le ministre lui-même affirme que quatre des membres de la liste qu’il appuie sont proches des milieux de l’opposition. Il n’y aurait donc de sa part aucune stratégie pour se présenter en victime, alors qu’il est la cible d’attaques en bonne et due forme. Chez les Skaff, où l’épouse du ministre n’est pas la moins impliquée dans la bataille, on évoque des cartes électorales qui n’ont pas été délivrées à temps, d’autres émises en double, bref une série d’irrégularités ayant pour objectif d’affaiblir sa position. Mais nul ne va jusqu’à accuser les « fameux services de sécurité» de s’être investis dans la bataille, et M. Skaff se promet de soulever le problème des cartes électorales en Conseil des ministres lorsque les élections seront finies afin d’y mettre un terme une fois pour toutes. Les accusations de Fattouche Fidèle à son image de trublion, le député Nicolas Fattouche est beaucoup plus direct, accusant des services de vouloir impliquer le président de la Chambre dans la bataille en installant des banderoles selon lesquelles M. Nabih Berry serait en faveur de la liste Skaff-Fattouche-Zogheib. Pour la liste Nicolas Khoury, cet appui ne serait nullement un mensonge, mais une réalité, surtout depuis la visite du président de la Chambre à Zahlé sur une invitation du ministre Skaff l’été dernier. Selon des sympathisants de cette liste, ce serait même le président Berry qui aurait demandé au député Fattouche d’appuyer de façon plus dynamique la liste Skaff, qui compte, parmi ses membres, un proche du mouvement Amal, alors que sur l’autre liste figurerait un proche de l’ancien membre du mouvement Amal en conflit avec M. Berry, M.Mahmoud Abou Hamdane. Les lecteurs l’ont compris : à Zahlé, hier, chez les deux listes rivales, ce ne sont qu’échanges d’accusations, accompagnés parfois d’insultes ouvertes, notamment de la part de Skaff, mais aussi des députés Nicolas Fattouche et Youssef Maalouf, qui n’ont heureusement jamais dégénéré en rixes. Côté pronostics, le ministre Skaff affirme que si les autres obtiennent de bons résultats, ils pourront peut-être avoir un ou deux sièges. Ce que démentent formellement les membres de la liste Nicolas Khoury qui espèrent obtenir entre dix et douze membres. L’appel à l’entente du président Hraoui Dans cette ambiance survoltée, le calme de l’ancien président Élias Hraoui semble anachronique. Cet homme de soixante dix-huit ans, qui a beaucoup vécu, beaucoup souffert et réalisé la plupart de ses ambitions, est assez désolé de voir sa ville natale se déchirer ainsi. Il y a déjà près de deux mois, il avait appelé à l’entente. Mais son appel est resté sans réponse. Seul l’évêque grec-catholique de Zahlé avait été séduit par l’idée et il avait rencontré le ministre Skaff a cet effet. En vain, la bataille étant inévitable. Malgré cela, lorsque l’ancien ministre Nicolas Khoury, propriétaire d’un hôpital et d’un hôtel dans la région de Zahlé, a voulu former une liste et a sollicité son appui, l’ancien président de la République a posé une condition : mettre dans son communiqué qu’il se retire de la course si les différentes parties parviennent à une entente. M. Khoury a accepté, mais l’entente n’a jamais pu être réalisée. Et l’ancien chef de l’État s’est retrouvé, presque à son corps défendant, entraîné dans une bataille dont il aurait voulu faire l’économie à sa ville. D’ailleurs, malgré les accusations portées contre lui par Skaff et ses partisans, il préfère ne pas répondre pour ne pas faire le jeu de l’autre liste et augmenter les dissensions. Même lorsque le ministre de l’Industrie l’accuse de mentir en affirmant qu’il ne s’agit pas d’une bataille politique, Élias Hraoui garde son calme et refuse de se lancer dans la polémique, bien que son neveu, Samir Hraoui, figure sur la liste de Nicolas Khoury. Une bataille contre des moulins à vent Même situation chez le ministre d’État, Khalil Hraoui, qui se contente d’affirmer que son collègue de l’Industrie se bat contre des moulins à vent, ni l’ancien président ni lui-même ne souhaitant se lancer dans la bataille contre lui. Le ministre, dont le téléphone ne cesse de sonner, suit de près la situation sur le terrain, tout en affirmant ne pas chercher à intervenir. Il n’est nullement question pour lui de s’impliquer directement dans une bataille municipale, alors qu’il y a des enjeux bien plus importants. Et si beaucoup estiment que les résultats des municipales seront déterminants pour d’autres échéances, notamment les législatives de 2005, Khalil Hraoui précise qu’il est trop tôt pour ce genre de calcul. Il ajoute que son appui à la liste de Nicolas Khoury est venu tardivement lorsque ce dernier l’a sollicité, parce que, avec ses alliés, il n’était pas satisfait des réalisations de l’actuel conseil municipal. Sachant que son cousin Samir Hraoui est membre de cette liste, il ne pouvait qu’appuyer celle-ci, mais cette bataille ne comporte pas, à ses yeux, d’enjeu politique. Et encore moins confessionnel, même si certaines parties ont voulu lui donner un tel caractère en mettant en vis-à-vis grecs-catholiques et maronites. Pourtant, selon Khalil Hraoui, la liste de Nicolas Khoury comporte dix grecs-catholiques contre neuf dans la liste Skaff-Zogheib. C’est dire que, selon lui, l’enjeu n’est nullement communautaire. Mais dans une bataille aussi féroce, tous les slogans sont bons. Même s’ils peuvent laisser des séquelles graves au sein de la population. Les deux parties rivales sont toutefois d’accord pour évoquer l’achat massif de voix, chacune accusant l’autre d’en être responsable. D’ailleurs, selon un expert en batailles électorales, la Bourse des voix se présente ainsi: lorsqu’une liste se forme, elle estime son capital en voix à une quantité déterminée. Pour s’assurer la victoire, elle calcule alors le nombre de voix qu’il lui reste à acheter. Ainsi, avant le jour du scrutin, la voix se paye entre cent et cent vingt dollars. Le jour du scrutin, la somme varie. Elle est entre cent mille et 50 mille livres dans la matinée et les prix grimpent le soir, avant la fermeture des bureaux de vote. Si, à Zahlé, tout le monde parle ouvertement de l’achat de voix, personne n’a pu, ou voulu, fournir une preuve ou un témoignage concret. Peut-être parce qu’il ne s’agit que de rumeurs, ou peut-être parce que toutes les parties impliquées dans la bataille utilisent cette pratique. Ce qui est sûr, c’est que ces accusations en disent long sur le niveau du débat démocratique dans la ville, jadis phare, de Zahlé. Tout comme le refus des partisans de l’une ou l’autre liste d’indiquer les domiciles des membres de la liste rivale aux journalistes perdus en dit long aussi sur l’état d’esprit des citoyens de la ville. Face à toutes ces dissensions, de quoi demain sera-t-il fait ? Il faudra beaucoup de sagesse et de tolérance pour parvenir à recoller les morceaux une fois les résultats proclamés, surtout s’ils sont aussi mitigés qu’on le dit, avec dix et onze membres pour chacune des deux listes. Dire qu’il ne s’agit que d’une échéance municipale... Scarlett HADDAD
En ce dimanche électoral, la « fiancée de la Békaa » chantée par les poètes n’était plus que le symbole de la discorde et de l’effritement. Avec ses 58 411 électeurs, dont plus de la moitié se seraient rendus aux urnes selon de premières estimations, le chef-lieu de la Békaa offrait un spectacle affligeant. Comme dans les autres localités libanaises à majorité...