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Actualités - interview

Échéance présidentielle - Le député du Akkar déplore les rapports personnalisés qui corrompent le jeu politique Le respect de la Constitution, cheval de bataille de Mikhaël Daher (photo)

La demande d’entretien, ou plutôt son objet, surprend un peu le député Mikhaël Daher : « Pourquoi vous intéressez-vous à mon profil de candidat à la présidence de la République ? » Une réaction somme toute compréhensible quand on sait qu’en 1988, il était à deux doigts d’accéder à la magistrature suprême, au moment où la crainte d’un vide au niveau de la présidence de la République se précisait. C’était vers la fin du mandat du président Gemayel. Mikhaël Daher avait été considéré par Washington et Damas comme un candidat consensuel, se situant à égale distance de toutes les parties. Sauf que le camp de l’Est ne le voyait pas sous cet angle. Tout le monde connaît la suite de l’histoire. Dix-sept ans plus tard, Mikhaël Daher est toujours prêt à répondre présent s’il est sollicité pour diriger le pays. Pour lui, toute personne travaillant dans le domaine public et qui se sent parfaitement capable de donner davantage pour servir le Liban doit œuvrer pour accéder à ce poste, sur base du respect de la Constitution, dans son esprit et sa lettre. Cette dernière phrase revient à plusieurs reprises, comme un leitmotiv, au cours de l’entretien. Elle constitue le fondement de son action politique, son credo. Son attachement à la Constitution, qui s’est exprimé par une opposition farouche à une prorogation du mandat présidentiel en 1995 – une position de principe qu’il maintient aujourd’hui –, lui a valu d’être considéré persona non grata par les Syriens. Et même s’il a payé cher sa prise de position aux législatives de 1996, il reste jusqu’aujourd’hui vivement opposé à toute modification de la Loi fondamentale. Son explication : c’est le respect de la Constitution qui régularise la vie politique et qui favorise l’édification de l’État de droit. Mikhaêl Antonios Daher est entré tout naturellement dans l’arène politique. Issu d’une famille de notables de Kobeyate (Akkar) impliqués presque tous dans le domaine publique, il s’est familiarisé dès son plus jeune âge avec l’action publique. Son grand-père, Mikhaël Daher, était considéré comme une autorité de réference pour les chrétiens de la région. Un des cousins de son père, Michel Daher, était député. Mikhaël Daher suivra des études en droit, en philosophie, puis en sociologie car s’il était mis en tête de devenir un avocat pénal et qu’il avait besoin de connaissances psychologiques et philosophiques pour pouvoir comprendre la psychologie des personnes qu’il devait défendre un jour. Il aspirait dans le même temps à une carrière politique et ces études devaient également l’aider dans ce domaine. « J’avais commencé à rendre service à la population lorsque j’étais encore au bureau de Hamid Frangié et c’est ma profession d’avocat qui a constitué la voie d’accès à la politique », se rappelle-t-il. En tant qu’avocat, d’importants dossiers lui ont été confiés, comme celui de la tuerie de l’église de Miziara, en 1957, dans les années cinquante, ou celui du PPS, en 1962. Député depuis 1972, il a assumé à la Chambre la présidence de plusieurs commissions, avant d’être nommé ministre de l’Éducation. Il préside pour le moment la commission de l’Administration et de la Justice. « Même lorsque les événements ont commencé, raconte-t-il, nous poursuivions nos réunions à la Chambre où je suis resté jusqu’en 1996. Cette année-là, il y a eu un petit problème. Je m’étais opposé à un amendement de la Constitution en vue d’une prorogation du mandat du président Élias Hraoui. Ma prise de position a déplu à certaines autorités libanaises et syriennes, qui ont considéré que je n’avais plus de place au Parlement. J’ai été farouchement combattu aux élections législatives » qu’il a perdues. Entre 1996 et 2000, année au cours de laquelle il réintègre les rangs des députés, c’est hors du cadre de la Chambre qu’il poursuit son action politique. « Une base politique saine » M. Daher ne marque pas la moindre hésitation avant de répondre à la question relative aux grandes lignes de son programme politique, qui repose sur un principe immuable pour lui : le respect et l’application de toutes les dispositions de la Constitution, qui explique, dit-il, son engagement indéfectible aux chartes internationales et notamment à celle des droits de l’homme. « Quelqu’un comme nous, ajoute-t-il, qui a passé 30 à 40 ans dans la vie politique, possède une vison complète des lacunes et des points faibles dans le mécanisme régissant le pays. Un dirigeant doit avant tout se conformer aux textes constitutionnels. J’ai pris part à Taëf et j’ai suivi de près toutes les phases de l’élaboration des dispositions de la nouvelle Constitution. Je sais pourquoi elles ont été amendées et dans l’intérêt de qui. Je vous dis tout de suite que c’était dans l’intérêt des institutions. La Loi fondamentale doit être respectée dans sa lettre et dans son esprit. Quand on se conforme à ses dispositions, on barre la route aux tiraillements et aux conflits. Au sein de l’État de droit, les institutions doivent pouvoir exercer toutes leurs prérogatives constitutionnelles. » « Mais pour que cela puisse être vrai, ajoute-t-il, il faut qu’il y ait une base politique saine. » Le président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice trouve ainsi anormal que la Chambre ne puisse pas faire chuter le gouvernement. « À ce niveau, il y a un véritable déséquilibre, dû essentiellement à la représentation au sein de la Chambre. La loi électorale a favorisé la formation de grands blocs parlementaires, constitués, non pas sur des bases idéologiques, mais sur des bases personnelles. Chaque “zaïm” est arrivé au Parlement avec une trentaine de députés qui le suivent. Les rapports personnalisés corrompent le jeu politique. Il suffit que deux ou trois blocs s’entendent entre eux pour que le gouvernement reste, en dépit de toutes ses défaillances. » Pour lui, il s’agit là d’un point fondamental dont le règlement passe par l’élaboration d’une loi électorale qui assure une représentation authentique de toutes les régions et de toutes les parties de la population. M. Daher insiste aussi sur la liberté du scrutin « car quand la volonté populaire s’exprime librement, la Chambre sera réellement représentative du peuple et assumera ses responsabilités. Elle pourra alors sanctionner toute mauvaise pratique au niveau du pouvoir ». Il insite sur trois autres points : une décentralisation administrative, « qui a trop tardé », et qui doit « rapprocher l’État du citoyen, partout au Liban », une consolidation des organes de contrôle et une indépendance progressive de la justice « qui a besoin de plus de garanties ». Le Liban a franchi un pas en ce sens, il y a deux ans, lorsqu’il a modifié le mécanisme des permutations judiciaires et des nominations au sein du CSM, pour rendre le pouvoir judiciaire un peu plus autonome, rappelle-t-il, mais ces mesures restent insuffisantes. « Nous aspirons à une autonomie plus complète », ajoute M. Daher, un peu sur le modèle français, sur lequel il s’étend d’ailleurs longuement. Failles libano-syriennes En ce qui concerne les relations libano-syriennes, le député juge qu’elles doivent être fraternelles, pures et sincères. « Le Liban ne peut être qu’un allié de la Syrie. Plus la Syrie est forte, plus il pourra en profiter. La Syrie a aussi intérêt à ce que notre pays le soit également. Voilà pourquoi, explique M. Daher, il doit pouvoir être pleinement souverain et indépendant et bénéficier de toutes ses caractéristiques, comme pays démocratique et libre. » « Le Liban est aussi une tribune à partir de laquelle la Syrie et le monde arabe peuvent s’adresser à la communauté internationale. Mais il n’a pas tiré profit de sa situation. Le président de la République peut jouer un important rôle pour défendre la Syrie et le monde arabe, en même temps que le Liban, auprès des instances internationales. L’impact de ce rôle est d’autant plus important que le président est chrétien. S’il est assumé, le Liban deviendra une nécessité pour la Syrie et pour le monde arabe », fait-il valoir. M. Daher reconnaît l’existence de failles au niveau des rapports libano-syriens, et il en fait assumer la responsabilité aux Libanais « qui sollicitent régulièrement le concours des Syriens pour le règlement de telle ou telle question », ainsi qu’à Damas qui « réagit favorablement à ces requêtes ». « Mais cela n’est pas permis. Il faut que le Liban s’habitue à prendre ses décisions sans impliquer la Syrie. » Pour remédier à ce genre d’anomalie, il plaide de nouveau pour un respect de la Constitution tout en estimant que « chaque responsable doit exercer son autonomie et faire valoir sa liberté de décision, sans recourir à tout moment à Damas ». La Syrie doit aussi « éviter de répondre favorablement aux initiatives libanaises », renchérit-il. Pour lui, la présence syrienne au Liban est légitime, à partir du moment où Beyrouth a accepté que des « forces de frappe arabes » soient envoyées dans le pays. Sans compter que cette présence reste indispensable tant que des îlots de sécurité existent au Liban. Sa position à ce sujet rejoint d’ailleurs celle de l’État. Le mandat présidentiel Jusqu’aujourd’hui, il conteste un amendement de la Loi fondamentale en vue d’une reconduction ou d’un renouvellement du mandat présidentiel « pour plusieurs considérations ». La plus importante, dit-il, est que la prorogation d’un mandat, qui fait l’objet d’une loi ordinaire, « reste anticonstitutionnelle car le président est élu par le biais d’un vote secret, conformément à la Loi fondamentale. Ce qui s’est passé sous le régime Hraoui, c’est qu’on a voté à main levée une proposition de loi pour une reconduction de trois ans du mandat présidentiel. Pourtant, un président ne peut pas assumer ses fonctions si la procédure déterminée dans la Constitution n’est pas respectée, surtout qu’une loi ordinaire ne peut pas remplacer une disposition de la Loi fondamentale ». Il n’est pas non plus favorable à une réduction du mandat présidentiel, qui pourrait à ce moment-là justifier, comme en France ou aux États-Unis, une réélection du chef de l’État. « Dans ces pays, un président est élu au suffrage universel et ne peut espérer une réélection que si la population est satisfaite de sa politique et de ses prestations. Au Liban, si un renouvellement du mandat présidentiel est autorisé, il suffit au chef de l’État d’œuvrer pour obtenir le soutien de 70 députés afin de s’assurer une nouvelle investiture. Nous avons fixé le mandat du chef de l’État à six ans – et j’ai toujours les procès-verbaux des réunions – pour que le président préserve sa pureté. La période de six ans est suffisante à un président pour qu’il puisse faire ses preuves. » Pour ce qui est de la crise économique, M. Daher estime qu’une équipe homogène au pouvoir est capable d’élaborer un plan économique. « Je ne prétends pas être un économiste, mais un dirigeant se doit d’être entouré de conseillers aptes à proposer des solutions. Mais avant tout, il faut que le pouvoir soit fort, que la justice soit indépendante, et favoriser un climat suspectible d’encourager les investissements, indépendamment de la situation régionale qui influe considérablement sur les placements. » Parallèlement, M. Daher juge primordial de définir la ligne économique du pays, de régler les problèmes dont se plaignent les secteurs de l’agricuture et de l’industrie, et de consolider les rapports avec les émigrés. Il table particulièrement sur le côté touristique : « En établissant une infrastructure appropriée, le Liban est capable d’attirer l’ensemble des touristes arabes. » Pour cela, il est indispensable de mettre en valeur les sites qui attirent les touristes et d’accorder une attention particulière à l’environnement. « Qu’est-ce qui nous manque pour faire en sorte que nos plages soient les plus belles et pour combattre la pollution de l’air ? Nous pouvons facilement être le joyau du monde arabe pour peu qu’on y mette un peu de volonté. » Tilda ABOU RIZK
La demande d’entretien, ou plutôt son objet, surprend un peu le député Mikhaël Daher : « Pourquoi vous intéressez-vous à mon profil de candidat à la présidence de la République ? » Une réaction somme toute compréhensible quand on sait qu’en 1988, il était à deux doigts d’accéder à la magistrature suprême, au moment où la crainte d’un vide au niveau de la...