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Actualités - OPINION

Le cinéma arabe accède à la maturité

Reflet des mentalités, le cinéma est un miroir des sociétés dont il est issu. Ainsi, le cru de la septième biennale des cinémas arabes à Paris (du 26 juin au 4 juillet 2004) fut à l’image de ce monde déchiré par des crises et des conflits structurels qui le minent de l’intérieur. L’intérêt de ces images qui ont été diffusées pendant cette semaine de biennale, par opposition à celles que montrent habituellement les médias, c’est d’être justes et de renvoyer à une complexité irréductible. Que ce soit au niveau de la fiction ou du documentaire, la plupart des films rendent compte d’une réalité violente et pourrissante. Ainsi, les films de fiction s’inscrivent, pour la plupart, dans un courant réaliste qui s’impose comme la tendance lourde du cinéma arabe non commercial. Quant aux documentaires, ils portent tous la marque d’une personnalité et fonctionnent comme des instruments d’auscultation et de remise en cause des sociétés dont ils sont issus. À cela il faut ajouter un certain formatage européen, résultat du croisement entre une culture cinématographique originale et des financements proprement occidentaux. Cet « européanisation » de l’expression cinématographique arabe vient surtout du fait que les publics que peuvent espérer viser ces films ne sont pas forcément arabes. Le problème chronique du cinéma arabe, et qui est une fois de plus visible dans ce festival, c’est que les pays arabes ne sont pas toujours en mesure de produire intégralement ces films. Mais plus dangereuse encore que le manque de financement intérieur est la nécessité de passer sous le scalpel de la censure. Pour pouvoir être vus dans leurs propres pays, ces films doivent montrer patte blanche. Voilà qui peut réduire à néant l’intérêt d’un film ou le rôle de l’art dans la société. Les films de cette année ont aussi été porteurs de deux signaux forts : le premier est que le cinéma arabe accède à une maturité et une qualité certaines. Le second est que les sociétés arabes génèrent, du Machrek au Maghreb, de la frustration et du désespoir : ainsi, les trois films de fiction primés (Dans les champs de bataille de Danielle Arbid – Liban, Atash de Tawfic Abu Wael – Palestine et À Casablanca les anges ne volent pas de Mohammed Asli – Maroc) décrivent, chacun à sa manière, des univers d’enfermement desquels on ne sort pas. Le cinéma arabe ne retranscrit donc pas des mouvements de libération mais plutôt des processus d’échec et de chute infinie. On dirait presque une cinématographie de l’annulation du mouvement par le mouvement. Le documentaire ne donne pas plus de perspectives que la fiction. Que ce soit Aliénations ou Déluge au pays Baas, on est toujours pris au piège d’un totalitarisme rampant ou patent qui annule toute forme d’expression individuelle ou la condamne à une stérilité dangereuse. Les thèmes généralement abordés portent en eux la marque de ces tensions et de ces contradictions : la quête d’identité est peut-être la thématique la plus récurrente et la plus profonde de ce cinéma. En effet, si les Arabes font avant tout des films qui questionnent le politique, c’est toujours en mettant en avant des identités occultées par le pouvoir en place. Ces identités peuvent être communautaires, mais elle peuvent aussi être individuelles ou génériques. Ainsi la quête des Arabes israéliens, qui peinent à se faire accepter par l’une ou l’autre des sociétés, ou bien la difficulté d’être algérien, qui transparaît à l’écran à la moindre évocation de l’Algérie. À cette obsession identitaire, il faut ajouter la préoccupation de la guerre. Nulle autre région du monde n’est en proie à un vertige militaire aussi médiatisé. De la Palestine à l’Irak, le monde arabe est non seulement à feu et à sang, mais il est hypermédiatisé. Seul problème de cette médiatisation excessive: les Arabes ne produisent pas ces images, qui ne reflètent donc ni leur intérêt ni leur figure réelle. Les réalisateurs arabes offrent donc la possibilité, pour un public perméable aux images dégradantes de soi, de récupérer un peu de leur dignité dans le champ audiovisuel et d’opposer une résistance culturelle salutaire et nécessaire. Ainsi, non seulement les Palestiniens, les Irakiens ou les autres Arabes ne sont-ils pas dépeints comme des victimes ou des êtres menaçants, mais ils sont de plus restitués dans toute leur profondeur psychologique et leur singularité individuelle. Le cinéma arabe ne parle pas forcément d’un peuple, d’une culture ou d’une société dans son ensemble. C’est à travers l’individu qu’il rend compte de la variété des situations et des nuances qui distinguent les êtres. C’est cette nuance qui n’est accessible aux autres que par le biais de l’art, car, en définitive, cette image plausible de soi ne prend son sens que dans la perspective d’un dialogue entre les hommes et les cultures. Mais le monde arabe n’est pas seulement un monde en lutte contre des intrusions étrangères. Il est aux prises avec des forces qui, issues de lui-même, menacent sa stabilité et son avenir. Forces obscures qui l’empêchent d’accéder à la liberté et à la connaissance de soi, le condamnant à l’immobilité et à la peur. Il faut donc, comme le répète inlassablement Mohammed Asli (1), changer le monde arabe. Pour finir, on pourrait dire qu’un peu de ce changement est entamé dans les films que nous avons vus. Ce que nous disent ces films nés d’une situation de crise, c’est l’urgence de transformer une culture qui se retourne contre elle-même et menace la créativité de l’art en même temps qu’elle abandonne la société à elle-même. Michel TABET 1) Réalisateur marocain de À Casablanca les anges ne volent pas, prix IMA de la première tenue.

Reflet des mentalités, le cinéma est un miroir des sociétés dont il est issu. Ainsi, le cru de la septième biennale des cinémas arabes à Paris (du 26 juin au 4 juillet 2004) fut à l’image de ce monde déchiré par des crises et des conflits structurels qui le minent de l’intérieur. L’intérêt de ces images qui ont été diffusées pendant cette semaine de biennale,...