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Actualités - ANALYSE

PRÉSIDENTIELLE - Le député de Batroun s’engage à ne pas jouer les prolongations s’il est élu Boutros Harb présente un programme global complet et moderne

Le lieu choisi (le Parlement) est hautement symbolique, l’assistance nombreuse mais triée sur le volet : des journalistes, des intellectuels, des hommes et des femmes d’influence, et la méthode inspirée des pratiques dans les grandes démocraties. Pour annoncer sa candidature à la présidence de la République, cheikh Boutros Harb a voulu frapper fort et se démarquer des autres candidats, nombreux cette année. Il se devait d’ailleurs d’agir ainsi, car dans le flot d’idées développées actuellement dans les médias, presque aussi idéales les unes que les autres, il fallait se distinguer et aborder différemment les problèmes de fond. Tout en restant réaliste, et en tenant compte de la conjoncture régionale, cheikh Boutros a quand même inversé la donne. Il n’a pas attendu d’être élu pour présenter un programme global, et s’il l’est, il pourra dire que c’est sur cette base qu’il a remporté la victoire. Une tentative louable d’augmenter, au moins dans la forme, le rôle des Libanais dans le choix de leur futur président. Les gardes, à l’entrée du Parlement, avaient été strictement prévenus : pas question d’ennuyer les personnalités invitées à la conférence de presse de Boutros Harb. Fouille réduite au minimum et téléphones portables non confisqués, la centaine de personnes ont pu atteindre sans encombre la salle de conférences où les attendaient cheikh Boutros et son épouse Marlène, ayant à leurs côtés les présidents des Ordres des rédacteurs et de la presse, MM. Melhem Karam et Mohammed Baalbacki, ainsi que le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, et MM. Gebrane Tuéni et Chakib Cortbawi. Chaque détail avait été étudié, et le candidat annoncé avait misé sur la courtoisie et le contact personnel. Ce n’était pas la kermesse à l’américaine, ni la langue de bois des régimes totalitaires, mais un style différent qui voulait inciter les présents à réfléchir à une autre façon d’aborder l’échéance présidentielle, dépassant le clivage réducteur et stérile entre partisans et ennemis de la reconduction, pour en faire un choix entre différents programmes. Et celui de Boutros Harb se veut global, complet et moderne. Devant les présents, il en a lu un long résumé qui évoque la dynamisation des institutions de l’État, la réforme du secteur public, la lutte contre la corruption, l’assainissement des relations libano-syriennes, la nécessité pour l’État libanais d’assumer sa pleine responsabilité au Sud, pour y protéger les citoyens et défendre les frontières, le respect de l’identité du Liban, l’indépendance de la justice, l’augmentation des prestations sociales et de santé, la réforme des finances publiques, en contrôlant mieux les dépenses, le travail sérieux sur une véritable réconciliation nationale, etc. Un programme global, inspiré de la réalité libanaise Certains pourraient estimer que ce vaste programme ne comporte pas vraiment d’éléments-chocs ou d’idées franchement nouvelles. Surtout depuis que la légion de candidats à la présidentielle étalent sur les chaînes télévisées ou dans la presse écrite les grandes lignes de ce qu’ils aimeraient réaliser s’ils étaient élus. Mais, outre que c’est probablement la première fois qu’un programme aussi détaillé, inspiré de la réalité libanaise, est distribué aux présents, Boutros Harb se veut avant tout un homme de raison, qui cherche beaucoup moins les slogans ronflants que les concepts profonds, les orientations saines et les bases solides. Il ne veut pas faire de promesses qui ne peuvent être tenues, mais permettre aux Libanais de penser à une autre façon de gérer la politique et l’État. Il affirme d’ailleurs avoir préféré soumettre son programme aux Libanais, avant qu’il ne soit étudié par les deux groupes dont il est membre, Kornet Chehwane et le Front national de réforme. Dans certains domaines, il reste certes dans les grandes lignes, mais il est beaucoup plus précis dans d’autres, tout en rappelant que ses propositions sont sujettes à discussion. Car l’échange, la participation et le souci de transparence restent la pierre angulaire de sa démarche. On pourrait d’ailleurs discuter, point par point, les thèmes évoqués dans son programme présidentiel, mais, comme il le souligne lui-même dans le débat qui a suivi la lecture du texte officiel de sa candidature, la vraie question n’est pas là. Elle est dans le sentiment insistant chez la plupart des Libanais que toutes ces démarches ne visent qu’à donner l’illusion de la démocratie, alors que les décisions sont prises ailleurs. Et la grande habileté de Boutros Harb est justement, tout en reconnaissant que ce sont les Syriens qui pèseront le plus lourd dans la décision, d’affirmer que, s’il était élu, ce serait sur base de ce programme et parce que les Syriens souhaitent un réel changement. Il balaie ainsi la question élémentaire posée par Saïd Ghorayeb, qui voulait savoir ce qu’il pourrait réaliser s’il avait comme partenaire un président du gouvernement avec lequel il ne s’entendrait pas. « Si je suis élu, ce sera sur base de mon programme, et celui-ci constituera la base des orientations de l’État et du pouvoir exécutif. » Il faut rappeler à cet égard que le discours d’investiture du président Lahoud avait été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme, mais au bout du compte, peu de choses ont pu être réalisées, pour de multiples raisons, sans doute aussi complexes que l’est la formule libanaise. Mais cheikh Boutros a contourné le problème, laissant entendre que s’il était élu, c’est que les décideurs seraient en accord avec les grandes lignes de son programme et seraient donc favorables à son application. C’est peut-être un peu vite dit pour quelqu’un qui fait de la politique au Liban depuis des années et connaît bien ses méandres, ses travers et ses contraintes. Mais il n’est pas interdit de rêver et c’est là le grand message de Boutros Harb aux Libanais, qui a reconnu lui-même ne pas être très optimiste sur sa propre élection. La réconciliation nationale et l’amendement de la loi sur l’amnistie Cheikh Boutros a aussi parlé du démantèlement « de l’État sécuritaire » (autrement dit ce qu’il est coutume d’appeler l’omniprésence des services), précisant que si le chef de l’État ne peut le faire, ce n’est plus la peine de l’élire. Il a insisté sur la nécessité d’œuvrer à une véritable réconciliation nationale, rappelant qu’il est l’un des signataires d’un projet visant à amender la loi sur l’amnistie de manière à la rendre plus équitable, et donc d’en faire bénéficier Samir Geagea. Cheikh Boutros n’a pas beaucoup parlé d’économie, sans doute parce que les journalistes ne l’ont pas interrogé sur la question, précisant qu’en rétablissant la confiance des citoyens dans l’État et celle des investisseurs dans le pays, à travers l’assainissement de ses institutions, la crise sera placée sur la voie de la solution. À une question sur ses chances de réaliser un tel programme s’il était élu, cheikh Boutros a répondu qu’il était réaliste et qu’il s’agit surtout d’orientations. Mais s’il pouvait en réaliser une partie, cela voudrait dire que le pays est désormais placé sur des bases saines. Interrogé sur ses relations avec les Syriens, il a parlé d’une réunion unique qu’il a eue avec certains responsables et au cours de laquelle il a exposé ces mêmes idées. Selon lui, ses interlocuteurs auraient bien pris la chose, et il a ajouté que lorsqu’il réclame l’application de l’accord de Taëf, certains le prennent comme une atteinte à la Syrie, alors que celle-ci a appuyé cet accord. « Si elle n’a pas insisté à certains moments sur son application stricte, cela ne signifie pas que cet accord ne régit plus les relations libano-syriennes. » Mais pour Boutros Harb, comme pour beaucoup de politiciens libanais, la grande responsabilité de la situation actuelle incombe aux Libanais eux-mêmes, qui sont « les propriétaires de la maison et ses habitants ». « Servir nos intérêts est aussi notre responsabilité » Devant ses invités, Boutros Harb a insisté sur la nécessité d’être franc et d’avoir des positions claires. « Il faut changer cette mentalité qui veut que mieux on sait éviter les questions, plus on est qualifié d’homme intelligent qui ne se fait pas d’ennemis. Au sujet de la résistance, je considère que c’est un droit légitime pour nous tant qu’une parcelle de notre territoire est occupée, mais elle doit coordonner son action avec l’État. Servir nos intérêts est aussi notre responsabilité. Et nul ne songerait à accuser la Syrie de collaborer avec Israël, alors que son armée est déployée au Golan. » Boutros Harb a expliqué que, s’il a choisi le Parlement pour annoncer sa candidature, c’est pour confirmer le caractère libanais et pour augmenter le rôle des Libanais dans cette échéance, puisque ce sont les députés qui choisissent en définitive le président. Et même si, parmi eux, il n’y a que trois dames, il s’est engagé, s’il était élu, à ne pas former un gouvernement sans des éléments féminins. Enfin, se tournant vers Gebrane Tuéni, il a déclaré : « Si j’étais élu, je m’engage à ne pas demander une reconduction ou un renouvellement de mon mandat. » Il a voulu détendre l’atmosphère, mais il a ramené le débat à son point de départ : pour ou contre la reconduction. Comme s’il ne s’agissait que d’ambitions personnelles et non de programmes. Pourtant, toute sa démarche, et c’est là son grand mérite, visait à susciter un débat profond sur sa vision de l’État, les orientations du Liban et sa volonté de construire, avec les Libanais, une nation digne de son nom, qui sache attirer ses émigrés et garder ses fils. Scarlett HADDAD

Le lieu choisi (le Parlement) est hautement symbolique, l’assistance nombreuse mais triée sur le volet : des journalistes, des intellectuels, des hommes et des femmes d’influence, et la méthode inspirée des pratiques dans les grandes démocraties. Pour annoncer sa candidature à la présidence de la République, cheikh Boutros Harb a voulu frapper fort et se démarquer des...