Rechercher
Rechercher

Actualités

Deux grandes listes et une opposition peu cohérente se sont affrontées démocratiquement À Jbeil, une bataille féroce où les enjeux familiaux ont dicté les choix (photo)

C’est le ministre du Développement administratif, Karim Pakradouni, en tournée dans la région, qui a le mieux défini la situation à Jbeil : « La bataille y est très dure », a-t-il déclaré à l’issue de sa rencontre avec le ministre des Télécommunications, Jean-Louis Cardahi, qui parraine une liste comprenant l’actuel président de la municipalité, Raphaël Sfeir, contre celle formée sous la houlette du député Nazem Khoury et coprésidée par Gino Kallab et Joseph Chami, avec l’appui de Jean Hawat. La bataille est surtout très complexe, résumant à merveille les contradictions de la scène chrétienne en particulier, et libanaise en général. Car, en dépit des tentatives du courant aouniste, allié au Bloc national du Amid Carlos Eddé, de lui donner une dimension politique en formant une liste incomplète placée sous le signe du changement, l’échéance municipale à Jbeil reste étroitement liée à des considérations familiales, d’autant que les repères traditionnels entre opposants et loyalistes y sont flous. Ce qui est sûr, c’est que les électeurs n’ont pas boudé les urnes, et les jeunes, en dépit des pronostics pessimistes, se sont mobilisés. Pour qui ? Les résultats, qui se joueraient à quelques voix le diront, et chaque partie devra alors revoir ses calculs. La pluie sur Jbeil, un dimanche 2 mai, c’est assez inattendu. Mais il en faut plus pour refroidir les ardeurs des habitants de cette ville côtière qui a marqué l’histoire du Liban depuis des siècles. Dès l’ouverture des bureaux de vote, à 7 heures, les gens commencent à déposer leurs bulletins, visiblement mobilisés pour cette échéance municipale. On dirait presque que la ville de Jbeil a passé une nuit blanche, tant ses habitants se sentent concernés par ces élections. Les 7 905 électeurs inscrits sur les listes doivent donc élire un nouveau conseil municipal de 15 membres en remplacement de l’actuel, dont les prestations avaient plutôt satisfait les habitants. Selon de premières estimations, on parle d’une participation à 60 %, c’est-à-dire un peu plus élevée que celle de 1998, où près de 4 700 électeurs avaient déposé leurs bulletins. C’est dire que les habitants de Jbeil ont exercé leur droit de vote tout au long de la journée, reléguant à dimanche prochain les traditionnels repas dominicaux pour circuler dans les rues, se rendre dans les bureaux électoraux et faire des pronostics qui changent au gré des dernières rumeurs. Malgré les divisions, on reste « civilisés » Dans une ville comme Jbeil, où tout le monde se connaît, il est difficile en fait de faire des prévisions, tant le jeu est serré et le choix des électeurs dépendant de considérations personnelles bien plus que politiques. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun incident n’a été enregistré tout au long de la journée, malgré la mobilisation extrême des électeurs. Car, à Jbeil, on a beau être divisés par des rivalités familiales, on reste entre personnes civilisées. Et, à part les plaintes au sujet de bulletins falsifiés distribués sciemment aux électeurs par les parties adverses pour obtenir l’annulation des votes, le débat est resté poli à défaut d’être aimable. Toutes les personnes interrogées se déclarent d’ailleurs satisfaites du haut niveau de démocratie pratiqué à Jbeil. Même si la fièvre électorale a atteint presque tout le monde. L’attitude la plus agressive est celle des partisans du général Michel Aoun et ceux de son allié à Jbeil, le Amid Carlos Eddé. Haut-parleurs, chants patriotiques, distribution de tracts, ils sont presque à tous les coins de rues. Mais selon les premières estimations, ils ne devraient pas obtenir des résultats très concluants, leur liste, présidée par Tanios Zaarour, étant déjà incomplète, avec dix candidats sur quinze. Ce qui expliquerait peut-être leur insistance à se faire voir, faute d’être entendus. En fait, les réseaux familiaux sont bien plus importants que les enjeux politiques dans l’échéance municipale à Jbeil. Et en prenant pour slogan le changement, sans autre précision, les candidats de cette liste n’ont pas vraiment convaincu, alors que les deux autres listes ont proposé des projets plus concrets, tout en étant bien implantées au sein des familles de Jbeil. Une alliance après soixante ans de rivalité La grande innovation de cette année a toutefois été l’alliance impensable il y a quelques années entre les anciens membres du BN, les deux familles Hawat et Chami d’une part, et les traditionnels destouriens représentés par la famille Kallab, d’autre part. En formant une liste conjointe sous la houlette déclarée du député Nazem Khoury, lui-même proche du commandant en chef de l’armée, ces deux courants ont mis fin à près de soixante ans de rivalité. Et le député Nazem Khoury a d’ailleurs reconnu ouvertement son rôle dans la conclusion de cette alliance, affirmant avoir surtout voulu œuvrer en faveur de l’entente. En fait, la situation est bien plus nuancée car il y a bien un destourien sur la liste du ministre Jean-Louis Cardahi, M. Imad Khalifé, lui-même apparenté à Jean Hawat mais auquel l’oppose une ancienne rivalité. C’est dire que sous les grands titres d’entente et d’alliance, il s’agit surtout d’enjeux familiaux, voire personnels. En tout cas, la liste Kallab-Chami et Hawat ne se trompe pas de cible. Pour elle, l’homme à abattre est le ministre Jean-Louis Cardahi, et tous les moyens, dans les limites de l’acceptable, sont bons pour cela. Le ton des partisans de cette liste est d’ailleurs assez violent, accusant le ministre d’être appuyé par certains pôles du pouvoir et d’utiliser les services prodigués par son ministère afin de gagner les faveurs des électeurs. Par contre, ils donnent à leur alliance entre anciens du BN et destouriens une dimension historique et nationale, laissant entendre qu’elle pourrait s’étendre aux législatives de 2005. Car, dans le caza de Jbeil, le véritable enjeu est là : les différentes forces en présence veulent s’imposer comme leaders pour les échéances à venir et, en menant sa longue bataille pour le cellulaire, le ministre Jean-Louis Cardahi s’est plus ou moins imposé sur la scène du caza, alors que le député Nazem Khoury et le courant qu’il représente voudraient eux aussi jouer un rôle déterminant dans la région. Chez les Cardahi, le mot d’ordre est au calme Dans la demeure familiale des Cardahi, le ton est à l’apaisement. « Il s’agit de garder la tête froide et de ne pas répondre aux provocations », a conseillé le ministre à ses partisans. Et tout au long de la journée, chez lui ou au cours de ses tournées dans la ville, M. Cardahi à appelé les habitants de Jbeil à participer au scrutin en vue de choisir l’avenir de leur ville pour les six prochaines années. « Il ne s’agit pas de régler des factures, dit-il, mais de songer à notre ville. » Même son de cloche chez Raphaël Sfeir, qui a ajouté toutefois, à l’adresse des Jbeiliotes : « Votez selon votre conscience. » Interrogé par les journalistes, le ministre Cardahi a précisé qu’en tant que citoyen de Jbeil, il se sent concerné par le développement de sa ville et il a donc parfaitement le droit de s’intéresser de près à l’échéance municipale. En fait, M. Cardahi avait été élu président de la municipalité de Jbeil en 1998 et il avait dû démissionner de son poste lorsqu’il a été nommé ministre des Télécommunications. C’est dire que lui et sa famille font partie des notables de la ville, indépendamment de sa désignation au gouvernement. Mais en pleine campagne électorale, il faut s’attendre à tous les coups. Surtout lorsque les votes semblent si serrés. Selon les pronostics entendus, les résultats devraient se jouer à une cinquantaine de voix, entre les deux grandes listes, avec une certaine préférence pour la liste Kallab-Chami. Même si les électeurs interrogés semble avoir usé du panachage, au moins pour quatre à cinq noms sur les quinze. De plus, selon de premières estimations, les électeurs sunnites et chiites de Jbeil (au total près de 800) n’ont pas voté en grand nombre (au maximum 300 voix), de même que les Arméniens (près de 250 électeurs), qui se seraient déplacés au compte-gouttes de Anjar. Un franc-tireur, le candidat des Forces libanaises La tendance au mélange pourrait permettre au candidat des Forces libanaises, l’ingénieur Sami Dick, qui mène la bataille seul, d’enregistrer un score honorable. Le jeune candidat a déploré le manque de cohésion de l’opposition, affirmant que la formation à laquelle il appartient a préféré travailler seule pour marquer sa désapprobation face à l’approche pratiquée par l’opposition et rappeler que la cause centrale qui la motive est la libération de son chef, le Dr Samir Geagea. Le message a le mérite d’être clair. Et si M. Dick a peu de chances de percer face aux deux grandes listes, il a permis aux Forces libanaises de garder leurs partisans à Jbeil, sans les noyer dans une opposition aux objectifs et au programme mal définis. Et le principal résultat de ces élections pourrait justement montrer que les soucis du Liban profond, celui des villes et des villages de province, sont différents des préoccupations des politiciens. À dix-huit heures, la longue journée électorale de Jbeil se termine dans un mélange de soulagement et d’angoisse. C’est fini sans incidents notables, mais il faudra attendre encore pour connaître le verdict des électeurs. Scarlett HADDAD
C’est le ministre du Développement administratif, Karim Pakradouni, en tournée dans la région, qui a le mieux défini la situation à Jbeil : « La bataille y est très dure », a-t-il déclaré à l’issue de sa rencontre avec le ministre des Télécommunications, Jean-Louis Cardahi, qui parraine une liste comprenant l’actuel président de la municipalité, Raphaël Sfeir,...