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Table Ronde - Un débat organisé par « L’Orient-Le Jour » en collaboration avec l’amicale de l’USJ Franc dialogue entre étudiants musulmans et chrétiens autour de l’Appel de Beyrouth (photo)

Réunir une trentaine de jeunes étudiants et étudiantes de diverses appartenances communautaires, politiques, intellectuelles, et universitaires pour un dialogue interlibanais. L’idée en soi n’est pas neuve. Et pourtant, rares sont les occasions où des jeunes musulmans et chrétiens ont pu dialoguer ensemble librement autour d’un projet fédérateur et assez souple pour les rassembler dans leur diversité, sans les astreindre à des schémas, sans les enfermer dans un moule, loin des suivismes de toutes sortes. L’Orient-Le Jour a pris hier l’initiative d’organiser une séance-débat autour de l’Appel de Beyrouth en collaboration étroite avec M. Samir Frangié et le bureau des étudiants de la faculté de droit au sein de l’amicale estudiantine de l’USJ. L’objectif : convier une trentaine d’étudiants ou de récents diplômés (mêlant franchise et bon sens dans leurs propos, et représentant quasiment toutes les communautés et la plupart des sensibilités politiques), qui ont chacun une certaine clairvoyance au niveau des affaires politiques et de la chose publique, et les inviter à dialoguer et à interagir avec quelques-uns des piliers de l’Appel de Beyrouth : Samir Frangié, Mohammed Hussein Chamseddine, Okab Sakr, Mayyad Haïdar et Samir Abdel Malak. Également convié, le député Farès Souhaid n’a pu assister à la rencontre. Pourquoi l’Appel de Beyrouth ? Parce qu’il s’agit d’un projet de document qui vient s’inscrire dans la tradition libanaise consensuelle, qui renoue avec l’esprit du pacte, après quinze ans d’une gestion du pouvoir jugée par la grande majorité des personnalités politiques libanaises comme illégitime à bien des égards. L’Appel refait la jonction entre les différents thèmes caractéristiques du Liban de l’Indépendance : le consensus, la convivialité, la souveraineté, l’identité, le tout en tirant l’expérience des leçons de la guerre. Cette dynamique consensuelle s’adresse d’ailleurs, selon le document, à plusieurs catégories de personnes, parmi lesquelles « les jeunes, qui n’ont pas connu la guerre, mais qui en paient néanmoins le prix et souffrent de ne pas avoir d’avenir dans leur propre pays ». La mémoire de la guerre D’entrée, Amine Assouad, président du bureau des étudiants de la faculté de droit à l’USJ, a défini les différents points inhérents à la dynamique de l’Appel, la nécessité de remanier l’accord non appliqué de Taëf, notamment en ce qui concerne la répartition brumeuse des pouvoirs, « pour éviter les arbitrages de l’étranger ». Au Liban, la démocratie est participative, et se base essentiellement sur le compromis et pas sur la loi de la majorité, une démocratie sui generis, a-t-il indiqué, et c’est pourquoi on a toujours cherché au Liban des solutions de compromis. L’Appel de Beyrouth doit être le fondement philosophique d’un remaniement constitutionnel, a-t-il enfin noté, estimant qu’il s’agissait là d’une occasion d’édifier un nouveau pacte social interlibanais. Prenant la parole, Samir Frangié a rappelé que si les services de renseignements et le pouvoir avaient été gênés par l’Appel de Beyrouth, ce n’est pas en raison de la sémantique même du document. « L’Appel dérange parce qu’il vise à réunir les Libanais. Si la réunion (qui a été interdite le 20 juin dernier et durant laquelle le document devait être discuté par des citoyens libanais chrétiens et musulmans) s’était tenue à Jounieh, nul n’aurait cherché à en empêcher la tenue. Mais le fait qu’elle soit prévue à Ras Beyrouth revêtait une signification symbolique importante. Or le régime en place puise sa force de la division qu’il impose au niveau de la société », a-t-il affirmé. M. Frangié a ensuite indiqué que l’Appel de Beyrouth était bien fils de son temps, estimant qu’il a été rédigé dans la phase actuelle, une phase de transition entre deux Liban, entre deux mondes arabes. « Nous avons voulu ramener le dialogue interlibanais à sa source : le dialogue sur la guerre, sans entrer dans l’autoflagellation, mais sans avoir non plus cette image négative de nous-mêmes que nous ne cessons de ressasser », a-t-il indiqué, dénonçant la logique de la guerre omniprésente dans les cercles de ceux qui « distinguent entre la ligne nationale et la ligne non nationale ». Partant de cette idée, Samir Frangié débouche sur la mémoire de la guerre et la mémoire collective, concept sous-jacent à l’Appel de Beyrouth : il évoque le massacre de Méziara, en 1957, et les versions différentes de cet événement qui subsistent jusqu’à présent dans les mémoires de chacune des familles zghortiotes concernées, pour extrapoler au plan national. « L’absence de dialogue sur cet événement pourrait conduire l’accident à se reproduire. Et il en est de même au niveau libanais : il n’y a pas eu de réconciliation autour de notre histoire », a-t-il dit. D’où la nécessité de repenser la guerre, d’en tirer les leçons, non pas pour demander des comptes et sanctionner, mais pour redéfinir de nouvelles échelles de valeurs, pour établir la mémoire de la guerre, a ajouté M. Frangié, évoquant l’exemple d’éthique que pourrait donner le Liban sur le plan international. L’identité selon Chamseddine L’intervention de Samir Frangié permet à un membre du Parti socialiste progressiste d’ouvrir le débat sur l’absence d’une identité politique commune aux Libanais, qui serait à la base de tous les maux. Réponse immédiate de Mohammed Hussein Chamseddine, qui rappelle que l’identité libanaise est liée à la question consensuelle, et qu’elle n’est donc pas éternelle. Aussi a-t-il rejeté toute tentative de réduction, d’uniformisation au niveau du modèle identitaire libanais, tant chez ceux qui évoquent exclusivement l’arabisme ou l’islamisme comme définition, ou chez ceux qui parlent de 7 000 ans d’existence libanaise. « L’identité est liée à l’homme, et elle se définit dans la rencontre entre deux hommes. L’identité libanaise a vu le jour lors de la rencontre complexe et plurielle entre les chrétiens et les musulmans. C’est pourquoi, au Liban, les musulmans sont plus que des musulmans, et les chrétiens plus que des chrétiens. L’identité est une rencontre, et une volonté de vivre ensemble. D’ailleurs, la vie est belle à partir du moment où il y a une diversité. Il faut juste savoir comment gérer ce pluralisme pour pouvoir vivre en paix. L’identité est fondée sur un partenariat, et elle ne peut être déterminée qu’à deux, par libre adhésion. Sinon, elle échoue. Bien sûr, cela suppose des devoirs », a-t-il souligné, rejetant l’idée d’une identité libanaise sur le modèle statonational européen. De son côté, Okab Sakr a condamné l’incarcération de Geagea, estimant que le but n’était pas de punir un criminel, mais « d’emprisonner symboliquement les chrétiens ». Il a également noté que l’identité naît en général des contradictions qui la construisent, soulignant que le Liban se caractérise par « la modération consensuelle, loin du langage du désespoir et du langage de l’extrémisme ». Samir Frangié a pour sa part plaidé en faveur d’une hiérarchisation des valeurs et des appartenances, idée également reprise par Mayyad Haïdar. Mettre fin au négativisme Le débat s’est poursuivi durant plus de trois heures, avec des interventions franches, sincères et de très haut niveau dans les rangs des étudiants, notamment sur les relations libano-syriennes et le problème des camps palestiniens, sur la formulation même de l’Appel de Beyrouth, tantôt jugée trop modérée et tantôt trop romantique (Frangié et Sakr estimant que si le texte est éloquent, il n’en est pas moins réaliste) par certains étudiants, notamment concernant les clauses relatives à la Syrie et aux Palestiniens (Mazen Ghorayeb, Hassan Mohanna, Chadi Mrad), concernant aussi la nécessité d’instaurer un espace et une culture de la citoyenneté (Hikmat Abou Zeid, Ali el-Maoula, Wissam Kotait), de faire participer le peuple au consensus interélites qui est généralement de mise au Liban (Omar Moumtaz), de faire preuve de la transparence et de la sincérité la plus totale sans se réfugier derrière des formules trop compromissoires (Samy Gemayel), etc. Samir Frangié a d’ailleurs mis en relief le droit naturel des Libanais à l’autodétermination, réaffirmé rationnellement et sans compromis par l’Appel dans la clause relative aux relations avec la Syrie. Une formulation qui permet de toucher et de rassembler autant que possible des musulmans et des chrétiens autour de la notion de souveraineté, a-t-il noté. Le mot de la fin à Mayyad Haïdar, qui a mis en exergue la nécessité de déterminer une échelle de valeurs collectives positives, loin du négativisme ambiant qui terrasse actuellement les jeunes et les empêche d’aller vers la formation de projets concrets. Et c’est d’ailleurs sur la nécessité de trouver un mécanisme d’application à l’Appel de Beyrouth que la plupart des participants se sont retrouvés lors de la réunion. Michel HAJJI GEORGIOU
Réunir une trentaine de jeunes étudiants et étudiantes de diverses appartenances communautaires, politiques, intellectuelles, et universitaires pour un dialogue interlibanais. L’idée en soi n’est pas neuve. Et pourtant, rares sont les occasions où des jeunes musulmans et chrétiens ont pu dialoguer ensemble librement autour d’un projet fédérateur et assez souple pour les...