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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB De maires en fils

Le bruit et la fureur sont présents et bien présents à ces deuxièmes élections municipales de l’après-guerre, dont le coup d’envoi sera donné dimanche prochain au Mont-Liban. Et tant d’âpre frénésie dans les préparatifs aurait pu passer pour un signe de santé politique si nous ne vivions précisément dans un pays politisé à outrance, c’est vrai, mais où les tares ataviques devenues usages bien ancrés, l’incertitude existentielle au sein d’une région en permanent remodelage et les étouffantes limites de notre souveraineté ne se conjuguaient pour vider passablement de son contenu la chose politique. Que cette malheureuse conjonction se manifeste avec le plus de force lors des deux autres échéances électorales qui nous attendent d’ici à un an, c’est évident, même pour ceux qui en revanche se refuseront toujours à trouver normal le lent produit de l’anormalité. Qui sera, à l’automne, le prochain président libanais, Dieu le sait ; et avec Lui tout de même une ou deux de ses créatures qui, le moment venu et à partir de Damas, feront passer la consigne. Quant aux législatives du printemps de 2005 faites confiance, une loi électorale arbitraire comme toutes celles qui l’auront précédée, des découpages de circonscriptions taillés sur mesure, des listes préfabriquées, des candidatures imposées et les classiques « erreurs » dans les registres d’électeurs seront là pour garantir la continuité : sans même qu’il soit besoin, pour cela, d’initiatives aussi ridiculement énormes que l’insulte faite en 2001 à la règle pourtant élémentaire de l’isoloir. Obédiences familiales, claniques, partisanes ou sectaires ne manqueront pas de jouer à fond lors des municipales, surtout dans les villages et hameaux. À tout cela viennent s’ajouter, dans les villes, les avant-goûts et relents de législatives, les tendances hégémoniques, les alliances logiques ou alors celles, carrément contre nature, contractées à seule fin d’assurer le succès : le tout ponctué de polémiques verbales et de coups bas et éventuellement, comme dans la capitale, d’ingérences rien moins que beyrouthines. Et cette sorte de politisation, où ne sont généralement brandis que de vagues et obscurs programmes, est doublement regrettable ; car le citoyen s’en trouve affecté non plus seulement dans ses options et aspirations nationales mais dans la gestion de tous les besoins, essentiels ou menus, de la vie quotidienne. Qu’il ait récolté ses lauriers à Beyrouth ou dans la montagne, dans le Nord, le Sud ou la Békaa, tout député est théoriquement l’élu de la nation (mais en sommes-nous vraiment une, qui ne parvenons pas encore à nous entendre sur l’idée même du Liban ?) et à ce titre, il est habilité à intervenir sur les questions les plus diverses. Un maire, un édile municipal est choisi, lui, par les habitants d’une ville, d’un village. Bien avant les fonctionnaires, caïmacams, mohafez, députés, ministres et présidents, il est l’incarnation de l’homme public supposé être là pour servir les citoyens. Et cet homme public on ne devrait pas s’inquiéter de savoir s’il est ou non un adepte de Huntington et de son « choc des civilisations », s’il condamne ou non l’invasion de l’Irak, s’il est pour ou contre l’amendement de la Constitution et la prorogation du mandat finissant de l’actuel chef de l’État. Ce qu’on lui demande, ce qu’on attend de lui c’est qu’il veille au bien-être et à la sécurité des citadins ou des villageois qui lui ont accordé leurs suffrages. Ce qui intéresse ces derniers, c’est ce qu’il pense des espaces verts, des aires de stationnement, des zones piétonnes, de l’état des routes et de la circulation dans son petit royaume, des clubs sportifs ou culturels, des colonies de jeunes, des syndicats d’initiative et des festivals, de la salubrité des écoles, de l’hygiène dans les restaurants, de la sécurité nocturne à laquelle veillaient naguère ces vigiles armés de leur sifflet à bille. C’est dans le village, dans le quartier que commence comme à l’école l’apprentissage de la démocratie. Et c’est bien pourquoi villages et quartiers sont envahis par la pollution d’une fausse, d’une mensongère démocratie. Car en définitive, tout se tient : un État dépecé en zones mafieuses et qui, quinze ans après la fin de la guerre, reste incapable de fournir convenablement les plus basiques des services, pour ne nommer que l’eau courante et l’électricité ; des conseils municipaux tenus soit de s’abriter derrière la carence étatique et soit, comme en d’admirables et trop rares occasions, de « se débrouiller ». Étant entendu – la boucle se trouve ainsi bouclée – que les crédits dorment bien au chaud dans une Caisse des municipalités confiée à la garde du même État défaillant et indigne, et plus précisément de l’incontournable ministère de l’Intérieur. À quand donc la décentralisation administrative prévue par l’accord de Taëf mais qui, comme tant d’autres clauses fondamentales, demeure lettre morte ? D’ici là, les Libanais restent consignés à l’école. Et pour nombre d’entre eux, jamais corvée ne pouvait mieux mériter son nom que ce qu’on appelle communément le devoir électoral.

Le bruit et la fureur sont présents et bien présents à ces deuxièmes élections municipales de l’après-guerre, dont le coup d’envoi sera donné dimanche prochain au Mont-Liban. Et tant d’âpre frénésie dans les préparatifs aurait pu passer pour un signe de santé politique si nous ne vivions précisément dans un pays politisé à outrance, c’est vrai, mais où les...