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Actualités - interview

Présidentielle - Après Hraoui, Daher, Ghanem, Boueiz, Harb et N. Lahoud, le député de Baabda-Aley se livre à « L’Orient-Le Jour » Pour Fouad es-Saad, il faut rétablir la confiance entre la nation et l’État (photo)

Cet homme a eu la lucidité de reconnaître qu’il a commis une grosse erreur (avoir voté, en 1995, pour la reconduction d’Élias Hraoui à la première présidence) et en a tiré, surtout, la leçon qui s’impose (« Je ne le referai plus »). Cet homme – et même s’il en a payé le prix par quelques inévitables contorsions politiques que d’aucuns ont vite comparées à de grands écarts – a su rester un électron libre, à l’aise et conséquent avec lui-même aussi bien à Bkerké, Moukhtara, Koryatem que dans le champ magnétique de Kornet Chehwane, où il compte « beaucoup d’amis », presque des cousins (politiques) germains. Cet homme a été pendant trois ans ministre d’État chargé de la Réforme administrative ; il était, autrement dit, chargé de nettoyer rien moins que les écuries d’Augias, et toutes ses propositions, ses solutions ont été suicidées selon lui, « dans les tiroirs de la présidence du Conseil ». Et cet homme – qui a réussi, patiemment et infatigablement, à réunir la totalité de La Pléiade moins deux exemplaires épuisés et toujours introuvables, et qui est titulaire d’une licence en droit français et libanais, d’un DEA en droit public, d’une licence en sciences politiques, en histoire-géographie et en archéologie – est issu d’une famille, d’un village, qui ont donné au Liban deux présidents de la République : Habib Bacha el-Saad et Béchara el-Khoury. Baabda, son jardin et « sa piscine olympique » Fouad es-Saad n’est pas (encore) candidat à la première magistrature de l’État, mais il fait partie des quelques présidentiables auxquels L’Orient-Le Jour a décidé de poser les questions nécessaires afin que l’opinion publique puisse se faire une idée de leur conception, leur vision du sexennat à venir, si jamais ils étaient amenés à le passer à Baabda. « Ni je veux ni je peux me déclarer candidat à l’élection présidentielle sans l’appui de mon bloc parlementaire », martèle le député de Baabda-Aley à plusieurs reprises. Même s’il reconnaît que Baabda est « une belle demeure, avec un joli jardin et une piscine olympique imposante », que « la place est bonne » que, comme elle est à prendre, « il ne ferait pas la fine bouche », et que, si cela ne tenait qu’à lui, « il s’en porterait volontiers acquéreur pour les six années à venir ». Les rumeurs vont bon train : Nabih Berry, Rafic Hariri et Walid Joumblatt, qui sont les chefs des trois plus importants groupes place de l’Étoile, risquent fort de lancer dans l’arène présidentielle leur propre candidat – Samir Azar pour le premier, Ghattas Khoury pour le second, et vous pour le chef du PSP. « L’idée d’avoir un candidat qui fasse partie du bloc parlementaire joumblattiste est dans l’air. Walid bey y a fait allusion plusieurs fois, mais il n’y a pas eu de discussion à ce sujet, aucune décision n’a été prise. Lorsque l’on a parlé de la présidentielle 2004, nous avons juste évoqué la reconduction ou le renouvellement, et il a laissé à chacun de nous sa liberté. Maintenant, il est fort plausible que les trois hommes aient un même candidat, beaucoup plus en ce qui concerne Rafic Hariri et Walid Joumblatt. Et le jour où ce dernier nommera ou adoptera un candidat, Rafic Hariri ne pourrait que suivre automatiquement », dit Fouad es-Saad. « La Constitution n’est pas un chiffon » Pour lui, le respect de la Constitution et l’alternance sont les maîtres mots du système politique libanais. « Je ne suis pas contre Émile Lahoud, mais je m’oppose à un amendement constitutionnel taillé sur mesure. En 1995, j’y étais également opposé, mais j’ai voté oui à la dernière minute, à cause de liens personnels avec Élias Hraoui et parce que les dés étaient déjà jetés. J’ai commis une erreur que je ne répéterai pas. Et qu’on ne me parle pas de circonstances exceptionnelles : elles n’existaient ni hier pour Hraoui, elles n’existent pas aujourd’hui pour Lahoud. La Constitution n’est pas un chiffon », résume-t-il. Assurant qu’il demandera à tout candidat à l’élection présidentielle – à commencer éventuellement par lui, bien entendu – « de déclarer solennellement dans son discours d’investiture qu’il ne postulera ni ne manœuvrera en faveur d’un renouvellement ou d’une prorogation de son mandat ». Et qu’en est-il des prérogatives du chef de l’État lui-même, quel qu’il soit ? C’est un sujet très branché depuis quelques jours, et Walid Joumblatt – qui fait la mode en politique – l’a longuement et vertement abordé tout récemment. « Il n’est pas facile d’amender une Constitution au Liban, et si cela doit se faire, c’est à froid, et au cours d’une période d’entente parfaite entre les trois présidents. Il n’y a pas que les prérogatives du chef de l’État dont il faut parler, il y a également la question de la dissolution de l’Assemblée nationale et celle de l’élection du président de la Chambre pour quatre ans. Il est normal que la loi fondamentale de 1990, comme celle, en son temps, de 1926, soit sujette, quinze ans après sa mise en application, à certains changements. Dont les prérogatives du chef de l’État. Mais ce n’est certainement pas à la veille d’une élection présidentielle que cela peut ou doit se faire. » Quel devrait être le profil du locataire de Baabda en général et du successeur d’Émile Lahoud en particulier ? « Il aura à préserver jalousement les acquis du 1er septembre 1920 et ceux du 22 novembre 1943 : entité, intégrité territoriale, souveraineté, indépendance, régime parlementaire, démocratie, libertés, État de droit et des institutions, etc. Il devra être aussi l’arbitre entre tous les Libanais, quelle que soit leur appartenance politique, religieuse ou sociale. Enfin, il devrait être également le symbole de l’honnêteté et de la droiture, qu’elles soient celles de l’État ou celles du citoyen, dans un pays où ces notions sont devenues périmées », explique Fouad es-Saad. Citant Fouad Chéhab, qui avait coutume de constamment se référer à « ce que dit le livre ou la Constitution ». « Un État qui ne punit pas n’est plus un État » Quelle serait votre priorité si vous êtes amené à succéder à Émile Lahoud ? « Nous sommes tombés tellement bas qu’il ne peut pas y avoir une seule priorité. Il y a des priorités : réformer l’ustensile du pouvoir – l’Administration –, remettre en état les finances, s’occuper des relations avec nos voisins, etc. Le tout se complète, l’essentiel étant de gérer avec sérieux la res publica. » C’est quoi le sérieux ? « C’est appliquer la loi, la Constitution. » Il n’empêche, pour Fouad es-Saad, il y a quelque chose de fondamental à faire : « Rétablir la confiance entre la nation et l’État ». Le citoyen « n’a aucune confiance ni dans ses dirigeants, ni dans l’administration, ni dans la justice » ; et parce que ces dirigeants « ne peuvent plus rien juguler », qu’ils essayent, au contraire, voyant le navire sombrer, « d’en récupérer quelques miettes en continuant à protéger leur clientèle au sein de l’Administration et à interférer avec la justice », une « réforme générale s’impose ». Une réforme dont la colonne vertébrale serait, selon l’ancien ministre chargé de la Réforme administrative, la transparence, la responsabilité redditionnelle, la rigueur et l’austérité, ainsi que, surtout, « la punition et la récompense ». Et cela, « à tous les niveaux : politique, administratif, et dans le secteur privé ». Pour Fouad es-Saad, « un État qui ne punit pas n’est plus un État, il a d’ores et déjà abdiqué ». Deuxième étape : le premier cabinet du mandat. « Quoique transitoire puisqu’il n’existera que pour cinq ou six mois, ce gouvernement sera très important et devra être véritablement celui du président de la République et, de préférence, à majorité composé de technocrates. Le programme de cette équipe ne devra être axé que sur le discours d’investiture du chef de l’État, et elle aura pour mission essentielle de résoudre les innombrables problèmes litigieux laissés en suspens à cause du conflit des deux présidents, clore les dossiers qui traînent, remettre sur pied une Administration déliquescente et établir une nouvelle loi électorale pour des législatives 2005 qui assureront une réelle représentation nationale. » La loi électorale et les relations libano-syriennes Parce qu’en matière de politique intérieure, cette future loi est la priorité des priorités. Et Fouad es-Saad, qui estime que la législature 2000 « n’est absolument pas représentative, malgré l’exception de Baabda-Aley », rappelle que cette loi, qui devra se baser sur la petite circonscription et « ne pas dépasser le caza », ne peut pas être votée sans l’aval de Damas. « Mais si cela se fait, cette loi satisferait les réclamations constantes du patriarche et serait un excellent début vers de meilleures relations entre Beyrouth et Damas », assure-t-il. Justement, qu’en est-il à ce niveau ? Quelle option privilégieriez-vous, si vous étiez élu, pour mettre un terme à la tutelle syrienne et rassurer une très grande frange de la population libanaise, toutes communautés confondues ? « Ce qu’il faut impérativement, c’est sécuriser la Syrie et tranquilliser le Liban. Ce dont les deux pays ont besoin, c’est de deux présidents confiants l’un en l’autre, qui travaillent à l’unisson et qui poursuivent une même politique commune, aussi bien internationale et régionale que nationale. On a souvent eu recours à l’exemple Nasser-Chéhab, et cela est largement vrai », dit-il. « Je suis persuadé que, forts de l’entente entre leurs deux présidents, les représentants des deux gouvernements pourront venir à bout de tous les problèmes latents, les dépasser et établir une collaboration de plus en plus étroite entre les deux pays, à tous les niveaux. Le Liban pourra ainsi faire bénéficier la Syrie de son expérience dans le secteur bancaire, sa technicité en matière de ressources humaines, l’appuyer pour qu’elle se dirige vers une économie libérale, la démocratie, les libertés publiques, intellectuelles, sociales et même politiques », ajoute Fouad es-Saad. Et l’ingérence dans les affaires internes ? « Cela est plutôt de la responsabilité des dirigeants libanais. S’ils allaient moins souvent à Anjar et qu’ils essayaient de régler leurs problèmes entre eux, peut-être que nous n’en serions pas arrivés là », affirme-t-il, décidément très lucide et particulièrement intransigeant dès qu’il s’agit d’évoquer les vicissitudes d’un système politique « bâtard » légué, comme il le déplore mi-figue, mi-raisin, par Taëf. Ziyad MAKHOUL
Cet homme a eu la lucidité de reconnaître qu’il a commis une grosse erreur (avoir voté, en 1995, pour la reconduction d’Élias Hraoui à la première présidence) et en a tiré, surtout, la leçon qui s’impose (« Je ne le referai plus »). Cet homme – et même s’il en a payé le prix par quelques inévitables contorsions politiques que d’aucuns ont vite comparées à de...